Commission énergie du Parti communiste français

Commission énergie du Parti communiste français
Accueil

Des métropoles pour qui et pour quoi ?

Par Morin Geneviève, le 01 December 2009

Des métropoles  pour qui et pour quoi ?

Cette question posée par D. Adenot nous interroge sur les contradictions qui s’expriment à travers le projet du Grand Paris de N. Sarkozy.

En effet, si comme le dit D. Durand le gouvernement concentre les moyens de la France pour faire de Paris une place financière « dans le cadre de politiques économiques attentives aux intérêts de la finance, c’est à dire allergiques aux hausses de salaires et aux dépenses des services publics », alors pourquoi ce gouvernement préfère-t-il communiquer sur les transports en commun véritable point noir pour l’opinion publique francilienne ? Toutefois, force est de constater que le projet envisagé sur cette question ne s’intéresse pas à la desserte des franciliens, mais plutôt à la liaison des aéroports avec les grandes gares parisiennes et le Centre d’Affaires de la Défense, point névralgique du projet de Grand Paris (Michel Rizzi). Voilà qui pourrait faire l’objet d’une véritable concertation : en quoi l’argent investi dans ce nouveau moyen de transport est-il utile pour résoudre les problèmes quotidiens des franciliens ? Pourquoi préfère-t-on mobiliser l’opinion publique à grand renfort médiatique plutôt que d’avoir recours aux institutions démocratiques d’une véritable concertation ?

Face au Grand Paris de N. Sarkozy, les élus de gauche et au-delà se sont mobilisés dans le cadre d’une conférence métropolitaine pour un projet de « Paris Métropole ». Mais cette contre proposition est-elle à la hauteur des défis que contient le projet gouvernemental en terme de mutations : institutionnelle, sociologique, économique, environnementale pour enrayer les politiques qui s’imposent aux populations et à leurs élus depuis 30 ans ? Ne faudrait-il pas remettre en cause radicalement le choix d’un Paris Place financière pour un autre projet permettant de « réorienter les crédits des banques vers des investissements favorables aux créations d’emplois, à la formation des salariés et au développement du potentiel économique des territoires » (D. Durand) ? Quelle place la Région pourrait-elle avoir dans une telle alternative ?

Les articles que contient ce dossier témoignent d’un chantier qui s’ouvre pour construire un autre modèle de région métropolitaine.

 

« Pôle emploi » : personnels et chômeurs sacrifiés

Par Bardaji Rubens , le 30 November 2009

« Pôle emploi » : personnels et chômeurs sacrifiés

La mise en place de « Pôle emploi » qui résulte de la fusion d’un Établissement public de l’État – l’ANPE – et des ASSEDIC, par la volonté du Président de la République et de son équipe rapprochée, a abouti, pour les personnels comme pour les chômeurs à une situation dramatique particulièrement troublée et difficile.

Offre (dite)  Raisonnable d’Emploi, radiations/sanctions, contrôle des papiers, dénonciation à la préfecture des travailleurs en situation présumée « irrégulière »… les missions dont les personnels sont chargés prennent  clairement  une tournure  de plus en plus autoritaire et coercitive. Les qualifications, les grands blocs de compétences (indemnisation, aide à l’insertion professionnelle, conseil) qui les fondent, sont radicalement  mis en cause par une « offre de service » refusant le droit pour les privés d’emploi  de choisir  eux-mêmes l’emploi ou la formation  qui leur convient.  Inscription par téléphone, 3949, recours à l’internet… ils n’ont même pas le choix d’être reçus à leur demande. Pour l’essentiel, c’est seulement lorsqu’ils reçoivent une convocation  qu’ils  le sont dans le cadre d’un entretien physique.

Dans le même temps, et pour  mieux coller  à ces orientations,  l’organisation du travail dans les sites, dans les services appui-gestion comme dans les plateformes téléphoniques,  est faite tout  à la fois d’une insupportable intensification des rythmes de travail, de pressions accentuées sur les objectifs individuels et collectifs,  d’un contrôle  permanent sur les activités, d’un management par le chaos. Toutes ces méthodes visent à fragiliser  et à déstabiliser  les personnels qui dans leur ensemble résistent au bradage des missions de service public..

La culture du rythme effréné de « la Réforme à tout prix » frappe très fort à « Pôle emploi »

La mise en place des sites mixtes/sites  communs à marche forcée, de l’entretien  unique, les mobilités géographique et professionnelle forcées, les déclassements de fait dans l’encadrement et dans les corps de conseillers  et de techniciens,  la mise en cause sans négociation nationale (voire régionale) du cadre collectif  et individuel  du temps de travail sont inacceptables.

La négociation  au pas de charge (en moins de 10 réunions) d’une nouvelle Convention collective nationale renvoie même après la signature de celle-ci la classification  des emplois, la formation  professionnelle, le temps de travail… C’est à dire des éléments fondamentaux pour les garanties et les droits sociaux des personnels.

Dans le même temps, le directeur  général tente de faire disparaître,  dès que possible, tout  ce qui est public dans « Pôle emploi ». Il n’a même pas attendu que le statut de 2003 soit réformé (sans consultation des représentants du personnel) pour supprimer les organismes consultatifs  (CCPN et CCPR) et le droit syndical publics. Il refuse d’ouvrir les négociations sur le statut public  que revendiquent plusieurs organisations syndicales. Il n’a qu’une obsession : le droit d’option, par lequel les agents publics de Pôle emploi pourraient  troquer leur statut contre un contrat  de travail de droit privé. Il espère ainsi se débarrasser de ce qu’il considère comme un obstacle dans sa marche à la fusion : les agents de l’État qui constituent les deux tiers des effectifs de « Pôle emploi ».

En fait, « Pôle emploi » en est un exemple supplémentaire, c’est la nature même du service public, de la fonction publique, qui est très gravement remise en cause.

Une entreprise de casse organisée des missions, des droits des usagers, des droits des personnels

À la différence d’autres organisations syndicales la CGT a montré,  dès son annonce, que la fusion de l’ANPE et de l’Assurance-chômage souffre de plusieurs tares congénitales.

La réunion, dans les même services, de « l’indemnisation » et du « placement » vise à faire peser sur les chômeurs la menace de suppression  du revenu de remplacement s’ils ne sont pas suffisamment dociles pour accepter les offres d’emploi  ou de formation « raisonnables » proposées, alors même qu’elles ne répondent pas à leurs attentes. Ce mouvement s’accompagne de la disparition de toute politique nationale de formation professionnelle, après son transfert aux régions, et de la casse pure et simple de l’AFPA.

« Pôle emploi » est, de fait, sur le fond typiquement l’outil de la « fléxicurité » à la française, un de ces SIG (service d’intérêt  général) ou SSIG (service sociaux d’intérêt  général) par l’instauration desquels les tenants d’une Europe libérale rêvent de faire disparaître  les acquis que peut représenter la fonction publique, conçue comme assurant tout à la fois un rôle de définition et de mise en œuvre des politiques publiques.

Des éléments clefs de la politique publique de l’emploi

Les missions liées à l’insertion professionnelle relèvent très clairement de l’intervention publique, c’est à dire de la Fonction publique de l’État, pas de celle d’Opérateurs  Privés de Placement (OPP) qui sont financés en lieu et place du service public.

L’indemnisation  du chômage est un droit  des travailleurs. Ce droit doit être garanti dans le cadre de la protection sociale, géré majoritairement par les représentants élus des salariés, et surtout pas par le secteur marchand et les compagnies d’assurance. Ce n’est pas en augmentant encore le poids de la contrainte et des obligations sur les privés d’emploi que l’on peut combattre  efficacement le chômage. Le personnel de « Pôle emploi » n’est ni un auxiliaire de la chasse aux travailleurs étrangers, ni la « Police des chômeurs ».

La proximité des services pour les usagers exige un réseau dense de sites accueillant le public. Halte aux Sites Mixtes qui provoquent  la mobilité  forcée pour les agents et pour les usagers.

Un service de qualité rendu aux usagers doit  s’appuyer sur les qualifications des agents. Il est indispensable de mettre fin au projet d’entretien unique et à toutes les « expérimentations  » qui préparent  sa mise en œuvre.

Les personnels de « Pôle emploi » doivent disposer de la garantie de l’emploi, de l’indépendance à l’égard des ordres manifestement illégaux, à l’égard des influences partisanes et des intérêts  particuliers ; ils doivent disposer de toutes les garanties qui assurent l’égalité d’accès aux emplois de « Pôle emploi ». Il en va de la neutralité  du service rendu aux usagers de « Pôle emploi ».

Cet ensemble de garanties est absent de la CCN qui vient d’être agréée par le gouvernement, après son adoption par cinq organisations syndicales.

Le directeur  général s’acharne à faire disparaître toute référence au statut public pour imposer à tout le personnel le modèle qu’il veut promouvoir : l’évaluation (en lieu et place de l’avancement à l’ancienneté), l’individualisation des déroulements de carrière et des rémunérations, les recrutements et les promotions « au choix » de la hiérarchie.

C’est exactement le contraire de l’exigence de la CGT d’un statut public conforté dans les garanties collectives et individuelles  pour les personnels.

Ces revendications doivent être défendues collectivement par le personnel et par ses représentants, dans les services et dans les institutions représentatives du personnel, par la mobilisation – au quotidien et dans les grèves –, par l’engagement du plus grand nombre.

C’est également une bataille majeure pour tous ceux qui militent en faveur d’une juste indemnisation des chômeurs et pour un service public de l’emploi répondant véritablement  aux attentes de ses usagers.

Ils vivent et travaillent avec nous, ils restent avec nous

le 26 November 2009

Ils vivent et travaillent avec nous, ils restent avec nous
La situation des sanspapiers en France ne cesse de se s'aggraver. Pris en otage par les promesses de Sarkozy pour récupérer l'électorat du Front national, il leur devient impossible d'obtenir un titre de séjour. Ils sont condamnés à la clandestinité, menacés d'expulsion, à la merci de patrons voyous bien reconnaissants envers la droite de pouvoir exploiter une main d'oeuvre aussi bon marché. Car il y a de la cohérence dans le système Sarkozy : maintenir les travailleurs sans papiers dans la clandestinité, c'est introduire le non droit et l'arbitraire dans le marché du travail, c'est tirer vers le bas toutes les normes d'horaires, de salaire, de sécurité, de respect. C'est pourquoi la mobilisation en cours pour la régularisation des travailleurs sans papiers, c'est un combat pour tous les travailleurs. Muni d'un titre de séjour, ils seront plus forts pour faire respecter leurs droits. Cette victoire sera la victoire de tous les salariés. Dans le mouvement de grève qu'ils mènent actuellement à Paris, les sanspapiers bénéficient d'une belle unité syndicale autour de la CGT, la CFDT, l'UNSA, la FSU. Ils sont également soutenus activement par la Ligue des droits de l'Homme, la Cimade, RESF et Droits devant. L'objectif est de régulariser maintenant tous ces travailleurs sans papiers et exploités, en obtenant des contrats de travail et en exigeant du gouvernement la mise en place d'une nouvelle circulaire de régularisation, avec des critères plus souples. Ce combat pour la justice et le droit doit également être celui des Communistes parisiens. Emmanuelle Becker

G20 de Pittsburgh, en attendant la prochaine crise

Par Denis Durand, le 30 September 2009

G20 de Pittsburgh,  en attendant la prochaine crise
Le long communiqué qui a conclu la troisième réunion (à Pittsburgh, le 24 septembre) des chefs d’État du G20 depuis  la faillite de Lehman Brothers,donne l’impression d’un organisme cherchant à ressembler à une sorte de gouvernement mondial, capable d’organiser la coopération internationale qui apparaît vitale face à la crise du capitalisme financiarisé.

La montée du G20 au sommet des institutions internationales s’accompagne de décisions visant à renforcer le poids des pays émergents dans les organes de décision des organismes internationaux. Le sommet de Pittsburgh a demandé un accroissement de 5 % des droits de vote de ces pays au sein du FMI, et de 3 % à la Banque mondiale. Mais ces évolutions ne devraient pas affecter la part des États-Unis, et en particulier  leur minorité de blocage de 17 % au sein du conseil d’administration du FMI; l’ajustement,  s’il a lieu, se fera plutôt sur la part des grands pays européens.

Sur ce point comme sur les autres, en effet, plus que la coopération, c’est l’évidence des divergences d’intérêts et des tensions entre grandes puissances qui s’est manifestée dans les débats du G20, et dans les événements qui se sont produits depuis sa réunion.

Les débats préparatoires au sommet de Pittsburgh ont surtout opposé le point de vue des États-Unis à celui des principales puissances européennes, Gordon Brown ayant fini par apporter son soutien à Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sur plusieurs points. La thèse européenne en faveur d’une modération des « bonus » versés aux traders a semblé l’emporter à Pittsburgh. Mais les banques de Wall Street se sont chargées de ridiculiser ce résultat, en annonçant trois semaines plus tard des gratifications d’un montant record, supérieur à 140 milliards de dollars. Tout cela dans le plus grand respect des décisions du G20 : celles-ci ne prévoient pas, en effet, de limiter le montant des  « bonus », encore moins d’empêcher les banques de chercher des profits faciles dans le financement d’opérations spéculatives. Au contraire, elles imposent que les bonus soient « justifiés » par la rentabilité des placements réalisés par le bénéficiaire…

Fonds propres  : le concours de beauté des financiers

En réalité, le motif majeur de tension entre les deux rives de l’Atlantique portait sur la réglementation internationale censée dissuader les banques de prendre des risques inconsidérés. Les États-Unis menaient campagne pour l’instauration d’un « ratio d’effet de levier », c’està-dire d’une obligation de maintenir un niveau de fonds propres proportionnel au total de leur bilan. En réalité, une telle règle n’inciterait pas les banques à réorienter les crédits vers le financement des investissements porteurs de progrès de l’emploi, de la formation et de la création efficace de valeur ajoutée. Elle constituerait plutôt un aiguillon puissant pour les orienter vers les opérations les plus favorables à l’accroissement du capital des banques, c’est-à-dire les plus rentables (comme la spéculation sur les titres représentatifs de prêts subprime  titrisés l’a été… jusqu’à la crise). Les Européens trouvent cet instrument trop fruste. « Une banque peut avoir un fort effet de levier tout en ayant des actifs très solides, tandis qu’une autre peut avoir un faible effet de levier, mais basé sur des actifs dangereux  », a observé Jacques de Larosière, l’ancien directeur général du FMI, qui inspire les positions de l’Union européenne sur le sujet. Les ministres des Finances et les banques centrales d’Europe préfèrent une réglementation plus perfectionnée, qui permet de moduler les exigences de fonds propres en fonction du risque présenté par les différents placements figurant à l’actif des banques : le ratio de solvabilité dit de « Bâle  2 ». Celui-ci est négocié depuis des années par les organismes de supervision bancaire des principales puissances financières et appliqué en Europe dès 2008. Concession  de Barack Obama, les États-Unis ont accepté l’entrée en vigueur de « Bâle 2 » en 2011 pour les banques américaines. En revanche, ils ont obtenu un succès tangible sur le point qui leur tenait le plus à cœur : l’instauration d’un « ratio d’effet de levier »  pour toutes les banques. Globalement, le G20 a décidé  que les exigences  de fonds propres pesant sur les banques seront renforcées, y compris dans la réglementation du comité de Bâle.

Il ne faut pas chercher plus loin les raisons qui poussent celles-ci, dans les pays anglo-saxons comme dans la zone euro, à émettre de nouvelles actions pour remplacer les fonds apportés par les États après la faillite de Lehman Brothers et pour renforcer leurs fonds propres. Chaque établissement veut pouvoir exhiber un ratio de fonds propres plus élevé que celui de ses concurrents. Non pas tant comme gage de sécurité (les banques qui ont le plus souffert de la crise des subprimes sont souvent celles qui avaient le plus de fonds propres !) mais surtout comme signe de rentabilité élevée, propre à attirer les actionnaires. Voilà qui nous promet de prochaines crises financières encore plus dangereuses que celle des subprimes.

L’épée de Damoclès du dollar

Sur les autres sujets de l’actualité – conjoncture économique, emploi sinistré, nécessité de maintenir les mesures de relance économique, dans le cadre d’une coopération pour réduire les déséquilibres internationaux – le communiqué du G20 se contente de déclarations d’intentions qui ne feront pas date dans l’histoire des sommets internationaux.

Cependant, l’une des principales menaces qui pèsent sur l’économie mondiale – le risque d’une fuite devant le dollar – n’a pas tardé à se rappeler au souvenir des marchés et des gouvernements, au point que le thème de la « guerre des monnaies » est désormais à la « une  » des journaux (1).

On sait qu’une part essentielle de responsabilité dans la crise actuelle incombe aux autorités monétaires américaines. À partir de 2002, inquiètes des menaces de krach boursier ou immobilier que l’exubérance irrationnelle des marchés financiers faisait déjà peser sur la croissance, elles ont massivement alimenté les marchés en liquidités, en stimulant une vive création de dollars.

Cette politique a beaucoup contribué à nourrir la bulle immobilière et financière qui a éclaté en 2007. Elle a aussi poussé le dollar à la baisse sur le marché des changes. L’intérêt pour les États-Unis d’un dollar bon marché résidait dans le gain de compétitivité qu’il conférait à leurs productions en comparaison de celles des autres puissances industrielles – Europe, Japon et, de plus en plus, Chine. À l’inverse, vu que leurs marchés et leurs emplois dépendent énormément de leurs exportations, les puissances asiatiques ont choisi de s’opposer à la baisse de la monnaie américaine, en inondant à leur tour l’économie de leur propre monnaie. À partir de 2005, la Chine a fait preuve d’une certaine conscience de ses responsabilités internationales, en orchestrant  une remontée régulière du cours du renminbi  – mais elle a stoppé ce mouvement au moment de la crise des subprimes.

Seulement, toutes les monnaies ne peuvent pas baisser en même temps : il a fallu que l’une d’entre elles monte, et ce fut l’euro – car l’Union européenne, elle, reste empêtrée dans une construction monétaire fondée sur le dogme de l’« euro fort ». En réalité, le maintien d’un taux de change élevé vise à rivaliser avec la place financière américaine dans l’attraction  de capitaux à la recherche de rentabilité.

Au plus fort de la crise financière, le dollar a remonté en flèche, car les financiers inquiets pour le rendement de leurs placements se sont réfugiés dans ce qui apparaît comme les valeurs les plus sûres du monde : les titres de la dette publique américaine. Mais maintenant que les marchés sont calmés, les mêmes financiers sont sensibles à un autre élément nouveau : les taux d’intérêt à court terme américains sont proches de zéro. Les actifs en dollars rapportent très peu ; il devient intéressant d’emprunter dans cette monnaie pour prêter dans une autre (l’euro, le dollar australien…), qui offre une rémunération supérieure et dont le cours tend à s’apprécier. La menace qui hante les dirigeants de l’économie mondiale depuis quarante ans, celle d’une fuite incontrôlée devant le dollar qui sert de base à tout le système monétaire international, n’a jamais semblé aussi près de se réaliser.

La solution est connue : un repli ordonné du dollar accompagnant son remplacement, dans le rôle de monnaie commune mondiale, par un nouvel instrument qui pourrait être créé en développant le rôle des droits de tirage spéciaux (DTS). Les propositions du gouverneur de la Banque populaire de Chine et d’autres responsables des pays « émergents » vont dans ce sens. Le rapport de la commission Stiglitz de l’ONU également. De fait, la crise a conduit le FMI à émettre des DTS pour un montant total de 283 milliards de dollars, pour la première fois depuis 1981. Elle a réactivé les efforts de coopération monétaire dans différentes zones (Asie, Proche-Orient et surtout Amérique latine).

Mais les Américains s’opposent farouchement à tout ce qui pourrait mettre en cause leur hégémonie monétaire. Aussi les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales du G7, réunis le 3 octobre, n’ont-ils annoncé aucune mesure significative pour maîtriser les mouvements du marché des changes. La poursuite de la guerre des monnaies – avec ses conséquences potentiellement dévastatrices – reste donc, à court terme, l’hypothèse la plus probable. En attendant que les futurs développements de la crise rendent encore plus évidente la nécessité de mesures mettant radicalement en cause le fonctionnement du capitalisme financiarisé, par la conquête de nouveaux pouvoirs pour les peuples, les mettant en état de mobiliser les moyens financiers au service de nouveaux objectifs sociaux.

(1) Yves Dimicoli, « Crise du dollar et besoin de révolution monétaire »,

Économie et Politique, n° 640-641, novembre-décembre 2007.

 

Cours du dollar en euros

voir PDF

 

 

 

Une expertise d'entreprise pour comprendre, proposer et agir

Par Ivorra Pierre , Frédéric Boccara, Laridan Claude , Deweirder Damien , Boccara Frédéric, le 01 August 2009

Une expertise d'entreprise pour comprendre, proposer et agir

Table ronde avec Claude  Laridan expert comptable, Pierre Ivorra économiste, Damien Deweirder syndicaliste, Frédéric Boccara économiste statisticien, Alain Morin, rédacteur en chef d’ Économie et Politique.

Claude Laridan :

Avec l'expertise d'entreprise, il s'agit de comprendre ce qui se passe dans l'entreprise.  Il ne s'agit pas de faire une analyse des comptes à la méthode patronale avec des critères  de gestion patronaux, mais bien de donner un éclairage pour faire parler les chiffres de manière différente.

Par exemple nous bâtissons notre raisonnement sur la création  de valeur ajoutée et sur les moyens de développer l'entreprise à partir de cela. Et non pas sur les aspects uniquement de rentabilité financière pour l'actionnaire ou plus-value pour l'actionnaire. C'est-àdire tous les critères anglo-saxons qui sont aujourd'hui colportés plus ou moins par les grands cabinets d'expertise.

Les limites de l'expertise dans la gestion sont aussi liées à l'encadrement professionnel de notre métier. On est soumis à des règles professionnelles qui essayent au maximum d'encadrer notre travail. Il y a des normes et l'on demande à l'expert-comptable de rendre intelligibles les comptes avec une approche à plat.

D'où l'intérêt pour nous d'avoir  une méthodologie d'analyse qui soit différente de celle pratiquée par des directions d'entreprise tout en restant dans les limites de l'exercice.

Ce qui n'est pas facile, c'est de jongler avec la déontologie, les règles qui sont imposées dans la profession et en même temps donner un éclairage différent de ce qu'est la gestion d'entreprise  pour  le compte des salariés.

Pierre Ivorra :

Il faut voir d'où l'on part. Le droit  français en la matière est sans doute le plus avancé en Europe. C'est un acquis parce que le législateur  reconnaît le droit  pour les salariés de requérir un avis qui peut être indépendant  des directions.

Dans une démarche qui vise à aller vers l'autogestion, c'est intéressant.

L'enjeu, c'est la possibilité d'avoir une expertise différente sur des critères différents de ceux de la rentabilité financière. Le problème c'est cette recherche d'une analyse différente, avec les préoccupations des salariés et, éventuellement leurs luttes; et voir en quoi cela peut même aider ces luttes sans perdre de vue que l'expert doit rester à sa place. Ce n'est pas un syndicaliste. Ce n'est pas à lui de proposer  des thèmes de lutte. Les limites : certes, le droit français est plus avancé, mais il y a aussi des limites  dues à l’opposition de nombre de direction vis à vis de l’intervention des salariés dans la gestion. Il y a aussi les limites  qui touchent à la culture dans le monde syndical et salarié et à une tendance encore à penser que la gestion c'est l'affaire des patrons.

Il y a aussi, la faiblesse de l'enracinement syndical et les insuffisances du nombre de CE qui ont recours à l'expert pour l'instant.

Dans la crise certains CE commencent à s'engager dans ce sens. Enfin, il y a aussi les cabinets euxmêmes qui ont leurs limites

Damien Deweirder :

Mon d'expérience, comme syndicaliste  de la SNECMA à Gennevilliers, montre que l'on a besoin de comprendre les enjeux économiques de l'entreprise. Cela commence par la connaissance des marchés, du suivi  de l'activité  des compagnies aériennes.

On a besoin de comprendre  la réalité économique alors que l'employeur  balade les salariés. Il faut mesurer la complexité  de cet exercice où il faut prendre en compte à la fois les comptes de l'établissement de Gennevilliers, ceux de la SNECMA, sa maison mère, et aussi ceux du groupe Safran dans lequel sont intégrés les deux entités.

Et on a aussi besoin d'expertise pour la crédibilité, la cohérence et la présentation de contrepropositions des salariés. Par exemple chez nous, nous avons lancé l'idée de la production d'une pièce maîtresse du moteur d'avion en recourant à une nouvelle technologie mise au point à la SNECMA et dont le brevet lui appartient.

Cela concerne la réalisation d'une aube de moteur composite avec des matériaux nouveaux permettant d'économiser beaucoup d'énergie. L'expertise doit répondre à toutes les questions  posées par un tel projet  : a-t-on les terrains,  quelles compétences, quelles formations, quels investissements à réaliser, quels partenaires ?...

C'est une utilisation offensive de l'expertise contrairement aux recours habituels qui concernent surtout les situations  de difficultés  de l'entreprise  et des batailles défensives.

Frédéric Boccara :

Mon approche de l'expertise est plutôt  celle d'un militant politique et d'un économiste INSEE statisticien. Ce que je vois c'est plusieurs types de besoin :

Besoin de critères  d'analyse pour identifier des choses spécifiques qui  sont exclues des documents de l'entreprise.  Soit comptables, soit de fond. besoin de croiser une culture allant de l'ouvrier à l'ingénieur, d'un côté, avec une culture  économique.

Sur le contenu, premièrement,  besoin de plus de chiffres sur le capital, de chiffres sur l’utilisation de « l'information » au sein de l’entreprise : utilisation des technologies,  des  brevets,  des  résultats  de recherches, par telle ou telle filiale, ignorés dans les documents de gestion. Cela nécessiterait d’élaborer des cadres de présentation alternatifs sur ces sujets. Ou encore il faudrait des informations  sur l'implication  des hommes, sur la formation,  les ressources humaines, la place des précaires dans la production elle-même. On peut aussi citer le besoin de présentations  spécifiques sur le recours aux consommations intermédiaires  matérielles, les gâchis d'équipement, les gâchis de matières, ainsi que d’éléments permettant  de comprendre  la circulation des ressources et des revenus entre les filiales. Deuxièmement, la difficulté pour intégrer ces besoins, c'est l'étroitesse du cadre comptable qui doit certes être critiqué  mais qui peut être beaucoup mieux utilisé,  cela dépend des experts, mieux utilisé  au regard de l'exigence de mieux connaître  la valeur ajoutée, où elle se situe, comment elle a été produite, avec toutes les ambivalences entre production de richesses et production de valeur ajoutée. De même pour le profit ne pas s'en tenir au profit d'exploitation, mais aussi de prendre en compte les profits financiers (qui sont présents dans les documents comptables),

Il s’agit de sortir de la façon dominante d’utiliser le cadre comptable afin d’analyser – et éventuellement de dénoncerles coûts du capital,  les gâchis des exonérations fiscales et sociales, des aides publiques, éléments qui ne sont pas ou très mal intégrés dans la démarche comptable actuelle. Tout comme les découpages des sociétés ou les contributions des banques.

Troisième besoin et troisième limite  : un cadrage d'ensemble plus macroéconomique et conjoncturel, alors que celui-ci est souvent réduit à un marché propre  à un secteur, à une filière. Il s’agirait d’aller jusqu'à l'utilisateur final.

Quatrième limite : de quoi parle-t-on ? du déjà joué ? des propositions ? d'un diagnostic qui est entre les deux ? Ce n'est pas la même chose et ça change la façon dont on fait l'expertise. Et ce dont ont besoin les salariés. Par exemple, lors d'une rencontre européenne sur Airbus, il y a deux ans à Bruxelles, les Allemands disaient «On a la cogestion, et en même temps on ne peut pas parler des investissements, c’est le monopole patronal.  Par contre  nous sommes intéressés par ce que dit la CGT qui, elle, parle de financement et l'investissement».

Entre l'état des lieux, d'un côté, et les propositions que l'on avance, il y a un entre-deux : les investissements et les financements qui ont besoin d'expertise.

Cinquièmement, la question de la culture. La culture de l'expert et la culture  de ceux avec qui l'expert dialogue sont différentes, les apports des uns et des autres doivent être pris en compte. Pour la compréhension de ce que dit la direction, l'analyse avec un autre regard est nécessaire pour aider les salariés à dire dans quel sens on veut que l'entreprise  s'engage. Il s’agit de pousser l’idée que si les salariés font appel à un expert qui n’est pas patronal, c’est parce qu’ils ont une autre façon de voir. Ce n’est pas pour qu’on leur propose une façon de mieux faire de la rentabilité patronale, mais, bien au contraire, pour une analyse et des pistes de contre-propositions, selon d’autres critères visant le développement des salariés, celui des territoires, etc. Or c’est antinomique avec les critères patronaux de rentabilité.

Damien Deweirder :

Dépenses cachées et absence de vision générale

On ne peut s'en tenir  aux chiffres globaux. Par exemple, pour la formation, on doit savoir combien de cadres et d'ouvriers,  en bénéficient, combien de jours, etc. Tout cela est caché aux salariés.

Avant, on avait une vision au niveau du site: on fait un moteur, il y a une série d'éléments pour le construire, il y avait une autorité locale de site.

Aujourd'hui on est organisé en ligne de produits. Les éléments sont fabriqués dans plusieurs sites. Et les décisions qui concernent  ces modules de production  n'appartiennent plus au site, on n’a plus une vision générale, sur le programme, sur la charge de travail, sur le nombre de salariés nécessaires, et donc sur les embauches à réaliser. Si l'on n'a pas la charge de manière fine et précise, on ne saura pas combien de salariés sont nécessaires.

Claude Laridan :

Sortir des limites : tout est décidé en amont

Je partage l'idée que le droit  à l'information des comités d'entreprise est assez important. La limite de l'exercice tient  au fait que les gens disposent  d'informations, mais par contre qu'on ne leur demande surtout pas leur avis, sinon pour valider les choix des directions.

C'est pourquoi il faut que l'on rebâtisse bien tous les types d'intervention nécessaire des comités d'entreprise en fonction des problèmes qui sont posés. Par exemple sur l'examen annuel des comptes, certes le plan comptable  français a des limites,  mais il est beaucoup plus riche que le plan comptable  anglosaxon en matière d'information et de décryptage des réalités.

On a une originalité  dans la manière d'aborder  la gestion qui permet de bâtir d'autres critères.

Il y a aussi toutes les informations  données par les comptes prévisionnels, qui donnent des tendances. Il y a encore un autre type de mission utile dans notre travail pour permettre aux salariés de s'approprier les enjeux de gestion: c'est le droit d'alerte à condition de commencer  à positionner ce dispositif  autrement que comme des lances à incendie  devant le feu. Aujourd'hui on commence à bâtir des interventions dans la gestion à partir du droit d'alerte permettant de faire mesurer les conséquences des choix  de gestion du patronat dans les entreprises en montrant, par exemple, l'étendue des dysfonctionnements, des gâchis et les conséquences en termes de perte de substance et même financière. En chiffrant les coûts de ces déperditions,  on peut ainsi souligner l'inefficacité des gestions patronales dans l'utilisation du travail et les gâchis humains qui s'en suivent.

C'est pourquoi  il faut bien voir  qu'en fonction  des objectifs que l'on poursuit, il faut adapter les types de missions à développer.

Je voudrais  insister  aussi sur le fait que dans de grands groupes, il ne faut pas se limiter  à raisonner au seul niveau de l'entreprise,  mais bien d'élargir le champ en fonction de la chaîne de création de valeur et ne pas polariser sur une entreprise. Par exemple, dans l'automobile  on ne doit  pas se limiter  qu'aux constructeurs qui sont en général très rentables, mais voir toute la filière (équipementiers,  sous-traitants,) qui participent au processus et il y a tout un raisonnement à avoir sur la manière de construire les critères de gestion en ne se limitant pas seulement à ce que fait le constructeur.

Pierre Ivorra :

Certains points semblent acquis

Il y a d'abord le préalable : l'exigence d'experts indépendants des directions.

Secondement : il faut aller au-delà de l'expertise comptable traditionnelle. Il faut un regard économique. Il est nécessaire de croiser l'analyse de l'expert de l'entreprise, celle de l'expert du CHSCT, de combiner les approches et les types de missions. Il y a ce que peut apporter  le droit  d'alerte, l'intervention de l'expert dans les négociations de la gestion prévisionnelle  de l'emploi et des compétences (GPEC).

Pour les salariés, les élus et aussi l'expert, une question est stratégique, c'est l'exigence d'intervenir en amont des décisions. Dans un plan social, souvent « les carottes sont cuites » et la bataille est défensive. C'est pourquoi  il faut intervenir en amont, ce qui suppose une mobilisation du mouvement syndical et de toutes les forces progressistes qui interviennent dans l'entreprise. Ce qui suppose une certaine révolution  culturelle,  exige de considérer que la gestion n'est pas que l'affaire  des directions  et qu'il  est possible d'être porteur  de propositions en matière industrielle, mais aussi en matière de financement et d'action sur les ressources de l'entreprise, etc..

Il y a une tradition dans le mouvement ouvrier, qui est positive et a beaucoup apporté, celle de l'alliance de l'ouvrier et de l'ingénieur. Il y a aujourd'hui  besoin d'une alliance de l'ouvrier et de l'ingénieur, mais aussi avec le gestionnaire tout  comme avec les salariés des banques qui financent l'entreprise.

Au risque de choquer, même si ,déjà, l'appel à l'expert ouvre beaucoup de possibilités aux salariés, sans se faire d'illusions  car beaucoup dépend effectivement des luttes, on est encore dans la préhistoire de l'expertise. Le besoin de recours à l'expertise, avec les salariés et leurs élus, va s'accroître  considérablement. Ainsi, par exemple,dans les perspectives  de construction de Fonds régionaux pour sécuriser l'emploi  et la formation,  une maîtrise plus grande des salariés et des élus nécessitera d'articuler l'activité des conférences régionales, par exemple, avec les projets des entreprises.  Pour cela il y aura besoin, à un moment donné, de faire appel à l'expert. On est au début de quelque chose.

Frédéric Boccara :

Sortir des gâchis

Il y a les gâchis humains et de compétences, les gâchis d'efficacité dus à la bureaucratie, à la pressurisation  du travail, mais aussi le problème de l'efficacité du capital à ne pas lâcher dans l'analyse. C'est décisif.

Je pose la question : comment utiliser toute la richesse du plan comptable français, (valeur ajoutée, ...), issu de luttes sociales que nous avons marquées (la Résistance et 1981) et qui est d'ailleurs remis en cause à la fois par les nouvelles normes comptables US et par d'autres transformations objectives que la comptabilité d'entreprise appréhende mal -filialisations, mondialisation, montée de l'informationnel, comme la recherche, etc..

Ainsi, par exemple chez Michelin, les résultats de la recherche à Clermont-Ferrand pour concevoir  des pneus, seront transférés gratuitement au Brésil sous forme de formule chimique et de spécification d’utilisation des machines, mais ils seront payés à cette filiale quand les pneus seront rachetés par l'entreprise en France. On se heurte à une scission entre la connaissance « production » et la connaissance « financement ».

Ainsi, on peut connaître certains coûts de production, mais la façon dont vont être « éclatées » dans la comptabilité  les charges financières liées à l'investissement, restera obscure, car la direction refusera de communiquer ces chiffres. Il y a un enjeu considérable sur la finance .

Certes, le débat expert syndicaliste est important, mais il y a un tri -pôle à constituer  avec les intervenants politiques.  En tant  que membre du parti communiste et statisticien  public, je pense qu'il est important que les éléments d'expertise deviennent des données publiques  à débattre  au niveau des bassins d'emploi et dans la société. Car il y a besoin avant tout  d'une discussion  sur cette information. En en faisant un débat public,  on peut même ainsi dépasser certaines limites des expertises.

Damien Deweirder :

On sent le besoin dans les comités interentreprises, notamment sur les sites où on utilise beaucoup les sous-traitants, où les intérimaires travaillent en permanence sur le lieu de production parce qu'il y a les décisions des grands groupes qui influent sur la vie des salariés des sous-traitants,  des fournisseurs,  etc.

Claude Laridan :

Les liens experts-salariés

La question de ces liens expertssalariés-(le syndicat est directement lié aux différences de type d'approche des questions de l'intervention dans les gestions. Il y a effectivement des experts qui se disent : « on est des experts, on fait à votre  place, on vous donne un produit fini, et avec cela vous pouvez vous battre». Ce n'est pas notre démarche, nous voulons construire conjointement l'analyse et les perspectives.

Ce n'est pas une bonne approche que de considérer que lorsqu'il y a un PSE, sigle à définir l'expert prend en charge, négocie des propositions. Ce n'est pas le rôle de l'expert. L'expert doit aider le CE à démonter l'argumentation économique de la direction. Il n'est pas là pour servir  de relais entre la direction et le comité d'entreprise.  C'est dans le débat qu'il  faut construire l'expertise.

On a le même problème avec les élus. Certains nous disent, on vous donne une mission d'expertise : donc on attend un produit fini. Ce n'est pas une bonne démarche. Car l'expert n'est qu'un outil qui amène des matériaux  et des connaissances, mais l'élu doit apporter  lui aussi ses connaissances et y compris être critique, avoir du recul sur le travail de l'expert. Sur les Fonds régionaux, par exemple, si on fait faire une expertise par les grands cabinets anglo-saxons, ceux-ci auront les mêmes procédures et les mêmes critères de gestion pour les fonds publics que ceux qui sont aujourd'hui  appliqués par le patronat  dans les entreprises.

Ainsi, dans cette affaire, ce n'est pas que la responsabilité de l'expert, mais aussi la responsabilité des élus et des syndicalistes  d'avoir une certaine autonomie d'analyse qui leur permette avec l'expert de dialoguer  avec l'expert.  Et non pas dépendre de l'expert.

Pierre Ivorra :

On travaille sur de l'information, et une des limites à cette information, c'est l'attitude des directions. Dans les grands groupes, et il y a des organisations syndicales, des traditions de lutte, qui imposent certaines pratiques. Mais dans certaines PME, l'expertise est un vrai combat. L'accès à l'information nécessite de saisir la justice en référé. Ou alors il y a le chantage : « la somme que je pourrais donner à l'expert, je vous la donne sous forme de primes » aux salariés. Il y a de grands groupes qui, par exemple dans l'édition, refusent de donner à certains comités d'entreprise  l'information en disant : «On est coté en bourse donc si on donne une information cela risque de perturber le cours de l'action. Donc on ne vous donnera pas l'information». Une vraie bataille doit être menée pour repousser les limites  imposées à l'expertise  et à l'accès des salariés aux informations.

Claude Laridan :

Sur la culture de gestion

Il faut aussi que les structures, qu'elles soient syndicales ou autres, se dotent  elles-mêmes de référentiels d'analyse et de réflexion favorisant  effectivement une autre manière d'aborder  la gestion des entreprises. Pour moi, comme ceux qui sont autour de la table, Marx n'est pas encore mort. Et on a encore beaucoup à apprendre du marxisme en matière d'analyse des rouages de l'entreprise  et de l'économie de marché capitaliste.

Si on veut que les salariés soient le plus efficace possible dans leurs interventions, qu'ils  puissent décrypter la gestion, la démonter, il ne faut pas rester qu'à l'apparence des choses, mais comprendre  les lois qui régissent le système pour  chercher  à les maîtriser et à les dépasser.

Ce sont les structures  syndicales qui doivent  le construire, même si nous-mêmes nous pouvons aussi y contribuer. Donc, besoin de beaucoup de pédagogie et de formation.

Frédéric Boccara :

La question des contenus

Il faut insister sur le fait qu'une expertise qui ne parle pas de l'efficacité du capital, qui ne dénonce pas les gâchis du capital, n'est pas dans le coup.

Il y a une façon pédagogique simple de commencer à manier cela : productivité du travail (valeur ajoutée par tête) opposée à productivité du capital (valeur ajoutée par euros de capital,  et en déclinant  par exemple productivité du capital matériel et productivité du capital financier, etc. . Il y aurait sans doute besoin que l'on identifie quelques éléments qui donnent des points de repère sur le capital (capital financier, capital matériel) en lien avec les ressources humaines et le vécu des salariés.

Damien Deweirder :

Attention, cette acquisition des savoirs doit se faire de manière progressive, pédagogique et à partir de l'expérience vécue des salariés. Évitons de présenter de manière complètement  achevée des éléments, des analyses et des conclusions que les gens ne sont pas capables de maîtriser. Évitons de faire comme la direction et qui est vécu comme inaccessibles par les salariés. Si l'on veut que le maximum de salariés s'approprient les analyses pour s'engager sur des projets concrets, des propositions alternatives, en ayant la conviction qu'il est possible d'infléchir les choix de la direction. Pour cela, partons de leur expérience concrète comme, par exemple, les taux de rebuts phénoménaux liés à la politique de sous-traitance à tout prix, ou le refus des transferts de compétences des salariés partant à la retraite,

Frédéric Boccara :

Il y a un problème de donner du sens à la compréhension de ce qui se passe. Et si on ne fait que de présenter des éléments pointillistes. Cela ne donne pas le sens.

Le problème, ce n'est pas que nous soyons meilleurs gestionnaires que les directions  dans leur gestion selon les mêmes critères  et objectifs. Il ne faut pas qu'on alimente cela. Il y a eu souvent cette idée chez des syndicalistes  que l'on allait  faire mieux de la rentabilité que la direction. Non, en réalité, il faut prendre conscience que, implicitement ou explicitement, il s’agit de viser d’autres critères, qui leur sont opposés.

Pierre Ivorra :

La question droit à l'information sur les comptes de sociétés interpelle toute la société et la population. Ce n'est pas que l'intérêt des élus et des salariés, c'est l'intérêt de toute la société parce que cela touche à une affaire qui est une affaire de toute la société: l'accès à la création de la richesse.

On intervient comme expert dans des sociétés qui sont des sous-traitants français, en concurrence avec une filiale en Allemagne, une filiale aux États-Unis... Dans le cadre de la mondialisation,  sans prendre en compte le mouvement du dollar, les coûts globaux de recherche, ou les coûts en capital, les directions affirment : « vous n'êtes pas rentables », mais sans aucun élément pour en juger. Il faut qu'elles mettent sur la table les données qui permettent  de voir où en est chacun en termes de compétitivité

Damien Deweirder :

SNECMA fait faire des pièces à des sous-traitants, mais le traitement  des rebuts, des non-conformités, les coûts des ingénieurs qu'on paye pour faire les calculs servant à réparer les pièces et à les vendre, ne sont pas imputés sur le sous-traitant, mais ils sont pris en charge par la maison-mère. Cela illustre  ce qui vient d'être dit.

Pierre Ivorra :

Les procès de production sont beaucoup plus complexes avec la mondialisation.

Aujourd'hui on est au début de ce que devrait être une expertise.  On n'a pas toujours  les outils,  ni les hommes. Les écoles de formation  classiques ne prédisposent pas à intervenir avec une indépendance d'esprit et de culture vis-à-vis des directions

Il faut voir la complexité aujourd'hui à embaucher des jeunes, à les former. Cela interpelle la société à tous les niveaux. Sans parler des normes comptables qui sont aussi un problème important.

 

Claude Laridan :

Sur les normes comptables

Aujourd'hui elles ne sont pas établies pour être une source d'information des salariés. Elles sont construites  pour répondre aux attentes des places financières. La manière de présenter les comptes, même dans les normes françaises, c'est dans une logique de marché, une logique résiduelle. C'est-àdire le profit en bout de course. Le reste est considéré comme secondaire. Si on veut effectivement que l'information  financière soit différente,  il y a aussi un travail  à faire sur les normes. Mais l'élaboration  de normes alternatives pourrait se faire avec les experts. Parce que, les écoles qui forment  aujourd'hui  des experts-comptables  ou des experts financiers  en général sont bien branchées sur la rentabilité financière. Au-delà du recul du marxisme dans la formation. Pour ma part, je dis toujours  que je ne suis pas un expert comptable qui vient travailler avec les gens de la CGT, mais je suis un militant CGT qui est devenu expert-comptable.  On ne part pas ainsi du même postulat  au départ.  C'est vrai qu'aujourd'hui dans nos cabinets, la difficulté  c'est bien de trouver des intervenants qui ne sortent pas uniquement du milieu universitaire et qui n'ont qu'un aspect de l'approche de la gestion. Il ne suffit pas de dire que je suis vaguement de gauche, donc je serais un bon expert de comités d'entreprise.

Dans la social-démocratie,  malheureusement, il y a beaucoup de gens qui considèrent que les critères de la rentabilité financière sont indépassables. Si on analyse les comptes des entreprises avec cet œil-là, quelles que soient la bonne volonté et l'affirmation de sa proximité avec les salariés, cela ne suffira pas pour répondre aux exigences du débat actuel.

Frédéric Boccara :

Le service public de l'information économique. Pour un vrai service public  d’aide à l’intervention des salariés.

Il faut donc poser l'exigence d'un vrai service public d'aide à l'intervention des salariés dans la gestion des entreprises. La Banque de France par exemple, avec son système de notation  des entreprises, son système Géode d'analyse des comptes des entreprises et même l'INSEE devraient pouvoir être mis à contribution dans l'examen de la productivité du capital par exemple.

Cela pour répondre aux demandes des salariés et des collectivités territoriales. Si on a des institutions territoriales qui regardent la gestion des entreprises, avec un espace public et social de débat qui se crée, il y aura besoin de ce type d'outil.

Un tel service public doit évidemment coexister dans la pluralité avec d'autres intervenants privés car dans ce domaine ce n'est pas de parole unique de l'État et du service public dont on a besoin.

Damien Deweirder :

Cela donnera aussi des outils et des moyens pour les salariés des petites et moyennes entreprises.

Économie et Politique.

Les collectivités territoriales et l’expertise

Les collectivités territoriales sont extrêmement sollicitées pour accorder des aides publiques aux entreprises. Quel rôle de l'expertise dans la maîtrise par les élus pour rendre efficaces ces interventions ?

Claude Laridan :

Aujourd'hui, l'intervention des collectivités territoriales pour aider les entreprises doit se construire sur la base d'une convention d'objectifs. Il ne s'agit pas de donner de l'argent et de s'en tenir à un compte-rendu de son utilisation trois ou quatre ans plus tard.

Il s'agit au contraire  d'un processus d'accompagnement sous le contrôle  des salariés et des élus des comités d'entreprise  sur l'utilisation de ces fonds publics à chaque étape. Avec un bilan d'étape annuelle discuté dans le comité d'entreprise avec un avis de ce dernier sur l'utilisation de ces fonds.

Frédéric Boccara :

De même, il doit y avoir la possibilité à chaque instant pour les salariés d'utiliser une saisine en cas de nonrespect éventuel des objectifs de telles conventions. Cela pose la question du lien entre le droit, l'institutionnel et le comptable.

Claude Laridan :

Des besoins nouveaux

Les comités d'entreprise  doivent disposer de droits de veto sur les décisions prises et avant qu'elles ne s'appliquent.  En 2002, sur les plans sociaux, on ne devait pas appliquer de plans de licenciements tant que les toutes les mesures alternatives n'avaient pas été mises en œuvre. Cette démarche-là doit  être gardée. Il faut aussi que ce droit de veto des CE et des IRP puisse s'exercer à tous les stades d'un processus et pas seulement pour le PSE. Mais aussi pour les choix  d'investissement,  pour  le choix  d'utilisation d'argent, pour le choix de développement. Il ne faut pas que la GPEC soit un instrument uniquement pour gérer le départ des gens, mais examine de quelles qualifications on a besoin, comment on met en place les moyens, quel emploi il faut créer. Ce sont les aspects sur lesquels les droits  des délégués élus doivent être renforcés. Non pas seulement en termes d'information. On informe, on débat, on demande un avis, mais une fois que l'avis est donné, on passe à autre chose sans en tenir compte.

Damien Deweirder :

La GPEC doit aussi s'appuyer sur des projets industriels.

Pierre Ivorra :

Il y a tout un champ qui s'ouvre : pourquoi un maire communiste, par exemple, ne ferait pas une conférence annuelle des comités d'entreprise  pour faire l'état des lieux de l'emploi et de la formation.  Et les experts auraient un rôle à jouer dans ce projet. Le rôle des élus sur l'emploi est appelé à s'accroître.

Frédéric Boccara :

Dès lors, que l'on commence à faire monter la possibilité  de financements alternatifs,  des investissements alternatifs  par des Fonds régionaux, même limités, forcément se posent beaucoup plus les questions du suivi, de l'examen. Dépassant le seul droit de veto, il s'agit de s'interroger sur quelles orientations, quelles interventions. La fausse alternative entre le «  j'accepte ou je mets le veto » pourrait ainsi être dépassée.

Transformations et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative ?De nouveaux textes

Par Paul Boccara, le 31 juillet 2009

Transformations et crise du capitalisme  mondialisé. Quelle alternative ?De nouveaux textes

L’ouvrage Transformations et crise du capitalisme mondialisé. Quelle alternative ? de Paul Boccara, publié en septembre 2008 par Le Temps des Cerises, a été épuisé au bout de quelques mois. Il a été largement  vérifié  après sa publication, aussi bien dans son analyse de la gravité de la crise financière de 2007-2008, avec son amplification ultérieure et la récession mondiale de 2009, que dans ses propositions. Il s’agit, en particulier,  de la proposition d’une monnaie commune mondiale autre que le dollar, avec la demande chinoise allant dans le même sens en 2009.

La deuxième édition actualisée comprend une série de compléments qui l’enrichissent considérablement. Cela concerne notamment l’analyse du tournant de 2007 à 2009 dans la crise systémique, avec l’éclatement des surendettements, la montée des endettements publics et des interventions étatiques pour le soutien de banques et pour les plans de relance, l’action du G20 ainsi que celle du FMI. Sont aussi analysés les nouveaux risques de l’excès des titres de dettes publiques et de l’inflation du dollar.  Sont encore précisées les propositionscomme celles d’autres critères d’utilisation des fonds ou d’une autre monnaie internationale pour un nouveau crédit et pour l’expansion des services publics à l’échelle mondiale. L’ouvrage aide ainsi à mieux comprendre les perspectives, y compris celles de croissance molle et de rechute aggravée en cas de reprise. Il précise les exigences d’interventions nouvelles pour les luttes en cours.

Nous donnons ici quelques extraits des ajouts de la 2ème  édition, concernant un point particulier de chacune des trois grandes parties du livre.

Extraits des additions au livre de Paul Boccara, 2ème  édition actualisée, Transformations et crise du

capitalisme mondialisé. Quelle alternative ? Le Temps des Cerises, août 2009

Première partie

ÉLÉMENTS SUR LE CADRE THÉORIQUE ET IDÉOLOGIQUE DE L’ANALYSE

Retour en 2008-2009 des interventions publiques massives et des idées de Keynes. Insuffisances de ces retours face aux défis du tournant dans la crise systémique

Avec la crise financière  très profonde  de 2007-2008, puis la récession économique mondiale de 2009, on assiste à un tournant fondamental dans la crise systémique. On assiste aussi à une mutation dans les pratiques politiques,  avec le retour d’interventions  publiques  très massives dans l’économie, au niveau national  et au niveau international. Au plan des idées économiques, certains parlent du « grand retour » des idées de Keynes et de ses contemporains [Problèmes économiques 29 avril 2009  « Les  économistes face à la crise. Keynes le grand retour »]. De même, on compare la gravité extrême de la crise économique planétaire de 2009 et ses perspectives, à la crise de 1929 et à la dépression des années 1930.

Sur ces questions, on peut faire deux ensembles de remarques.

Premières remarques : ce qui domine, dans ces rappels, c’est une conception minimaliste des apports de Keynes, au lieu de leur développement.

On a, à la fois, une vision réductrice, par rapport à son audace, et aussi on ne voit pas ses profondes lacunes. Il s’agit, d’abord, d’une conception réductrice et superficielle, évoquant l’insuffisance de la demande et donc les besoins de dépenses budgétaires. Cela néglige la pointe avancée des propositions de Keynes, allant dans le sens des analyses néo-marxistes contemporaines sur la suraccumulation du capital et la régulation du système par le taux de profit. En effet, à propos de la dépression des années 1930, Keynes insistait  tout particulièrement sur la baisse de « l’efficacité marginale du capital », allant de pair avec la croissance de l’investissement, c’est à dire  la baisse du taux de profit  des derniers  investissements. Cela aurait réduit « l’incitation à investir » et entraîné la diminution de l’investissement, contribuant à déprimer la « demande globale » (demande d’investissement et de consommation),  et donc la croissance de l’emploi et du revenu. Et cela a renvoyé à sa proposition de développer les investissements publics, ne réclamant pas, précisément, l’efficacité marginale du capital, afin de relances durablement la demande globale et l’emploi. Cette proposition de solution correspond à notre analyse de la réduction des exigences de rentabilité des entreprises publiques, pour leur accumulation de capital, et à leur développement systématique dans le capitalisme monopoliste  d’Etat social, installé après la deuxième guerre mondiale. Cette solution  aurait contribué, toutefois, à la relance de l’accumulation privée, tout particulièrement des groupes monopolistes,  avec une longue phase d’expansion, jusqu’au retour de la suraccumulation durable et d’une nouvelle crise systémique, celle qui est en cours.

On ne voit pas aussi les graves lacunes de Keynes, plus ou moins traitées par ses contemporains, et auxquelles tente de répondre notre analyse néomarxiste. Il s’agit d’abord des lacunes concernant les technologies,  qu’évoquaient  à leur façon Kondratieff  ou Schumpeter. Et le traitement  des questions technologiques se situe dans le cadre de l’analyse des fluctuations cycliques  de longue période, dépassant celle de la seule dépression, avec une longue phase d’expansion à laquelle succède une longue phase de tendance aux difficultés  laquelle serait indéfiniment allongée de nos jours.

Cela concerne la lourdeur grandissante des investissements, notamment  en machines-outils  par rapport aux travailleurs producteurs et consommateurs, dans le même type de technologie. Cette lourdeur entraîne finalement le surinvestissement et la suraccumulation durable, caractérisant la tendance à la dépression de la crise systémique, comme celle de l’entre-deux guerre mondiale.

Et cela concerne également les nouvelles technologies mises en place pendant la crise systémique. Ces dernières, économisant  non seulement les travailleurs mais aussi les moyens matériels (et le travail contenu en eux) par rapport à la production, contribuent à déprimer  la demande globale relativement à la production et à provoquer  le chômage massif.

Cela renvoie encore à l’expansion possible ultérieure  de ces nouvelles technologies,  avec une transformation systémique et la relance durable de la demande globale. Et cela, grâce notamment à la réduction de l’exigence de rentabilité pour  les accumulations de capitaux des entreprises publiques, considérablement développées après la deuxième guerre mondiale Il s’agit, tout particulièrement,  des rationalisations à l’échelle nationale des industries  de réseaux, comme dans l’énergie (électricité) ou les transports (chemins de fer). Cela concerne les entreprises  nationalisées dans ces secteurs en Europe, où les « public utilities », subventionnées et encadrées publiquement aux Etats-Unis, à l’issue de la deuxième guerre mondiale. Cela concerne aussi l’expansion  des services publics, comme ceux d’éducation  et de santé, dans le capitalisme  monopoliste  d’État social. C’est encore tout le développement de la logistique  et des chaînes de production des groupes monopolistes privés.

On ne voit pas non plus les lacunes de Keynes se rapportant à la relance de la création monétaire et du crédit, avec le recul de l’or, réservé aux banques centrales, par le cours forcé des monnaies, la nationalisation des banques centrales et de nombreuses banques, jusqu’à l’institution du FMI et de l’étalon monétaire double, or et devises. Cependant, ces nouvelles conditions technologiques et institutionnelles d’accumulation, ou encore de création monétaire et de financement, vont conduire  à la longue, à la nouvelle suraccumulation durable et à la crise systémique en cours, ses nouvelles technologies, ses accumulations  financières, son chômage massif.

Deuxième ensemble de remarques : du rappel des idées d’Irving Fisher à l’hypothèse d’un tournant dans la crise systémique originale en cours

Outre le rappel des idées de Keynes, on évoque aussi en 2009, les idées d’Irving Fisher de 1933, sur le surendettement de 1929 et la « debt deflation » consécutive. Il s’agit de la réduction cumulative des dettes, de façon durable, après l’éclatement  du surendettement. Cette réduction est sensée entraîner la déflation des prix, la dépression de la demande et de la croissance de la production, relevant le poids relatif des dettes libellées en fonction des prix anciens et relançant donc encore le désendettement et la déflation[  Irving Fisher,

« The Debt Deflation Theory of the Great Depression », Econometrica, 1933]. D’où l’exigence d’une relance de la création monétaire, avec une émancipation accrue de l’or, afin de relancer la demande globale. On évoque ces analyses à propos des surendettements qui ont éclaté en 2007-2008, des réductions massives d’endettements  privés  et de la récession mondiale  de 2009, ainsi que des créations monétaires et des relances budgétaires nouvelles contre le recul de la production à l’échelle mondiale.

Mais on sous-estime sans doute la profondeur des défis du tournant de 2007-2009 dans la crise systémique. Ce tournant  serait, dans une certaine mesure, analogue à celui en partie  théorisé  par Irving Fisher pour 1929-32. Mais aussi, en se rapportant à la crise systémique radicale en cours et à son originalité,  marquée notamment par son allongement, ce tournant  mettrait  bien plus profondément en cause que dans les années 1930, la régulation  du système capitaliste  et le système lui-même.

En effet, on peut faire l’hypothèse d’une première phase de la crise systémique de suraccumulation durable des capitaux, entraînant les changements techniques d’économie des capitaux matériels et la montée de l’accumulation financière, plus ou moins spéculative, déjà dans la crise systémique de l’entre-deux guerres et encore plus dans celle en cours.

On peut considérer que dans cette première phase, avec la croissance du capital financier, on assiste aussi à une tendance à l’endettement  grandissant des entreprises, des ménages et des Etats, soutenant relativement la demande globale, contre la tendance nouvelle  à l’insuf fisance de cette demande, en raison notamment  des économies de facteurs  de production, relativement à la production, des nouvelles technologies. Ensuite, on assisterait à un tournant vers une deuxième phase, avec le début de l’éclatement des surendettements et de la suraccumulation financière. Cela exprimerait  la maturation  de la crise systémique, en exacerbant les difficultés et les défis des solutions d’issues à cette crise.

Cela aurait été déjà le cas avec la crise de 1929-32 pour l’entre-deux-guerres. Et ce serait de nouveau le cas avec celle de 2007-2009 pour la crise systémique en cours. On assiste à l’éclatement  des surendettements  des entreprises industrielles et bancaires, ainsi que des ménages et aux pressions à la réduction de ces dettes aggravant considérablement l’insuffisance de la demande globale. Cela entraîne l’exigence d’inter ventions  publiques massives nouvelles, y compris par le moyen de l’accroissement  des endettements  des Etats, avec cependant des différences très profondes  entre l’entre-deux-guerres et nos jours.

Ainsi, dans l’entre-deux-guerres, ces interventions étatiques nouvelles concernent les dépenses militaires, ou encore les débuts d’interventions sur les réseaux nationaux (hydroélectricité, chemins de fer, autoroutes).  Mais aussi on a assisté alors au freinage persistant de la croissance par les restrictions des banques centrales et la thésaurisation en or, ainsi que par les résistances des groupes monopolistes  privés  à la rationalisation des réseaux nationaux. Ce freinage a duré jusqu’à la guerre mondiale et ses dépenses extraordinaires, puis, à son issue, les transformations structurelles de développement de la production du financement et de la consommation publics.

Dans les conditions actuelles, nous avons affaire à la radicalité  des défis technologiques  et sociaux des révolutions informationnelles, monétaires et écologiques, accélérées autours  de l’an 2000 en contribuant ainsi au tournant  de la crise systémique. Ces accélérations s’effectuent dans le cadre du capitalisme mondialisé, caractérisé par la montée des services partout et de l’industrie dans les pays émergents. Aujourd’hui, face au défi de l’éclatement  des surendettements  et des désendettements consécutifs, les dépenses publiques, les endettements publics et les interventions étatiques ou pluri-étatiques  sont poussés bien davantage. Toutefois, leurs critères  de soutien fondamental des capitaux des banques, des fonds spéculatifs, des entreprises  multinationales, favorisés par la domination  du dollar  et de l’action  des banques centrales soutenant le capital financier, vont encore faire monter les difficultés  sociales et les risques d’affrontements ou de guerres économiques. Cela concerne tout particulièrement les menaces d’effondrement des titres publics qui suivraient  leur énorme montée spéculative, de relèvement des taux d’intérêt réel et d’effondrement des monnaies, y compris les risques pesant sur la monnaie universelle de fait qu’est le dollar.

Dans ces conditions,  monteraient  les défis de nouvelles coopérations internationales  et d’une gouvernance économique mondiale, progressant déjà mais en étant refoulée avec les nouvelles technologies, exigeant des rationalisations à l’échelle mondiale, ainsi qu’une transformation systémique radicale. Cette transformation pourrait faire reculer massivement les exigences de rentabilité financière des capitaux et même faire avancer d’autres  critères  que ceux de cette rentabilité. Cela concerne d’autres critères  pour les crédits et la création  monétaire, du plan local, national, zonal, au mondial, avec une autre monnaie commune mondiale que le dollar, la progression de critères d’efficacité sociale, économisant les capitaux et développant les capacités des travailleurs avec les recherches, pour les entreprises  industrielles et de service, ainsi que des critères d’efficience sociétale pour une expansion des services publics, coopérant au plan international, jusqu’à l’institution de services et biens communs publics de l’humanité.

En faisant reculer la domination des groupes privés multinationaux, on ferait avancer la prédominance des dépenses de développement de tous les êtres humains, de leurs capacités productives et créatives, de leur consommation personnelle ou collective et de leur formation,  au lieu de la prédominance des matériels. En même temps, au-delà des délégations de pouvoir  des interventions pluriétatiques, aux niveaux zonaux et mondial, pourraient aussi être développés des pouvoirs d’ intervention directe, et concertés aux différents niveaux, des travailleurs et des citoyens, depuis les entreprises et les services publics.  Tout cela contribuerait à établir des mixités institutionnelles radicales, viables, conflictuelles et évolutives,  entre principes capitalistes et principes nouveaux. Il s’agirait de principes de prédominance de la sécurisation et de la promotion de tous les moments de la vie humaine, ainsi que de la créativité de tous les êtres humains, pour avancer vers une autre civilisation de toute l’humanité.

Deuxième partie

ÉLÉMENTS  SUR LES TRANSFORMATIONS DU SYSTÈME CAPITALISTE, SA CRISE RADICALE ET LEUR MATURATION.

Hypothèses sur  le tournant dans la crise systémique : éclatement des surendettements privés, amplification des endettements publics et de la création monétaire. Originalité et  radicalité des défis de transformation mondiales.

On a des efforts très importants de création monétaire des banques centrales, visant à soutenir les banques partout,  et de plus aux Etats-Unis et en Angleterre, mais non dans la zone euro, à prendre des titres de dette publique.

En effet, contrairement aux analyses reprenant simplement les théories de la déflation des dettes poussant à la dépression des années 30, mais aussi à l’opposé  des illusions  sur les possibilités  de sortir durablement  des difficultés  actuelles par les interventions publiques, il y a d’énormes différences dans la crise systémique  en cours avec celles des années 30, même s’il  y a certaines analogies.

De nos jours, les énormes différences, au plan des conditions  systémiques, renvoient aux véritables révolutions informationnelle, monétaire, écologique, démographique et en liaison avec elles, à l’industrialisation et la salarisation massive des immenses populations des pays émergents, comme la Chine, l’Inde, le Brésil etc. De nos jours également montent  les idées non seulement d’interventions  publiques,  mais de leur coordination internationale et de gouvernance mondiale, les idées de monnaie mondiale véritablement commune et autre que le dollar, de sécurisation des emplois et des formations  pour  chacun au-delà d’une « flexsécurité » où prédomine la flexibilité, de services et biens communs publics de l’humanité, depuis l’écologie jusqu’à l’alimentation, l’urbanisme, la santé, la culture ou la paix.

Les différences au plan des politiques  nouvelles, renvoient à l’énormité  des soutiens publics  des capitaux et de la rentabilité capitaliste,  par les dépenses et endettements publics. concertés, ainsi que par la création monétaire amplifiée, avec l’accélération  de la révolution monétaire de décrochement de la monnaie par rapport à l’or.

Cependant, la question principale à propos de ces interventions massives nouvelles, concerne les buts et les critères  de ces dépenses et endettements publics, ainsi que des créations monétaires des banques centrales et du FMI.

Pour le moment,  il s’agit principalement de soutenir les capitaux et la rentabilité des banques, ou encore les investissements des entreprises et leur rentabilité, comme par exemple dans l’industrie automobile, de l’Union Européenne au reste du monde et aux Etats Unis, alors que pourtant General Motors  doit  passer sous le contrôle  de l’Etat américain. En même temps, les pressions sont considérablement  renforcées contre les emplois et les taux de salaires. Quant aux dépenses sociales, même si elles tendent à progresser, elles sont fortement  limitées par rapport aux besoins grandissants.

D’où les risques et les enjeux nouveaux de la crise systémique. Il y aurait, à la fois, risques accrus d’insuffisance de la demande et de la croissance, et aussi menaces contre  la montée des dettes publiques  et de la création monétaire soutenant ces dettes. On le voit déjà avec les difficultés de la progression  de la dette publique  britannique et la forte baisse de la livre sterling. Il y aurait également des risques formidables  de gonflements spéculatifs  des titres de dettes publiques  et de baisse ultérieure de ces titres, relevant les taux d’intérêt, fixés sur les valeurs d’émission plus élevées. Cela pousserait au relèvement des taux d’intérêts longs contre la croissance. Dans ce domaine aussi de premiers  signes révèlent de nouvelles pressions possibles, fin mai 2009, avec certaines baisses des bons du Trésor des EtatsUnis entraînant un relèvement de leurs taux d’intérêt et des taux longs en général. En effet, la dette publique rapidement grandissante des EtatsUnis (passant de plus de 7500 milliards  de dollars  le 17 juin 2008 à 11403 milliards, le 17 juin 2009) ainsi que le dollar feraient tout particulièrement l’objet de ces menaces ,que l’on évoque déjà. Ainsi monte le terrible défi de la mise en cause du circuit  financier mondial fondé sur le dollar.

Dans ces conditions, face au surgissement probable ultérieur de tensions économiques très graves dans les différents  pays du monde et entre eux, pourraient progresser des enjeux radicaux d’une autre régulation systémique, permettant de faire prédominer la promotion des êtres humains partout avec l’emploi, la formation, les services publics.

Cela ne veut pas dire du tout nécessairement l’éclatement très proche  de ces difficultés  et de ces défis radicaux. Il peut y avoir, une certaine reprise mondiale, après 2010, y compris grâce à la progression de la production des populations des grands pays émergents. Mais cette reprise pourrait être faible, et surtout, de toute façon, elle développerait les nouveaux antagonismes et défis, y compris du fait de l’insuffisance des bas salaires dans les pays émergents, comme de leurs exigences de progrès social.

Cela renforcerait les potentiels  de solutions radicales et viables, pour  une issue à la crise systémique (...).

Troisième partie :

ÉLÉMENTS  SUR DES PROPOSITIONS DE CONSTRUCTION ALTERNATIVE

Avancées de la proposition d’instituer une véritable monnaie commune mondiale à la  place du  dollar et autre mondialisation

A la veille du G20 de Londres du 2 avril 2009, le 23 mars, le gouverneur  de la Banque Centrale de Chine, Zhu Xiaochuan, a proposé de créer une « monnaie de réserve internationale » déconnectée des conditions économiques et des intérêts souverains (étatiques) d’un seul pays », c'est-à-dire, bien que le nom n’en soit pas prononcé, du dollar. (Zhu Xiaochuan, Reform  the  international monetar y systemhttp://www.pbc.gov.cn, site de la Banque centrale de Chine).

Il s’agirait d’éviter le fameux dilemme jadis pointé par l’économiste Robert Triffin, d’une monnaie de réserve internationale pourtant liée aux exigences internes d’un pays, éventuellement inflationnistes. Il s’agirait au contraire,  de gérer une monnaie de réser ve véritablement  internationale,  en vue notamment de sa stabilité. Plus précisément, en se rapprochant de notre propre proposition avancée depuis au moins 1983 ( dans « La guerre du billet vert contre  les peuples. La hausse du dollar,  sa signification,  que peut-on faire ? » in Economie et Politique septembre 1983 ou encore dans « End to dollar’s  rule urged »  Patriot, New-Delhi, 14 août 1983. ), le gouverneur chinois a indiqué qu’il fallait s’appuyer sur les Droits de Tirages Spéciaux (DTS) du FMI. Selon lui, les DTS représentent un potentiel pour être utilisés comme une monnaie de réserve super-souveraine ou super-étatique. Et, toujours dans le même sens il a indiqué, lui aussi, que le panier de monnaie formant la base des DTS serait élargie afin d’inclure  les monnaies de toutes les grandes économies ; tandis qu’on tiendrait compte aussi du poids du PIB.

Il a été avancé, que cela répondrait aux problèmes des ressources du FMI, avec la création  et le contrôle par une institution mondiale d’une liquidité mondiale. Il a été ajouté que cela se relierait aussi à la réforme de la représentation et des voix pour les votes au Fonds. Cela contribuerait à agir contre la spéculation et pour stabiliser les marchés financiers. Et l’accroissement  des allocations  de DTS permettrait, a t-il été souligné, de remplacer graduellement les monnaies de réserve existantes. Cette proposition, renvoie certes aux craintes sur la valeur des énormes réserves en dollars  et en bons du Trésor des Etats-Unis libellés en dollars de la Chine, de près de 2.000 milliards  de dollars. Mais aussi et bien plus, elle se rapporte, en relation avec le moyen de pression de ces réserves, à la construction d’un autre système monétaire international émancipé de la domination  du dollar et des États-Unis, pour  une autre  croissance mondiale.

Dès le 25 mars, le secrétaire au Trésor des EtatsUnis, Timothy Geithner, a protesté en déclarant que le dollar resterait pour longtemps la monnaie de réserve mondiale, même si l’on pouvait  discuter d’un usage accru des DTS. Et le président Obama est lui-même intervenu pour affirmer qu’il n’y avait pas besoin d’une monnaie de réserve autre que le dollar, fondamentalement fort. Toutefois, cette proposition a été soutenue par d’autres  pays comme la Russie ou le Brésil.

Et au G20 d’avril, même si cette proposition n’a pas du tout été reprise, il a néanmoins été décidé, en rupture avec la politique de limitation antérieure, de créer 250 milliards  de dollars en DTS. Comme nous l’avons déjà indiqué  à propos  du G20 de Londres, ces DTS seront  alloués au 186 Etats membres du FMI, en fonction de leur quote-part au Fonds. Ce qui signifie que 44% de la somme seront alloués aux grandes puissances du G7, les pays en voie de développement se contentant de moins du tiers, dont seulement 7,6% (19 milliards) pour les 50 pays les plus pauvres.

Cependant, dès le 19 mars 2009, une commission d’experts, des Nations Unies, sur : « Les Réformes du système financier et monétaire international » ; présidée par Joseph E. Stiglitz, avait souligné les exigences d’une autre politique monétaire  en réponse à la crise financière mondiale. Il s’agirait de s’opposer à l’insuffisance de la demande globale mondiale  et d’engager des politiques  contracycliques, par la stimulation des économies non  seulement des pays développés mais encore plus des pays en développement. Dans ce contexte, la Commission avait évoqué un « nouveau système mondial de réserve », pouvant être conçu comme une grande expansion des DTS, avec des émissions calibrées sur l’importance des accumulations  deréserves. Elle avait aussi évoqué d’autres modalités de vote au FMI, une réforme de la Banque Mondiale, l’institution d’un Conseil de Coordination  Economique Mondiale, des réformes des Banques Centrales (http://www.un.org/ga/president/63/commission/financial commission.shtml). Toutefois,  il y a besoin d’instituer une véritable monnaie commune mondiale autre que le dollar. Et cela à partir des DTS dont le panier de devises de références seraient élargies, avec aussi une relation à des monnaies communes zonales, comme l’euro ou la monnaie commune en constitution en Amérique Latine, et, aussi une relation à un panier de produits. Cette monnaie devrait avoir toutes les fonctions d’une monnaie universelle et non seulement le rôle d’une monnaie de réserve.

Et surtout, outre l’ampleur des créations de cette monnaie et la démocratisation internationale de sa gestion, il convient  de souligner  les deux questions décisives non-encore traitées, concernant, pour le co-développement :

1 les critères d’allocation, suivant l’importance de la population  des divers  pays et suivant  leurs besoins, pour l’emploi-formation et pour les services publics ;

2 les critères d’utilisation, pour le refinancement des banques centrales, avec des taux d’intérêt très abaissés pour les investissements réels, matériels et de recherche, d’autant plus abaissés que l’on crée des emplois et des formations  ; et aussi pour prendre des titres publics, afin de financer l’expansion des services publics, en coopération et démocratisés, jusqu’à constituer  des services et biens communs publics de toute l’humanité.

Enfin, en ce qui concerne les réserves des Banques centrales en dollars dont surtout celles en bons du trésor, tout particulièrement dans les pays émergents comme en Chine, il faudrait pouvoir négocier la résorption graduelle des stocks existants, comme des flux de leur augmentation, en liaison avec une autre construction mondiale. Face aux pressions des retraits possibles de capitaux de pays occidentaux et notamment des Etats-Unis et à leur hégémonie, cela pourrait prendre, à partir des stocks de dollars, la forme de rachats par les pays émergents de portions  décisives d’entreprises multinationales  – comme l’ont déjà amorcé des Fonds souverains. Cela permettrait de développer  des entreprises  conjointes  à dominante nationale des pays émergents. Cela se relierait contre la relance des excès des exportations,  non seulement à une progression de la consommation intérieure, mais à une expansion des dépenses de sécurité et de promotion sociales dans les pays émergents. Cela pourrait s’articuler  à de nouvelles coopérations. Ces coopérations viseraient à développer  les services publics  reliés en services et biens communs de l’humanité, partout. Cela contribuerait  à faire progresser de nouvelles normes sociales des entreprises, en faisant reculer graduellement l’emprise des sociétés multinationales.

Paradis fiscaux bancaires financiers

Par Caussé Pierre , le 31 May 2009

Paradis fiscaux bancaires financiers

Dans le système capitaliste contemporain, ce n’est ni  un  scandale, ni  un  simple état de  fait, c’est une  composante fondamentale du  système.

Dans l’imagerie  contemporaine  les paradis fiscaux (PF) sont généralement des territoires – souvent tropicauxà la législation laxiste permettant  toutes sortes d’échappatoires  à la taxation  des revenus, plus ou moins artisanaux, donc de phénomènes marginaux, à la périphérie du système capitaliste mondialisé. Tableau propice à l’indignation facile.

Si cet aspect de la réalité n’est pas à exclure, il faut s’inscrire largement en faux contre l’image d’Épinal (1) qu’il  offre : la collection  des paradis fiscaux (et/ou places bancaires Offshore, et/ou zones franches de tous types y compris  pavillons  de complaisance) forme un ensemble structuré, très organisé, (densité d’offres de « services juridiques  et administratifs », stabilité politique, qualité de leur rattachement monétaire) relié notamment par les réseaux de communication électroniques (2) et les lignes aériennes, entre eux et avec une bonne partie  du Monde, et dans lesquels des échantillons  variables de filiales plus ou moins discrètes de la quasi totalité  des multinationales, bancaires ou non, relevant des principaux impérialismes, opèrent.

En fait les PF constituent des formes extrêmes et paradoxales de la figure du CME, sous l’égide d’une protection de la fuite fiscale accordée par certains États au détriment d’autres États, et, de fait, avec un quasi-assentiment de ceux-ci. (par exemple conventions de non-double imposition, jusqu’à la taxation sur la base du bénéfice mondialisé). Dans le meilleur des cas, lorsque des Paradis Fiscaux acceptent l’échange d’informations avec certains pays du centre, leur est laissé le plus souvent le maintien du secret bancaire lié à l’évasion fiscale (3).

Dès lors que la concurrence  du/des marchés a été proclamée (Erga omnès par la petite Europe) avec ce que cela recouvre de liberté  de mouvements des capitaux, de mouvement des changes, et de déréglementation  accélérée, on peut même dire  que cet ensemble, pionnier de la délocalisation, a été ouvertement favorisé par les tenants de l’ultra-libéralisme comme instrument  de lutte de classe.

L’organisation du système financier mondial actuel ne se peut concevoir sans eux.

Consistance du  système : des territoires « caméléons »

Tous ces territoires ont élaboré des législations (4) orientées vers « les non-résidents » qui fonctionnent sur la base de la discrétion,  du secret juridique et bancaire, et de formes spéciales de sociétés écrans (5) plus ou moins adaptées selon les situations  et les personnes privées ou sociétales, associées à des particularités fiscales favorables très éloignées de ce que pourraient  supporter  les mêmes entités de droit si elles étaient situées dans le(s) pays de leurs véritables activités. Dans ces conditions l’argent noir du crime ne constitue qu’une partie minoritaire (6) de l’argent qui n’y fait que passer.

De manière plus générale, lorsque certains Etats ne disposent pas d’une structure  fiscale et/ou juridique uniforme,  il est toujours  possible d’y trouver des territoires ayant des avantages fiscaux et ou juridiques spécifiques encouragés par les autorités centrales qui peuvent prendre la forme de PF internes ouverts sur l’extérieur : Irlande, Royaume-Uni, USA et Suisse (Cantons de Vaud, Zoug).

L’Europe est l’ensemble impérialiste  qui compte le plus de PF en son sein, Mais les USA sont aussi bien pourvus,  à l’intérieur, avec le Delaware (trusts  et siège de grandes sociétés), Nevada et Wyoming (qui militent ouvertement  pour  attirer  les moyennes sociétés familiales).

Ne pas oublier les « International Banking facilities» que New York, Londres et Tokyo ont introduites sur leur place bancaire respective.

Quelques chiffres.

On peut compter une centaine de PF d’importance

très variable, dont 27 ne sont pas des Etats siégeant à l’ONU (mais 46 membres de l’ONU sur 192 peuvent être considérés comme tels), tandis qu’une petite vingtaine sont désignés comme des places bancaires Offshore (exclusivement) par la BRI (elles fournissent des statistiques financières).

Les banques des 20 Places Offshore de la BRI comptent pour  environ  15 % des positions  extérieures bancaires mondiales ; avec les 9 autres places PF non incluses dans cette catégorie, les 20 % sont dépassés, plus que les USA ou le Royaume-Uni (la France compte pour environ 5 %).

Toutes ces entités territoriales à souveraineté internationale variable (certains disent commercialisée) sont concernées à un degré ou un autre par un ou plusieurs domaines d’intervention assez disparates. Certaines places sont directement le siège légal d’entreprises externalisées de certains grands pays : cf. le cas récent d’Accenture (issu d’Andersen Consulting après l’Affaire Enron, plus de 150 000 employés dans le monde) aux Bermudes, ou encore Xstrata (minière de 26 000 employés) du groupe Glencore (Marc Rich) à Zoug (plus petit canton suisse).

Mais tous se caractérisent par la présence de banques internationales  et/ou locales (rarement).

Sans  présence de banques  reliées  au monde, pas  de paradis fiscal.

On peut aussi comprendre pourquoi une liste unifiée semble difficile à établir.

Pourquoi la  question des PF se  pose actuellement ?

Cela fait des années que le rôle des PF dans la corruption du système financier international est dénoncé, y compris par les USA et la CEE. Pourquoi le thème ressurgit-il aujourd’hui plus fortement ?

Sans doute parce que, les PF ont joué un rôle important dans le développement  de la crise financière actuelle, alors que précédemment les PF avaient été plutôt stigmatisés à propos des thèmes périphériques (7) de l’argent du crime ou de la drogue et de l’argent du terrorisme  et de la corruption et des pots de vin. À partir du moment où la crise financière a pris une telle ampleur il a pu sembler nécessaire de désigner ces brigands de la finance, alors que la dénonciation des agissements des Banques, au centre du fonctionnement des PF, se développait tous azimuts.

Car le poids financier  de ces entités (8), dont une fraction  considérable  du PIB est constituée  de services financiers, est tel qu’elles participent pleinement aux mouvements violents de la finance internationale en s’inscrivant dans le libéralisme  financier développé par les grandes Nations depuis trente ans et plus. Elles favorisent  la concentration de masses financières énormes et mobiles (9), facilitent la formation  de capitaux spéculatifs  (10), et dans l’opacité du secret (bancaire et juridique), et en vertu de l’usage d’innovations aussi bien sophistiquées que dévoyées, ont  pour  vocation de  faire  pression pour aggraver la déréglementation concurrentielle qui prévaut  entre les grandes places  financières.

L’aspect économique, perçu maintenant comme fragile et coûteux, plutôt  que sous l’angle moral, éthique ou politique est-il vraiment passé au premier plan et dans quelle mesure et selon quels objectifs ?

À qui profitent  les paradis fiscaux ?  Mettre fin ou mettre un frein au  danger ?

Au-delà du dérivatif  qu’ils offrent à la dénonciation directe  des Docteurs Folamour de la finance dérégulée, il semble bien que soient visées au moins certaines perversions de leur existence.

Alors  que les États se trouvent en manque de ressources, n’est-il pas logique que l’on puisse se tourner vers les ressources fiscales éludées que les PF accaparent ? Même s’il ne faut pas trop se bercer d’illusions,  car une partie  certainement  non négligeable de ces capitaux est constituée d’avoirs relevant des riches et des super riches des principaux  pays impérialistes.  L’appel à la moralisation  du capitalisme peut être proclamé, il est difficile d’imaginer qu’il puisse vraiment devenir autre chose qu’un vœu pieu et hypocrite.

Plus sérieusement, ce qui fait peur, c’est l’énorme développement des produits  dérivés (11). Il a constitué  l’aspect le plus caractéristique des novations de la finance mondiale (12), et si au départ il s’agit pour une entreprise ou une banque de se couvrir  contre un risque précis, il devient vite nécessaire de faire appel, et de plus en plus, aux spéculateurs ; et, notamment, aux hedge funds – qui utilisent massivement ces produits  eux-mêmes pour  leur propre  compte,  dont  la base de données de la Barclay’s (13) chiffre à environ 50 % la proportion de domiciliés dans les PF. La variété (14) et la multiplication de ces produits  dérivés est telle qu’une large fraction ne peut être traitée qu’à partir des opérateurs (même virtuels) situés dans les PF, et ne peut l’être pratiquement qu’avec leur interposition (cas des titrisations).

À l’opacité des PF, les produits dérivés ajoutent l’opacité de la technique financière.

On ne peut douter que le mouvement de re-régulation,

– par exemple la traçabilité minimale sur les instruments dérivés –, quel que soit son ampleur, rencontrera les PF sur son chemin.

On ne saurait oublier non plus qu’une forte proportion  des montages d’opérations  de LBO par les Groupes de « Private equity» usent et abusent de structures juridiques  sises dans les PF : entre les pourvoyeurs de fonds et les fonds de placement gérés, et entre ceux-ci et les montages spécifiques aux opérations  individualisées.  Pourraient-elles  mêmes se conclure sans cela ?

Quoiqu’on  puisse penser de la volonté  des principales puissances du G20 de mettre  en œuvre des réglementations bancaires et financières renforcées, vu le désordre dans lesquels elles se sont mises ellesmêmes, il leur sera difficile de passer par-dessus les intérêts de tous ceux qui en profitent (ou qui en ont fait leur fonds de commerce). Tant en raison du caractère inextricable du système consolidé au fil des ans des opérations que de l’intérêt collectif  au maintien du système par une soixantaine de « petits » membres de l’ONU.

En fait cette complexité  est de nature à multiplier les fronts  sur lesquels peuvent s’affirmer  les positions divergentes des principaux  protagonistes.

Il semble que les USA soient en pointe (cf. UBS) sur le front de la réduction des avantages procurés (16) par les PF aux multinationales  : le débat budgétaire prolonge les fortes paroles contre les ’’tax havens’’ que Barack Obama a pu prononcer  lors  de sa campagne. L’importance du déficit budgétaire prévu n’y est pas étrangère (17).

 Apparemment si l’on en juge par le transfert brutal des sièges de trois sociétés américaines (l’assureur ACE, Tyco Electronics, Transocean) des Bermudes et des îles Caïmans (Décembre 2008-janvier 2009 (18)) vers la Suisse (dans quel canton ?), c’est qu’une certaine urgence s’imposait.

L’Europe de son côté a du provoquer quelques uns de ses membres pour  qu’ils  soient plus coopératifs, mais il n’y a certainement  pas unanimité  (UK et Luxembourg).

Londres G20 : Annonces et diplomatie.

L’exérèse  du cancer des PFs n’aura pas lieu.

Lecture faite des documents du G20 de Londres au 2 avril 2009, la plupart des commentateurs sont d’accord (19), les PF continueront de prospérer, du moins en tant que coffres forts.

Si l’on en juge par la mesure prise d’obliger les territoires de répondre aux seules sollicitations fiscales dûment fondées, et d’inscrire cette obligation dans au moins 12 conventions  bilatérales,  au vu des listes fournies par l’OCDE, les évadés du fisc n’ont pas trop de soucis à se faire : les îles Anglo-normandes ne sont pas dans la zone grise ; et si le secret bancaire est un peu écorné, la variété des techniques  juridiques des sociétés-écrans (trusts (20), anstalt, fondation, fiducie, L.L.C (21). …et autres holdings) alliée, par exemple, à celle des entités qui sont restées en dehors des listes, ou blanchies (comme celles qui pourraient  être créées rapidement,  sans hâte d’ailleurs) est de nature à consolider l’ensemble, d’autant qu’il faudra un certain temps avant que le paragraphe 5 de l’article  26 de la convention  type de l’OCDE puisse atteindre une efficacité massive.

On peut toutefois prévoir  quelques redéploiements des montages utilisés par les uns et les autres – afin d’éviter le pire – ce qui peut modifier la configuration mondiale des fonds gérés notamment par les gérants de fortunes,  ce que craint  la Suisse. Mais le fourmillement  des montages est tel qu’ils  forment  une masse trop considérable pour que l’on puisse dans ces conditions  espérer y porter  vraiment  le holà. Quelques commentateurs plus optimistes (22), soulignent que cela pourrait être la première fois que la Communauté des grands pays a pu dénoncer aussi sobrement quelques uns de leurs quasi-égaux dans la lumière des Communiqués Officiels (23). D’autres y voient  une tentative  des USA pour  récupérer une partie des capitaux évadés en vue de financer plus directement  leurs énormes déficits (24).

Changer juste ce qu’il  faut pour que  tout continue comme avant ?

Il reste qu’un certain nombre de dispositions inscrites dans les annexes du communiqué  sont de nature à atteindre  certains  types de comportements  (par exemple l’endettement spéculatif par limitation proposée du levier d’endettement) dépendants des PF. Elles concernent directement les Hedges Funds (25),  au moins les plus gros, et certains éléments de réglementation  renforcée portant  sur les comptabilités des principales sociétés financières. En voulant forcer les PF à introduire dans leur législation les standards financiers internationaux comptables et prudentiels à venir, le G20 va très au-delà de la simple lutte contre l’évasion fiscale. Il trace une perspective d’unification des règles du jeu de la finance mondialisée.

Reste à savoir si ces nombreuses instances tant privées que publiques (26) appelées en renfort auront la capacité à s’entendre  aussi rapidement  que le calendrier  fixé le laisse entendre (fin  2009). Outre l’extrême difficulté de l’ouvrage qui conduit à remettre en chantier l’Accord de Bâle II, sur les fonds propres des banques, la volonté de ne pas vraiment porter le fer dans la financiarisation en conservant l’essentiel des structures qui ont conduit au désastre (27), le G20 a montré qu’il n’avait en tête que la préservation du vieil ordre économique et financier. D’autant que l’on a commencé, aux USA, par  alléger cer taines contraintes  légales actuelles (la couverture  d’actifs par fonds propres)  pour éviter  de mettre  à nu les difficultés  qui continuent  d’assaillir  les banques.

(1) Pas vraiment des Trous noirs, comme le laisse entendre le titre de J.-F. Couvrat « Les trous noirs de l’économie mondiale ».

(2) Notons aussi que l’informatique/traitements numérisés est devenu aussi une composante essentielle de leur fonctionnement, notamment leur vitesse, parallèlement à la sophistication de la création des produits alternatifs, spéculatifs.

(3) Distinguée, au moins formellement, de la fraude.

(4) Eventuellement aidés par les États du centre ou, plus souvent, par des bataillons de juristes à la solde des banquiers et des multinationales (cabinets d’audit).

(5)Par exemple le contrat de propriété au porteur, ou Foreign sales corporations promues par les USA.

(6) Il n’est bien sûr pas négligeable et a tendance à croître presqu’aussi vite que les opérations moins criminelles, d’autant qu’il bénéficie de la couverture offerte par les opérations plus grises de corruption et de fraude fiscale dans les flots desquels il peut se mélanger. En retour les opérations grises de la spéculation peuvent en être nourries.

(7) Même si l’on ne doit pas nier l’importance des capitaux en jeu.

(8) Dont la localisation géographique illustre assez clairement leur tropisme en faveur des plus puissantes économies « réelles ».

(9) En incorporant des capitaux de toutes origines : drogue, crimes, corruption, fraude et évasion fiscale.

(10) Leur gonflement progressif est corrélatif de l’exigence croissante de crédit pour l’investissement réel efficace.

(11) Ils sont évalués à quelques 350 000 milliards de dollars pour les seuls dérivés de taux, et 60 000 milliards de dollars pour les CDO.

(12) En dehors de l’aspect spéculatif, ces instruments bénéficient d’un privilège technique, celui de ne pas exiger trop de fonds propres règlementaires dans la gestion des risques bancaires. Placés selon les cas hors bilan, ils permettent de se défausser sur les contreparties nonbancaires, donc de faire apparaître des profits distribuables au lieu de nécessiter des réserves supplémentaires de fonds propres sur les actifs sous-jacents.

(13) Cette base de données concernant les Hedge Funds est payante et finalement accessible aux professionnels et aux personnes plus qu’aisées.

(14) Par exemple les CDS (Credit Default Swaps) produit dérivé de crédit, construit selon les mêmes principes qu’un swap de taux permettant à deux contreparties de s’échanger le risque de crédit d’un émetteur sous-jacent (l’Entité de référence), pratiqué par AIG ; Les CDS en circulation devraient assurer 60 000 milliards de dollars, soit 12 fois plus que les montants des créances à risque ! ou encore les CDO (Collaterised debt obligations) par le biais desquels une institution financière peut combiner différents actifs (par exemple les prêts hypothécaires à risque et à haut risque, les « subprimes »). L’ensemble de la dette est ensuite vendu à un fonds commun de créances, généralement enregistré dans un paradis fiscal PF. La nouvelle entité émet ensuite ses propres titres ou obligations pour revendre la dette à d’autres investisseurs, la divisant en plusieurs tranches avec différents taux de risque grâce à de complexes modèles mathématiques. Les CDO les plus échangés sont ceux constitués de swaps de défaillance. Les CDO sont eux-mêmes rassemblés au sein d’autres CDO, ce qui dissimule encore davantage le risque véritable et la propriété des actifs sous-jacents. La titrisation transforme des crédits à long terme en investissements à court terme en comptant sur le fonctionnement des marchés concernant ces produits pour les rendre liquides.Et que se passe-t-il quand les CDS sont censés assurer les CDO ?

(15) En 2008 la moitié des hedge funds ont accusé des pertes, et leur capitalisation a diminué de 40%, moitié de pertes, moitié de retraits de capitaux. Et les banques sont devenues méfiantes à leur égard.

Mais globalement ils ont fait mieux que la Bourse ou les fonds traditionnels (Mutual Funds / OPCVM)

(16) Les pertes fiscales ont été dernièrement évaluées à 100 milliards de dollars.

(17) D’autant que les incitations fiscales exceptionnelles de 2005 favorisant le rapatriement des bénéfices des filiales américaines travaillant à l’étranger ont pu donner quelques idées.

(18) Voir sur leur site respectif (nouvelles)

(19) Par exemple Jacques Attali (Les Echos du 1/04/09) : « la question n’est pas de moraliser le capitalisme mais de l’équilibrer par des règles de droit…. pas de le refonder mais de l’encadrer par des règles. Or tout le problème est que dans une économie globalisée, la règle de droit n’est pas mondiale. Le G20 vise à attendre la fin de la crise sans rien changer d’important. On pourrait presque comparer ce sommet à Londres à une réunion des alcooliques anonymes dans un bar à vins. ».

(20) Le trust est un véhicule de droit anglo-saxon, qui permet à une personne fortunée de se dessaisir de sa fortune, afin de ne pas en apparaître comme le propriétaire aux yeux du fisc. S’il est « discrétionnaire et irrévocable », la banque qui ouvre le compte peut ne pas exiger l’identité du bénéficiaire. Une personne qui a constitué un tel trust à l’étranger n’est nullement taxée, car elle n’est plus considérée comme propriétaire de ses biens. Quant au bénéficiaire du trust, qui est en principe imposable, son identité n’est pas exigée lors de l’ouverture du compte.

(21) Limited Liabilities Compagnies, spécialité américaine (Delaware) (22) Cf. l’interview exclusive de Daniel Lebègue (président de Transparency international France) aux Echos du 08/04/09.

(23) « La question des paradis fiscaux est peut-être un des rares points où il y a eu un progrès concret. » Stiglitz (Echos 09/04/09)

(24) Cf http://www.voltairenet.org/article159641.html#nh2.

(25) Dès le 7/04/2009 on a appris que Bruxelles voulait encadrer tous les fonds (hors OPCVM) fonds spéculatifs, et de "private equity", mais aussi immobiliers, de matières premières, etc. qui aujourd’hui ne sont que peu contrôlés,

(26) Instances Internationales citées et “commanditées” dans l’annexe

« DECLARATION ON STRENGTHENING THE FINANCIAL SYSTEM » : FSB : Financial Stability Board et avant Financial Stability Forum ; CGFS : BIS/BRI Committee on the Global Financial System ; BCNS : Basel committee on banking supervisors ; FATF : The Financial Action Task Force is an inter-governmental body whose purpose is the development and promotion of national and international policies to combat money laundering and terrorist financing (GAFI) ; FSAP : Financial Sector Assessment Program (The FSAP, a joint IMF and World Bank effort introduced in May 1999, aims to increase the effectiveness of efforts to promote the soundness of financial sytems in member countries.) : AML/CFT : Anti-Money Laundering and Combating the Financing of Terrorism ; IOSCO : International Organization of Securities Commissions ; IASB : International Accounting Standards Board ; et bien sûr, FMI, Banque Mondiale, OCDE et BRI.

(27) En d’autres termes, par exemple les actifs toxiques ne sont devenus tels que parce qu’ils étaient mal gérés, et qu’ils n’avaient pas de règles, mais que les mécanismes créés pouvaient être efficaces.

 

 

Pour une autre construction de l'Union européenne : Propositions cohérentes et luttes

Par Economie et Politique, le 31 March 2009

Pour une autre construction  de l'Union européenne :  Propositions cohérentes et luttes

Les élections européennes du 7 juin 2009 constituent un enjeu très important. Il est pourtant largement sous- estimé et le débat en France reste insuffisant. Alors que l'inquiétude, la souffrance, les protestations, la colère montent sur les suppressions d'emplois, le chômage, le pouvoir d'achat salarial et populaire, les services publics, toute la vie sociale, on néglige le conditionnement réciproque entre les difficultés sociales, liées à la politique nationale, et les directives européennes, toutes les orientations des institutions de l'Union européenne.

En réalité, les institutions de l'Union européenne et ses politiques sont étroitement imbriquées, à la fois, avec le niveau national, et donc les exigences des mouvements sociaux en cours et de leurs débouchés politiques, et avec le niveau mondial, avec ses graves défis récents, dont dépend aussi la vie nationale et locale.

La construction de l'Union européenne a poussé le plus possible la marchandisation et la concurrence ainsi que des délégations de pouvoir non démocratiques, avec notamment des interventions de la Commission. Elles doivent plus que jamais être remises en cause, pour de véritables coopérations de progrès social, dans les conditions de la crise financière et de la récession mondiale.

Le tournant des interventions publiques nouvelles et des immenses financements publics de soutien des banques, ainsi que des efforts moins importants de relance de la croissance, sont contrecarrés, surtout du point de vue de leurs effets sociaux, par la persistance des orientations hyper-libérales impulsées par l'Union européenne actuelle, s'appuyant sur les traités existants. Ainsi, les critères d'utilisation des fonds publics et du crédit devraient être radicalement transformés pour soutenir, non les capitaux financiers et leur rentabilité, mais la promotion des populations et de leur vie sociale.

C'est dire l'importance, à l'occasion de la campagne, de débats et du vote des élections européennes de juin, non seulement d'éviter le désintérêt et l'abstention, mais de faire avancer les exigences alternatives. Il s'agit de ne pas se contenter, à gauche, des rejets, soit de Sarkozy sans modification profonde de la construction européenne, soit de l'Union européenne elle- même, mais de mettre en avant la possibilité d'avancer des orientations nouvelles, dans les conditions de la crise du capitalisme mondialisé et des difficultés sociales grandissantes en Europe.

Cependant, il ne s'agit pas non plus d'avancer des revendi- cations d'objectifs sociaux de réponse à ces difficultés, en négligeant les changements nécessaires de deux ensembles de moyens pour les atteindre, les financements et leurs critères, les pouvoirs et les institutions. Et, précisément, cette question de la cohérence des propositions alternatives, avec le triangle « modèle social, moyens financiers et pouvoirs », devrait être au coeur des débats pour des orientations européennes nouvelles, tout particulièrement à gauche.

Des propositions alternatives cohérentes peuvent être portées non seulement par des élus communistes et du Front de gauche en France, aux côtés des élus apparentés des autres pays, mais aussi être saisies par les luttes, depuis les entreprises et les services publics, le mouvement syndical et associatif, pour intervenir sur les orientations européennes qui les concer- nent et, aussi, pour faire pression sur tous les élus de gauche au Parlement européen.

Afin de contribuer à ces propositions alternatives, nous allons donc considérer cinq parties :

1 - Les défis actuels de l'Union européenne, entre les défis nationaux et les défis mondiaux,

2 - Les objectifs sociaux et le modèle social,

3 - Les moyens financiers et leurs critères,

4 - Les pouvoirs et les institutions,

5 - Les relations internationales et les enjeux mondiaux de la construction européenne.

Cette brochure a été réalisée grâce aux contributions de Paul Boccara, Frédéric Boccara, Pascal Borelly, Michel Bruneau, Pierre Caussé, Fabien Cohen, Yves Dimicoli, Gaël De Santis, Denis Durand, Jean-Marc Durand, Daniel Le Bris, Michel Limousin, Jean Magniadas, Catherine Mills, Alain Morin, Bruno Odent, Régis Régnault, Marine Roussillon.

Quelle est la portée du G20 d’avril ? Le débat international sur les mesures publiques et les insuffisances du G20, face aux défis du tournant de la crise systémique

Par Paul Boccara, le 31 March 2009

Quelle est la portée du G20 d’avril ? Le débat international sur les mesures publiques et les insuffisances du G20, face aux défis du tournant de la crise systémique

La rencontre du G20 du 2 avril 2009 à Londres a été destinée à prendre  des mesures sur la crise financière et économique internationale. Elle a réuni les chefs d’État et de gouvernement des pays développés et aussi des principaux  pays émergents, ces vingt pays dont on dit qu’ils représentent 85% de l’économie mondiale.

I  Développements récents de la crise systémique  et  conditions  du  G20  du 2 avril :

Le développement de la situation  d’exacerbation de la crise systémique. Ce G20, pour répondre à l’aggravation  récente de la crise du système capitaliste, intervient après celui de novembre. Depuis, la crise systémique s’est encore approfondie et les difficultés ont augmenté. La récession est désormais mondiale dans les prévisions pour l’année 2009, ce qui est une première depuis l’entre-deux-guerres. On a d’abord estimé que le recul serait de 0,1 à 0,5% à l’échelle mondiale et ce, malgré la croissance des pays émergents, avec un recul plus important de la part des pays développés qui irait de – 3% à -2,5% ( -2,9% pour la France ). Pour La Banque Mondiale, le recul en 2009 serait même de -1,7%.

Pour les pays émergents, on prévoit une faible croissance allant de 1,5% à 2,5%. Elle ne compense donc pas la récession dans le reste du monde. La Chine, le plus important d’entre  eux, descend relativement bas, avec une estimation de l’ordre de 6,5%, alors que l’on considère qu’un chiffre inférieur à 8%, entraîne une progression  du chômage, tandis que la Chine faisait ces dernières années, 10%, 11%, 12%.

Tout cela, bien évidemment, provoque une montée du chômage à l’échelle mondiale. Le BIT (Bureau international du Travail)  annonce pour  fin janvier  2009 de 210 à 240 millions  de chômeurs  officiels.  Encore faut-il  ajouter  à ces chiffres, celui des travailleurs pauvres. Il y a ainsi, plus de 200 millions de travailleurs pauvres. Enfin, il faut souligner l’augmentation importante du chômage dans les pays développés. Les prévisions  sont de 7,2% de chômeurs,  en chiffres officiels,  pour  les États-Unis et plus de 50 millions  pour  l’ensemble des pays développés.  

En outre, le FMI déclarait  dans sont rapport du 28 janvier sur la stabilité financière dans le monde, que les circuits du crédit sont grippés. C'est-à-dire qu’en dépit  de toutes les mesures-énormes-de soutiens publics apportés aux banques, le crédit reste toujours en difficulté.  A cela vient  s’ajouter  un recul du commerce mondial sans précédent, avec une prévision de -10% en 2009. Il y a aussi les retraits de capitaux des pays émergents. Beaucoup de pays sont en très grande difficulté.  Le FMI a dû soutenir pour un montant de 50 milliards de dollars, les pays d’Europe orientale  comme la Hongrie, la Lettonie,  la Roumanie et des pays hors Union européenne comme l’Ukraine et jusqu’au Pakistan.

Certains disent certes qu’il y a des signes de sortie qui se dessinent et la prévision dominante prétend qu’en 2010,  « ça va repartir »… Mais pour la première fois, d’autres voix s’élèvent et prétendent, que rien n’est sûr et que cela peut être pour 2011, voire plus tard encore.

De toutes façons, avec la crise, des difficultés  très profondes  nouvelles ont été révélées et si jamais cela « repartait » en 2011, il subsisterait des risques très graves pour la rechute. On a désormais, ce que reconnaît le FMI, une tendance à un développement cumulatif de l’insuffisance de demande, avec selon notre analyse, la maturation  de la révolution informationnelle liée aux nouvelles technologies.

L’énorme croissance de la productivité et les très fortes économies, non seulement d’emplois et de salaires mais aussi d’investissements, par rapport à la production, sont responsables de cette insuffisance cumulative de la demande et de la gravité de la surproduction, avec la suraccumulation financière et les difficultés  du crédit.

Il y a enfin la maturation  de la révolution monétaire de décrochement de la monnaie par rapport à l’or, favorisant l’amplification de l’émission de dollars et l’enflure spéculative du circuit  mondial dominé par le dollar. C’est tout le problème de la crise du supercapitalisme financier, avec la crise financière récente et l’excès des endettements des ménages, des entreprises et des États, qui soutenaient la demande. On s’efforce encore de réagir aux difficultés  par des financements et endettements publics énormément accrus. D’où la montée de risques nouveaux.

Les questions en  cause  à l’arrière plan  du G20. II s’agit de renforcer les mesures prises pour soutenir le crédit bancaire et la croissance. Il y a eu, outre les énormes soutiens aux banques, tous les plans de relance de l’économie. Chaque pays a son plan de relance, mais ils ne sont pas coordonnés. En outre, il s’agit de mesures nouvelles de régulation et de contrôle du système financier. Est encore en question l’action d’instances internationales, comme le FMI qui a déjà commencé à intervenir.

On a évoqué, à la veille du G20, des débats et des divisions États-Unis/Union européenne. A ce débat, s’articule le débat sur les oppositions États-Unis/Chine, et la montée des pays émergents.

Il reste encore la question des actifs « pourris  » ou « toxiques », dont l’importance est tout à fait considérable.

Après le plan Obama de 700 Mrds de dollars, il y a le nouveau plan de Timothy Geithner, secrétaire au trésor des USA, qui veut purger mille milliards  d’actifs toxiques ou pourris des banques, dans le cadre d’une action  «  privé/public », avec une mise aux enchères de pôles d’actifs toxiques pour qu’ils soient achetés par des capitalistes privés (fonds de pension, fonds spéculatifs, assureurs…). Pour les inciter  à  acheter, la dette sera garantie et 50% des capitaux requis seront soutenus par le financement public. Il reste cependant deux inconnues : que vont faire les capitaux privés ? Et cela suffira t-il à purger les actifs pourris ? Les Etats-Unis incitent les pays européens à en faire autant et François Fillon a déclaré que l’on devrait, en Europe, réfléchir à des dispositifs plus ou moins proches.

Autre question à l’arrière-plan du débat Europe/Etats-Unis. Ce sont les difficultés qui commencent à peser sur les financements publics  et sur les monnaies.

Cela touche  déjà des pays en difficultés  considérables d’Europe de l’est. On parle de « déroute » de  ces pays. La Hongrie a dû recevoir une aide du FMI  de 12,5 milliards d’Euros, plus toute une série d’aides de l’Union Européenne. Les besoins pour ces pays sont d’environ  100 milliards  d’Euro et la BERD les chiffre même à 200 milliards.  La BERD et la BEI ont déjà donné à ces pays 24,5 milliards  d’Euros.

Pour l’Afrique, le FMI estime le minimum, pour son sauvetage, à 25 milliards  d’Euros.

Mais comme menace, le risque des endettements publics énormes n’épargne aucun pays, et cela touche jusqu’aux plus forts, l’euro et le dollar.

Ainsi, malgré l’euro commun, les dettes publiques de divers  pays européens voient  leurs exigences de taux d’intérêts grandir. Pour les emprunts publics à 10 ans, ils atteignent 5,57% déjà pour les grecs, 5,39% pour les irlandais, 4,6% pour l’Italie, et 3,58% pour la France contre 3,03% pour l’Allemagne et moins pour les Etats-Unis.

L’offre accrue de titres publics rencontre une forte demande pour  des pays comme la France, l’Allemagne et encore plus les Etats-Unis. Il y a un risque de montée de la spéculation et d’ une immense bulle sur les titres publics  qui serait suivie d’un krach. Tandis qu’avec cette baisse ultérieure  des prix  de marché des titres, les taux d’intérêt  fixés sur le prix nominal  d’émission,  monteraient,  poussant à la hausse les taux d’intérêt longs, contre la croissance. Déjà l’importance des financements publics  et de leur soutien par la création monétaire de la Banque d’Angleterre  a entraîné une forte baisse de la livre sterling, de 28% en 18 mois. Et, alors qu’un emprunt public britannique n’ a pu être entièrement placé, à la fin mars, le gouvernement du Royaume-Uni a dû, en conséquence, renoncer à un deuxième plan de relance.

II Mesures directement en discussion à la veille du G20 :

L’opposition  relative  Union Européenne/Etats-Unis en prévision du G20.

Dans sa déclaration du 24 mars sur le G20, Obama a dit : « Mon message est clair, les États-Unis sont prêts à  assumer  leur  leadership… Et nous  appelons nos partenaires à se  joindre  à nous,  conscients de  l’urgence et soucieux de l’objectif commun ».

Il reconnaît qu’il y a interaction États-Unis/monde. Mais cela signifie aussi : on ne peut pas sauver les États-Unis sans que le monde y participe et cela sera bon pour tous. Il évoque les mesures ambitieuses pour  la croissance et pour l’emploi aux États-Unis, mais pousse aussi l’Europe, qui selon lui ne va pas assez loin, à

faire plus. Et il est vrai que les plans de relance en Europe sont plus faibles que les plans de relance Américains.

Mais soutenir  la demande, selon Obama, consiste aussi à maintenir  le libre échange et la liberté d’entreprendre, et pour restaurer le crédit, soutenir les banques et les institutions financières. Pour les pays en graves difficultés, il évoque, le risque alimentaire Il évoque aussi le surendettement, mais il ne parle pas des fonds spéculatifs.

Donc, d’un côté les États-Unis disent : il faut plus pour les plans de relances, mais de l’autre, l’Union européenne dit : il faut plus de contrôle des institutions financières.

Pour les 27 de l’Union  européenne, celle-ci a déjà fait sa part de relance. Et ils mettent en avant le fait qu’elle a donné 50 Mrds d’Euros pour les pays de l’Europe de l’Est et qu’elle va donner 100 Mrds de dollars au FMI.

Les chefs d’Etats de l’Union européenne, et notamment Sarkozy et Merkel, s’appuient sur le rapport de la Rosière, sur «  la super vision  financière  »  qui propose la refonte des normes prudentielles,  mais aussi de contrôler les fonds d’investissement  et spéculatifs  et prévoit  un système européen de supervision.

Sur la relance et une nouvelle augmentation  de la demande, les pays de l’Union européenne disent, ce qui a été fait est suffisant, ajoutant si cela ne va pas, on pourra envisager de faire plus…

Fillon déclare qu’en plus de nos plans de relance, nous avons toute une dépense sociale qui n’existe pas aux États-Unis : le système d’indemnisation du chômage, des revenus minimums, etc.

Il faudrait  donc ajouter au plan français 30 Mds pour  comptabiliser  tous  ces  «  stabilisateurs  sociaux ».

Finalement, les Européens déclarent mettre au total 400 Mrds d’Euros, 3,3% de leur PIB. Les États-Unis répliquent en affirmant qu’ils mettent, quant à eux, 11% de leur PIB.

Pour ce qui concerne le débat sur la régulation financière, cela concerne évidemment les paradis fiscaux.

Ils représentent un flux financier de 10 000 Mrds de dollars d’actifs, soit 50% des flux financiers mondiaux. Mais ils sont eux même gérés par des fonds qui sont des fonds spéculatifs des banques (toutes les banques importantes,  soit 4 000 établissements), sans compter  les sociétés écran au nombre de 2 millions.

A propos des paradis fiscaux et réglementaires, les gouvernements  de l’Union  Européenne, ont déjà discuté notamment sur la question du secret avec la Suisse, le Luxembourg, Andorre… Mais les places de Londres et New-York sont elles-mêmes des paradis fiscaux de première importance, avec en outre les îles anglo-normandes pour Londres et les îles Caïmans ou les Bahamas pour les Etats-Unis, etc..

Le problème  serait de détenir  l’information pour connaître les opérations  risquées, et que les fonds spéculatifs communiquent  leur stratégie, leur exposition aux risques. Le groupe de travail de l’Assemblée Nationale et du Sénat, en France, insiste, sur la base du rapport de la Rosière, sur la réglementation  prudentielle des banques, la supervision  du FMI, le besoin de donner à la BCE un pouvoir d’alerte sur des bulles en formation,  etc. La détection  des bulles financières conditionnerait la possibilité de les faire éclater de façon précoce. Ce serait, prétend-on, une véritable « révolution ». Mais si on arrivait  à le faire, ce qui n’est pas sûr avec les contre-feux du capital  financier,  cela entraînerait  un freinage du soutien  financier  de la croissance réelle et une faiblesse de la croissance, dans les conditions actuelles de l’économie.

Fondements de  l’opposition relative  Union  Européenne/États-Unis.

En ce qui concerne la faiblesse relative des plans de relance européens par rapport à celui des EtatsUnis et le refus de les augmenter, il y a certes les dépenses publiques  et sociales plus fortes dans le modèle social européen. Mais aussi, il y a la politique réactionnaire contre la progression des salaires et des dépenses sociales. Et surtout, il y a les craintes concernant  l’euro  et son inflation  possible par les dépenses publiques,  l’affaiblissant  par rapport au dollar. Les Etats de l’UE sont à la fois collaborateurs des Etats-Unis pour le soutien des capitaux financiers et rivaux pour leurs propres capitaux relativement concurrents. Ne pas soutenir les salaires et le pouvoir d’achat salarial renvoie aussi à la concurrence entre pays européens. Comme on ne peut pas dévaluer l’euro, pour tel pays en difficulté,  comme l’Espagne, on s’en prend aux salaires et la concurrence salariale dans l’UE se développe.

A l’inverse,  l’insistance  européenne sur la régulation et le contrôle du système financier, des paradis fiscaux et des fonds spéculatifs, renvoie au fait que les mouvements en question sont majoritairement en dollars. Tandis qu’au contraire les Etats-Unis comptent sur les fonds d’investissements,  y compris les fonds spéculatifs, pour  racheter  les actifs pourris avec un soutien public.

La Chine est également dans l’ambivalence.  C’est, d’une part, une « collaboratrice-rivale » des Etats-Unis, avec notamment sa prise de Bons du trésor américain et donc son soutien  au circuit  réel financier  en dollars. Et, d’autre part, elle recherche un soutien de ses réserves en devises et son développement indépendant. D’où sa tendance récente à se démarquer de la domination du dollar, comme l’ont fait également certains pays d’Amérique latine.

Crédit des  banques  et rôle des  Banques Centrales. En ce qui concerne les banques, nous avons évoqué le plan US récent sur les actifs pourris,  mais il y a aussi les discussions sur les exigences sur les fonds propres et les normes prudentielles.

Les fonds propres doivent être renforcés en quantité. Nous disons aussi en qualité. Les Banques centrales ont très fortement  abaissé les taux d’intérêt  directeurs de refinancement des banques. Elles ont été jusqu’à 0,25% pour  la Federal Reserve des EU et 0,50% pour La Banque d’ Angleterre ; Elles ont aussi développé leurs achats de Bons du Trésor, surtout la Federal Reserve. La BCE n’est descendue, le 2 avril, qu’à 1,25% et les traités existants lui interdisent toujours  de prendre  directement  des titres d’emprunt  public. En ce qui concerne le crédit, cela n’a pas encore permis  de sortir de ses limitations et difficultés, en raison notamment de la volonté pour les banques de relever leurs marges de profitabilité Enfin, au-delà du crédit bancaire et des fonds publics nationaux mis en place pour soutenir  les banques (fonds de participation, fonds de refinancement...), on annonçait  une initiative nouvelle,  un Fonds mondial de soutien du crédit à l’exportation.

La question de l’accroissement du rôle du FMI :

Il y a une volonté d’augmenter le rôle du FMI pour le contrôle  (prévention des risques…), mais aussi de procéder à une réforme des quote-parts des Etats, avec l’augmentation  de la représentation des pays émergents. Il n’est cependant pas question  de remettre en cause la minorité  de blocage des États-Unis pour les votes importants,  85% des voix nécessaires alors que les EU ont 16,77%. Il y a surtout, pour le FMI, le problème d’augmentation de ses ressources. Déjà il a été fait appel aux pays développés pour le soutenir. L’UE a ainsi donné 75 Mrds d’euros (100 Mrds de dollars), le Japon également 100 Mrds. De plus, les Etats-Unis ont accepté début mars, la vente de 430 tonnes d’or sur le stock de 3 217 tonnes du FMI, à laquelle ils s’étaient jusqu’à présent opposés. Le problème est que cela ne suffit pas. Il faut beaucoup plus. On en arrive à la proposition de la Chine. D’un côté, après un voyage d’Hillary Clinton en Chine, sa banque centrale a assuré qu’elle poursuivra  ses acquisitions  de Bons du trésor des EtatsUnis. Mais  le 23 mars, le gouverneur de la banque de Chine a déclaré qu’il fallait adopter une monnaie de réserve internationale,  fondée sur un panier de devises à partir des DTS (Droits de tirage spéciaux) du FMI, au lieu du dollar américain. Cela rejoint notre proposition d’une monnaie commune mondiale à partir de DTS, avec, grâce à la création  monétaire nouvelle internationale,  d’autres  critères  de refinancement  des Banques centrales, depuis le FMI, pour  des crédits  bancaires à taux abaissés, favorisant  les investissements matériels, l’emploi et la formation. Mais les États-Unis ont immédiatement refusé par la voix d’Obama et de Timothy Geithner (secrétaire d’Etat au trésor). Ce dernier  a déclaré que si l’on pouvait envisager plus de DTS, il n’était pas question d’une nouvelle monnaie de réserve mondiale autre que le dollar.

III Mesures décidées : insuffisances graves et contradictions fondamentales, face aux défis du tournant de la crise systémique.

Avec une unité affichée, en dépit  des oppositions sous-jacentes, les mesures décidées au G20 sont caractérisées par la confirmation et la poursuite des soutiens publics en cours, comme sur les relances, et par leur insuffisance foncière, notamment sur les contrôles  du système financier,  ainsi que par les contradictions fondamentales entre les efforts nouveaux et la conservation pour l'essentiel des règles existantes.

Ainsi, s'il y a une avancée suggestive sur les moyens du FMI, malgré son ampleur, elle reste modeste par rapport aux besoins. Et surtout, elle est contrecarrée, comme toutes les tentatives publiques récentes, par le maintien de la domination  de la rentabilité financière exacerbée du capitalisme mondialisé, au lieu de répondre aux exigences montantes de transformation radicale, avec de nouveaux critères des crédits et des financements publics.

En ce qui concerne les relances  de la croissance, les plans nationaux en cours sont confirmés, en considérant qu'ils seront efficaces. Tout en évoquant la nécessité d'aller  aussi loin qu'il  le faudra dans les efforts  budgétaires, on ne met pas en cause l'ampleur insuffisante des plans, en soulignant que, tous plans réunis dans le monde, on atteindra  5 000 milliards de dollars d'ici la fin de 2010. On ne met pas plus en question  leur contenu de soutien surtout aux capitaux, sans s'en prendre à la domination des critères  de rentabilité financière, à l'opposé  des soutiens faisant prédominer le progrès social (emploi, formation,  services publics),  à partir d'investissements réels,  matériels  ou de recherche et non à prédominance financière. On considère que les plans relèveront la croissance sensiblement (on table sur 4 %), l'emploi, l'économie « verte ».

En ce qui concerne le système bancaire, on souligne les mesures déjà prises de soutien  du système bancaire, d'apports  publics  de liquidités,  de capitaux, ou de liquidation des actifs « dépréciés ». Et on s'engage à soutenir le crédit, le secteur financier et le système monétaire international. On évoque l'augmentation  des fonds propres  des banques, la conservation dans les bilans d'une partie des crédits qu'elles titrisent, le besoin des fonds de réserve, la prévention  de l'endettement  excessif. Mais il n'y a aucune remise en cause des critères du crédit  bancaire et de son refinancement par les banques centrales.

Sur la régulation  et la supervision du système financier international, on a de nombreuses mesures, mais toutes très insuffisantes. C'est d'abord  la sur veillance internationale des risques. C'est le remplacement du Forum de stabilité financière inefficace par un Conseil de stabilité finan-

cière, à la participation élargie et au pouvoir renforcé, pour une surveillance accrue des risques du système financier,  mais sans capacité d'imposer  d'autres orientations. Le FMI devra collaborer avec lui pour la surveillance et des indications  d'action.

C’est ensuite la question des fonds spéculatifs. On limite  les mesures aux fonds spéculatifs « d'importance systémique », c'est-à-dire si importants que leur faillite menace d'écroulement le système financier, mais dont  la limite  n'est pas précisée. Ces « hedge funds » devraient s'immatriculer auprès d'un superviseur et avoir une gestion plus transparente. Cela ne va pas loin, tandis que les États-Unis comptent sur ces Fonds pour placer les actifs pourris des banques et que les places financières française et allemande veulent toujours  rivaliser  avec les Fonds de la City de Londres.

C'est encore la question  des paradis fiscaux et réglementaires, ainsi que des pays dits « non coopératifs  ».

On proclame  que l'époque du secret bancaire est terminée et que l'on est prêt à mettre en place des sanctions. Il a été demandé à l'OCDE de ranger les pays en trois catégories : -blancs, qui ne posent pas de problème pour la coopération  fiscale internationale ; -gris, qui se sont engagés à faire évoluer leur réglementation ; -noirs, non coopératifs. Toutefois, la zone grise a été au dernier moment gonflée par des promesses (comme celles de la Suisse ou du Luxembourg ou du Guatemala, etc..), tandis que New York ou Londres sont aussi épargnés.

C'est enfin les décisions d'améliorer  les nor mes comptables, de valorisation des actifs et des provisions, et la surveillance de pratiques des agences de notation, qui elles aussi ne touchent à rien d'essentiel.

C’est le financement mondial de l'économie par les institutions internationales et  le  FMI qui constitue l'ensemble de mesures le plus important, malgré ses limites.  La déclaration  finale, qui le met en tête, évoque un montant  global de 1 100 milliards  de dollars  (829 milliards  d'euros).  Cela concerne un Fonds de soutien du commerce international, de 250 milliards, et l'autorisation donnée aux banques multilatérales de développement  d'accorder  au moins 100 milliards  de prêts supplémentaires,  tout  particulièrement pour les pays en développement. Cela se rapporte surtout au FMI, dont les fonds disponibles, outre 12 milliards des ventes d’or, doivent être triplés, avec 750 milliards.  Cela comporte  500 milliards  à partir d'apports, dont 100 milliards  de l'Union européenne, 100 des États-Unis et 100 du Japon, plus 50 de la Chine et d'autres apports  du Canada, de la Suisse, de la Nor vège, du Brésil, ainsi que des emprunts sur le marché éventuels.

La chose la plus remarquable est la décision d'une allocation  générale de 250 milliards  de Droits de Tirages Spéciaux, s'ajoutant aux 500 milliards.

Trois remarques à ce propos.

Premièrement, c'est un changement important, à l'opposé du rôle devenu négligeable des DTS et du refus des États-Unis de les augmenter, pour maintenir le rôle dominateur du dollar, comme monnaie universelle de fait. En effet, pour un pays, ces droits  de tirage de devises des banques centrales adhérentes au FMI, sont sans limitation par la quote-part en or du pays et non remboursables, contrairement aux droits de tirages normaux. Ils ont été créés en 1969 et mis en place au début des années 1970, pour une véritable  création  monétaire  mondiale, à côté du dollar. Mais c’est ce dernier  qui est devenu une monnaie universelle, émise par les États-Unis pour dominer  le circuit  monétaire et financier  mondial, avec la révolution monétaire du décrochement de la monnaie par rapport à l'or de 1971-1980.

Deuxièmement, malgré son importance, cette création nouvelle est limitée. Et, en outre, ces nouveaux DTS seront alloués aux 186 Etats membres du FMI, en fonction de leurs quote-part globales (en or et aussi surtout devises). Ce qui signifie que 44 % du total sera alloué au groupe du G7, les pays les plus dominants, les pays en voie de développement se contentant de moins du tiers, dont seulement 7,6 % (19 milliards) pour les 50 pays les plus pauvres.

Cela est extrêmement loin du besoin d'allocations de DTS en fonction  de tout  autres principes,  comme l'importance de la population  et le chômage effectif, les insuffisances des services publics.

Troisièmement, cela ne renvoie que très partiellement et indirectement à la demande chinoise à la veille du G20, de l'instauration d'une autre monnaie de réserve que le dollar à partir des DTS. Mais cela exclut  l'essentiel de cette demande. En outre,  la Commission Stiglitz, mise en place par l’ONU sur la réforme du système monétaire et financier international, propose aussi de développer les DTS comme instrument  de réserve international.  Cependant, même cette instauration d’une autre monnaie de réserve, pour le moment refusée, ne suffirait  pas à répondre aux immenses besoins nouveaux.

Il faudrait une véritable nouvelle monnaie commune mondiale ou universelle, sa définition  à partir d'un panier de monnaies bien élargi par rapport aux DTS actuels, et notamment incluant des monnaies zonales, comme l'euro ou la monnaie en cours de création pour plusieurs pays d'Amérique Latine, ainsi que sa création massive. Il faudrait son allocation en fonction  de l'importance des populations  et de leurs besoins sociaux. Il faudrait des critères d'utilisation, visant à refinancer des banques centrales pour des crédits à taux très abaissés, zéro et négatif (diminution des remboursements) pour les investissements réels, matériel et de recherche, d'autant plus abaissés que ces investissements sont accompagnés de bons emplois et formation. Ces critères viseraient aussi la possibilité  que les banques centrales prennent des titres d'emprunts publics, avec leur création monétaire, éventuellement refinancée par le FMI, en vue d'une expansion sans précédent des services publics et de leur coopération, jusqu'à instituer des services et Biens communs publics  de l'humanité.  Et cela s’effectuerait  en liaison  avec un autre rôle de la Banque mondiale et des institutions correspondantes de l'ONU, ou encore avec un Conseil économique et social de l'ONU doté d'importants pouvoirs,  pour une démocratisation sociale d'une gouvernance économique mondiale partagée.

D'une façon générale, alors qu'en vue du G20, on avait prétendu agir pour « moraliser » le capitalisme voire pour le « refonder », ce qui a dominé c'est la poursuite des mesures de soutien des banques, des capitaux financiers, du capital des multinationales. Et cela, notamment  avec la réaffirmation du libreéchange et du cycle de libéralisme de l'OMC, malgré les promesses sur la sécurité alimentaire mondiale, l'emploi, la formation et l'éducation, ou le climat. Cependant, on ne peut pas se contenter de dire qu'il y a eu beaucoup de bruit pour rien, ni qu'on a seulement renfloué les responsables de la crise, ni que le G20 a uniquement légitimé les institutions internationales dominantes en n’apportant aucune réponse à la crise globale. En effet, les graves insuffisances des mesures de confirmations, ou des mesures nouvelles d’organisation  ou de financement, sont suggestives des besoins de transformation radicale, qu'elles contribuent à préciser. Et ces précisions pourront encore avancer lors du G20 de septembre à New York.

Bien sûr, le bras de fer entre les forces de conservation du système, encore très prédominantes,  et les forces politiques,  syndicales et morales, poussant à des changements radicaux, commencent seulement à se mettre en place. Même si les forces de progrès avancent dans certains pays, comme en Amérique Latine, en France ou en Chine, etc. Ce bras de fer peut durer longtemps, et il dépendra des développements des exigences nouvelles.

Le tournant  majeur dans la crise du capitalisme mondialisé, ayant poussé à la nouveauté des interventions publiques  très massives et aux efforts de coordination ou d'intervention des institutions internationales, reste marqué par les contradictions antagonistes entre ces actions nouvelles et le maintien des règles fondamentales du système. Cela contribue à faire monter non seulement au plan idéologique et politique,  mais au plan réel, le besoin d'avancer de nouvelles règles fondamentales.

Cela se marque avec le but de la rentabilité financière prédominante des interventions publiques. Et cela se marque aussi avec l'endettement  sur les marchés financiers pour financer ces interventions, nécessitant le soutien de ces marchés, plus important que la création monétaire nouvelle, elle-même soutenant la rentabilité financière. Cela développe les nouveaux risques très graves d’excès des endettements publics, liés à leurs critères ne permettant pas de développer comme il faut la croissance réelle et sociale dans le monde. Car cela peut déboucher,  nous l’avons déjà indiqué, sur d’énormes bulles, plus ou moins spéculatives, sur les titres publics  et leur éclatement, mettant  en cause les monnaies, dont  le dollar,  et faisant se relever les taux d’ intérêt  longs contre la croissance réelle, en relançant très fortement  les défis de changements profonds.

En effet, les nouvelles créations monétaires et tous les fonds publics  ne sont pas conditionnés  à des critères  d'utilisation radicalement  différents,  avec de nouveaux pouvoirs,  pour une croissance réelle faisant prédominer  la vie et les capacités des êtres humains, pour  aller vers une autre civilisation de l'humanité.

Vers la fin du système colonial départemental ? Le cas de la Martinique

Par Branchi Michel , le 31 January 2009

Vers la fin du système colonial  départemental ?  Le cas de la Martinique

Le mouvement social de janvier -février 2009 en Guadeloupe et en Martinique contre la « profitation » (pwofitasyion  en Kréyol) est la traduction d’une crise profonde des sociétés de ces pays à l’œuvre  depuis de nombreuses années et accentuée par les premiers  effets de la crise financière capitaliste internationale.

Pour comprendre, essayons de déterminer les facteurs immédiats et ceux qui traduisent la crise du modèle de développement issu de la départementalisation

I-Les facteurs immédiats : vie chère et recul du pouvoir d’achat

Au rang des éléments qui ont déclenché la colère des Guyanais, des Guadeloupéens et des Martiniquais, il y a la gestion par l’État de la fixation des prix des carburants fabriqués par la Société de raffinerie des Antilles (Sara) ; filiale de Total.

En effet, quand après une hausse continue  des prix à la pompe depuis janvier 2007 dans le sillage des hausses des cours du pétrole  brut, ceux-ci se sont brutalement effondrés du fait de l’éclatement en septembre-octobre  2008 de la crise financière internationale, les prix fixés par les préfets de ces départements ont tardé à répercuter les baisses. Dans le même temps l’opinion publique apprenait que les prix baissaient fortement en France. Cela a été l’étincelle qui a provoqué l’explosion contre la cherté de la vie, objet récurrent des protestations de tout un chacun.

Inflation comparée Martinique/France 2004/2007

 

Années

 

Martinique

 

France

Différentiel

Martinique/France

2004

+ 2,8 %

+ 2,1%

+ 0,7 %

2005

+ 1,9 %

+ 1,5 %

+ 0,4 %

2006

+ 2,8 %

+ 1,5 %

+ 1,3 %

2007

+ 2,9 %

+ 2,6 %

+ 0,3 %

Avril 2008 (sur un an)

+ 3,3 %

+ 3,0 %

+ 0,3 %

Cumul différentiel 2004-2007

 

 

+ 2,7 %

 

Par ailleurs, pendant la première partie de l’année 2008 et depuis 2004 et surtout depuis le cyclone Dean, le  rythme de la hausse des prix avait été supérieur à celle enregistrée en France :

Sur dix ans, de 1998 à novembre  2008 :

– les prix des produits alimentaires ont augmenté selon l’INSEE de + 32,5 % en Martinique contre + 23,5 % en France  ;

– les loyers et services rattachés de + 31,5 % en Martinique contre + 28,2 % en France ;

– les transports et communication de + 10,6 % contre + 2,5 % en France.

DOM, zone de prix élevés

Il faut dire qu’il est reconnu que le niveau des prix est supérieur dans les DOM à celui de la France. Les DOM sont des « zones de prix élevés », reconnaît l’Institut d’Émission des DOM (IEDOM = équivalent  de la Banque de France).

Malheureusement, la dernière enquête de comparaison spatiale des prix menée par l’INSEE date de 1992. En actualisant ses données avec le différentiel de prix Martinique/ France depuis cette époque, l’écart de niveau général des prix serait de + 13,6 % fin 2007.

D’autres études moins exhaustives montrent des écarts conséquents.

Par exemple, le rapport de mission du député J.-P. Brard(2) du 13 mars 2007 fait état aussi de différences de prix considérables entre les pays d’outre-mer et la France. Exemples :

– Dentifrice Colgate Total 75 ml : 1,79 € à Montreuil et 2,81 € en Guadeloupe, soit + 57 % ;

– Savon Persavon Marseille,  5 x 100 g : 2,10 € à Montreuil et 3,08 € en Guadeloupe, soit + 46,7 % ;

– Chocolat Nestlé Noir intense 70 % 100 g : 1,28 € à Montreuil et 2,30 € en Guadeloupe, soit + 79,7 %.

Pour sa part, le quotidien France-Antilles de Philippe Hersant, peu suspect d’esprit contestataire, annonce à la Une le 4 février, la veille de la mobilisation à la Martinique : « La vérité des prix ». Le quotidien fait état d’une enquête menée conjointement avec une association de consommateurs locale et comparant certains prix pratiqués en Martinique avec ceux constatés en France dans de grandes surfaces : ils sont supérieurs  de 34 %.

Les écarts de prix Martinique/France atteignent des sommets selon les relevés de prix moyens de l’INSEE. Quelques exemples pris en décembre  2008 :

– Pâtes supérieures,  500 g : 1,74 € en Martinique contre 0,89 € en France, soit + 95,5 % ;

-– Côte de porc dans l’échine : 11,17 € le kg en Martinique contre  7,73 € le kg en France, soit + 44,5 % ;

– Beurre pasteurisé  non salé, 250 g : 2,67 € en Martinique contre  1,61 € en France, soit + 65,8 % ;

– Huile de tournesol, 1 litre : 3,14 € en Martinique contre 2,26 € en France, soit + 38,9 % ;

– Lait UHT demi-écrémé, 1 litre : 1,16 € en Martinique contre 0,77 € en France, soit + 50,6 %.

Pourquoi ces difrences de prix puisque tout ou presque est importé  de France ?

La réponse officielle jusqu’ici était de les attribuer à l’éloignement et à la distance.

Il faut préciser que depuis le 1er janvier 1987 la plupart des prix sont libres en France comme en Martinique et que, officiellement, les autorités comptent sur la concurrence pour réguler l’évolution des prix. Depuis cette époque, aucune étude n’a été faite par les pouvoirs publics pour vérifier les conditions de formation des prix dans les DOM, territoires insulaires où, par nature, les conditions de la concurrence sont limitées avec l’intervention  d’oligopoles ou de monopoles à tous les stades. Il faut souligner en particulier le quasi monopole du transport maritime détenu par la compagnie CMACGM privatisée  sous les gouvernements  de Jacques Chirac.

Des Observatoires  des prix et des revenus ont été installés suite au rapport de mission  de mars 2007 du député communiste Jean-Pierre Brard. En Martinique l’observatoire a été installé en décembre 2007.

Mais ces organismes n’ont été dotés ni de pouvoirs d’investigation ni de personnels. Leurs travaux reposant sur le bénévolat de leurs membres démarrent lentement.

La structure des produits importés est la suivante :

Prix  FOB + coût de transport(maritime ou aérien) + assurance  = Prix CAF + frais d’approche = PRE + droits & taxes (hors TVA) = Prix  de Revient  + marge de l’importateur = Prix  de Gros + marge du détaillant + TVA ou taxe sur la consommation = Prix de vente TTC.

Pour réduire les écarts de prix DOM/France, il faudrait agir avec volontarisme sur toutes les composantes de ces prix, c’est-à-dire réinstaurer un contrôle des prix associé à une politique adaptée de la concurrence.

Le rapport J.-P. Brard dénonce des « marges injustifiées à l’importation et à la distribution » ainsi que « d’économies de monopoles » outre-mer.

Le coût du transport, l’intervention de certains intermédiaires et le niveau des marges pratiquées  par la grande distribution capitaliste peuvent aussi expliquer le niveau élevé des prix en Martinique et dans les DOM. Ces facteurs, par choix idéologique néolibéral, ne sont étudiés ni contrôlés depuis 1987.

Ainsi la grande distribution capitaliste est essentiellement le fait de groupes familiaux de l’oligarchie martiniquaise béké et de couleur sous franchise d’enseignes françaises.

Huit groupes concentrent  94 % des surfaces commerciales opérant dans la quasi-totalité des secteurs du commerce. Il s’agit notamment des groupes ci-après : Albert (Intersport, Nocibé), Louis Delhaise (Cora, Match, Ecomax), Patrick Fabre (Leader Price), Germon et Baudoin (Conforama, But), Bernard Hayot (Carrefour Fort-de-France, Carrefour Genipa, Mr Bricolage), Ho-Hio-Hen (Géant, Casino, Cyber H), Lancry, racheté dit-on par GBH, ( Carrefour Lamentin, Ed, Leroy-Merlin, Obi), Osenat (Librairie Antillaise), Parfait (Hyper U Lamentin et Fortde-France), Roseau (Weldom, Baobab, Sport 2000), Gérard Huyghes-Despointes (Champion, 8 à 8), Thierry HuyghesDespointes (Madimarché, Foir’fouille).

Ici il faut aborder la question des békés, c’est-à-dire les descendants des colons esclavagistes dont le poids économique est encore important sinon prédominant aux Antilles–Guyane.

 

 

Où en est la puissance économique  des békés ?

La question de la puissance économique béké est soulevée depuis le début de la crise sociale en Guadeloupe et en Martinique et surtout après la diffusion sur Canal+ d’un film-documentaire de Romain Bolzinger intitulé « Les derniers maîtres de la Martinique » qui a reçu un grand écho et soulevé une grande colère de l’opinion antillaise suite aux propos racistes d’un possédant béké à la tête d’un grand groupe de l’industrie agro-alimentaire, Alain Huygues-Despointes.

Le magazine économique «Business News» (Directeur : Eddy Marajo) a présenté  en mars 2007 un dossier intitulé :

« Békés. Puissance économique  : mythe ou réalité ? ». Une évaluation de l’importance  des groupes économiques békés en Martinique a été réalisée à partir de l’emploi et de la valeur ajoutée et de leur contribution au produit intérieur brut. Cette approche est évidemment très partielle, à notre avis, car elle ne rend pas compte des rapports d’influence et en particulier de la présence croisée du capital béké dans les différents secteurs.

Résultats : les 15 groupes békés représenteraient  14 % du PIB local (5,68 milliards d’euros en 2002) et 22 % de la valeur ajoutée marchande. Soit une création de richesse de 853 millions d’euros quand même ; 9 % de l’emploi total, soit 11 000 des quelques  125 000 emplois existants en 2005 et 14,8 % de l’emploi « privé ». Ce qui est cependant très important. Les secteurs intégrant des entreprises békés en Martinique représentent 46,4 % du PIB ; leur part estimée dans ces secteurs serait de 32,8 % selon Business News. Ces groupes  contrôlent 330 entreprises actives, soit 1 % des entreprises, estil souligné. Mais le rapport au nombre total d’entreprises n’a pas de sens vu la « poussiérisation » extrême des quelques  27 000 entreprises martiniquaises, dont une sur deux n’a pas de salarié et 1,8 % seulement ont plus de 20 salariés (514 entreprises).

L’étude montre que, sous l’influence d’une série de facteurs, le poids économique des entreprises békés concentrées aujourd’hui  dans une quinzaine de groupes, s’est considérablement réduit tout au long du XXe siècle : catastrophe de Saint-Pierre en 1902, crise de l’industrie sucrière dans les années 1960 (fermeture de la totalité des usines centrales martiniquaises), pénétration du capital français, européen et international, disparition de leur banque le Crédit Martiniquais racheté par la Bred (du fait de leur avidité lors de la défiscalisation), montée en puissance des groupes noirs, mulâtres et chinois à partir du début des années 1980, etc. 17 groupes Békés ont ainsi disparu au cours des trente dernières années dont certains ont cependant été absorbés par d’autres groupes békés par fusion-acquisition  (spécialité des groupes Bernard Hayot et Gérard Huyghes-Despointes).

C’est ainsi que les groupes capitalistes békés ont perdu le contrôle  des assurances, de la banque, de la distribution des hydrocarbures, d’une partie de la distribution alimentaire (ils détiendraient tout de même 26,5 % des hypermarchés et 50,7 % des supermarchés), et même le rhum repris en quasi-totalité par des multinationales (groupe français La Martiniquaise et groupe réunionnais Quartier Français) à l’exception  de Clément, JM, rhum Saint-Étienne et distillerie du Simon repris par Bernard et Yves Hayot ainsi que rhum Neisson resté indépendant, etc. Ils ne sont pas présents dans le téléphone mobile (France Télécom, Outre-mer Télécom, etc.), la construction (Vinci, Bouygues), le marché de l’environnement, la gestion de l’eau (Veolia, Lyonnaise des Eaux, SAUR), la production d’énergie (Total, Esso, Texaco, Rubis)), le transport, le meuble, l’électro-ménager (But, Conforama, Conexion), la sécurité, etc.

Cependant Business News reconnaît que les békés «sont directement détenteurs d’un véritable pouvoir économique en gérant la majorité du foncier agricole du pays» : les grandes exploitations agricoles békés (240 environ et 5 % des exploitations agricoles) occuperaient 52 % de la surface agricole utilisée.

Les békés dominent  dans les secteurs de la production et du commerce de matériaux de construction, dans l’industrie locale et particulièrement l’agro-alimentaire. Ils n’hésitent pas (comme les groupes Bernard Hayot ou Huyghes-Despointes), à investir à l’extérieur de la Martinique dans les deux autres départements français d’Amérique (Guadeloupe et Guyane) et à l’international (République dominicaine, Trinidad, Le Maroc, NouvelleCalédonie, La Réunion, La France, Cuba, Saint Martin, etc.).

En conclusion, la puissance économique des békés martiniquais est réelle mais, avec la départementalisation, les multinationales françaises et européennes les ont refoulés quelque peu. Nous avons les anciens maîtres et de nouveaux plus inaccessibles et anonymes.

D’autres éléments de contexte expliquent le soulèvement populaire en Guadeloupe et en Martinique. Citons entre autres :

Un tiers des salariés du privé, soit environ  22 000 Martiniquais(es), seraient au SMIC ou au voisinage  selon l’INSEE, soit 1 037,24 € net par mois au 1er juillet 2008 ; comment vivre en Martinique  avec une telle somme  ? La moitié des salaires est inférieur à 1 400 € par mois ; et un emploi  sur cinq est un emploi précaire, soit 21 % des salariés contre 12 % en France. Beaucoup de travailleurs salariés sont dans la pauvreté et surendettés.

Baisse du pouvoir d’achat : ces dernières  années 2004-2007, selon l’INSEE, les salaires ont progressé de 1 % en Martinique en moyenne par an, c’est-à-dire moins que l’inflation qui a été en moyenne  annuelle de + 1,9 % (voir plus haut). Sur 4 ans (2004-2007) la perte du pouvoir d’achat salarial en Martinique serait donc de 3,6 %.

Le taux de pauvreté en 2006 est de 16,4 % des ménages en Martinique  avec un seuil bas de 584 € par mois contre 11,7 % en France avec un seuil de pauvreté de 788 €. En Guadeloupe, le taux de pauvreté est de 18,6 % en 2006 avec un seuil de pauvreté fixé à 517 € par mois. Le nombre de bénéficiaires  du RMI était de 31 952 en Martinique au 31/12/2007, soit 8 % de la population contre approximativement 2 % en France. Le nombre de Rmistes des Dom représente 14,3 % du total de la France. 28,3 % des Martiniquais bénéficient de la CMU contre 6,8 % en France.

• En Martinique, on assiste depuis 2007 à un brutal ralentissement de l’activité économique du fait de la chute de la consommation liée au recul du pouvoir d’achat (croissance du PIB de + 0,9 % en 2007 contre  + 3 % en moyenne ces douze dernières années) qui s’est amplifié  en 2008. La pseudocroissance artificielle  alimentée par les transferts publics est en panne. Les incidents de paiement des entreprises ont augmenté en 2008 de 17 % sur un an (commerce, construction surtout). Le BTP est entré en crise en 2008 avec l’éclatement  de la bulle immobilière et spéculative provoquée par la défiscalisation.

Le chômage officiel remonte depuis juillet 2008 (plus de 2 150 chômeurs supplémentaires recensés) pour atteindre 34 554 chômeurs officiels en décembre 2008, soit + 6,4 % en un an.

Le cocktail vie chère, recul du pouvoir d’achat, début de récession économique  et chômage accru, plus mépris raciste des békés et autres colonialistes extérieurs ont provoqué l’explosion populaire.

II- Facteurs liés au système colonial partemental en crise : maintien du Pacte colonial sous des formes nouvelles

Cette crise sociale est aussi économique, écologique (affaire de la chloredécone), identitaire et morale, et politique (impuissance des pouvoirs locaux à peser sur les décisions importantes). Elle s’inscrit dans un contexte structurel de dépendance à l’égard des importations, de faiblesse de la production locale concurrencée durement par l’importation. À cela s’ajoutent la non-implication des banques dans la production locale qui orientent le crédit vers la consommation importée et la spéculation foncière et immobilière, la fragilité financière des entreprises, le recul régulier de la surface agricole utilisée et la dépendance alimentaire accrue, les effets pénalisants des monopoles des transports  aériens et maritimes et une croissance largement artificielle parce que tirée par la consommation importée et les transferts publics et sociaux, etc.

C’est donc une crise sociétale spécifique qui vient de loin.

Quelques caractéristiques de l’économie martiniquaise :

1) Il s’agit d’une économie « dominée par la demande » : la consommation  (ménages, administrations)  est en permanence supérieure au Produit Intérieur Brut (PIB), c’est-à-dire à la richesse  globale : 6,9 milliards d’euros contre 6,8 milliards d’euros en 2004. En France, la consommation est égale à 80 % du PIB. La Martinique consomme plus qu’elle ne «produit». Le pays est dominé par les capitalistes de l’import- distribution qui captent l’essentiel des transferts publics et sociaux (1 622 millions d’euros nets en 2003) qui se transforment en importations (2 111 millions d’euros en 2004) puis en profits (2 331 millions d’euros en 2006).

2) Un nouveau mécanisme d’exploitation coloniale depuis les années 1960/1970.

À partir des années 1960-1970, l’intégration accrue de l’économie martiniquaise à l’économie française découlant de la départementalisation a substitué au vieux système d’exploitation coloniale basé sur l’exportation de denrées tropicales (sucre, rhum, bananes, etc.) un nouveau mécanisme constitué par l’injection de transferts publics et sociaux alimentant un courant croissant d’importation.  Celui-ci améliore certes le niveau de vie mais sans entraîner une croissance significative de la production locale – et se recycle sous forme de profits pour les représentants de l’oligarchie béké reconvertie dans le grand commerce et pour les firmes capitalistes françaises venues contrôler le marché des DOM. Les dépenses de l’État dans les DOM soutiennent  les grandes firmes françaises.

Effet d’un euro de transfert public net en Martinique : les DOM ne sont pas un fardeau pour la France.

Selon le rapport DME (Didacticiels et modélisation économique) dirigé par le Pr Olivier SUDRIE « 50 ans de progrès économique et social en Martinique» (juin 2004) un euro de transfert public net en 2000 engendre :

– D’un côté, 0,34 € d’importations en France, 0,46 € de valeur ajoutée (richesses supplémentaires) en France, 0,21 € de prélèvements obligatoires  au bénéfice de l’État français ;

– D’un autre côté, 1,46 € de valeur ajoutée (richesses supplémentaires) en Martinique,  0,59 € de prélèvements obligatoires au bénéfice de l’État français.

– Au total :

• l’État récupère 0,80 € (0,21 € + 0,59 €);

• les capitalistes français 0,46 € ;

• les capitalistes martiniquais une part évaluée à 7,3 % des 1,46 € de valeur ajoutée locale, soit 0,11 € ;

• le déficit n’est que de 0,20 € sur 1 € de dépenses publiques.

3) Le secteur des services est prépondérant  (80 % de la valeur ajoutée totale). Dans cet ensemble les services non marchands, c’est à dire le secteur public, jouent un rôle d’autant plus déterminant dans l’activité économique (32% de la valeur  ajoutée  contre  21 % en France) que le secteur privé est faible.

4) La part du secteur industriel dans la richesse globale demeure faible : 8/9 % (contre 21 % en France). Cela résulte de l’histoire coloniale certes (Colbert : « Ni un clou ni un fer à cheval »), mais aussi de l’intégration  forcée à l’Europe qui nous impose le libre échange intégral tout en limitant la protection de la production locale par l’octroi de mer et enfin des choix de l’oligarchie qui généralement préfère les facilités du négoce de l’importation.

5) Les échanges sont principalement  réalisés avec la métropole (avec un accroissement de la part en provenance de l’Europe) qui satisfait la consommation. Les échanges avec les voisins caribéens sont réduits (sauf les hydrocarbures). On retrouve ici le rôle colonial des DOM, débouché pour la métropole, et celui de la métropole (et de l’Europe) comme fournisseur(s) quasi-exclusif(s) de la néocolonie départementale. Le taux de couverture des importations par les exportations est de l’ordre de 16/17 % et traduit les déséquilibres économiques structurels. L’intégration à l’Europe sous forme de Régions dites ultrapériphériques  (RUP–article  299-2 Traité d’Amsterdam) isole les DOM de leur environnement géographique et les soumet au dumping social de leurs voisins (accords de Lomé et accords de partenariat économique dits APE).

6) La situation financière  d’ensemble des entreprises martiniquaises est apparemment  bonne. Mais, à y regarder de plus près, les bons résultats (ratios) sont concentrés sur quelques grandes entreprises capitalistes bien structurées (souvent les békés et capitalistes français), alors que les résultats des entreprises individuelles (petits entrepreneurs noirs généralement)  – qui sont la majoritésont beaucoup plus mauvais. C’est un autre signe du sous-développement du fait de la sous capitalisation des entreprises martiniquaises et de leurs difficultés d’accès au crédit. C’est le fameux « dualisme » du sous-développement.

7) En dépit d’un bon niveau de formation et des politiques d’emplois aidés de l’État, le chômage est structurellement élevé (officiellement 21 à 22 % de la population active, en fait de 26 à 30 % en incluant les travailleurs « découragés »). Il est deux à trois fois plus élevé qu’en France (8,1 %) et que la moyenne de la zone euro (9 %).

Cette situation n’est pas due à la fatalité ni à l’éloignement et à l’insularité,  comme le disent les technocrates du colonialisme (IEDOM, AFD), mais surtout au maintien, sous des formes nouvelles, de rapports de type coloniaux avec la France et l’Union européenne ainsi qu’aux pratiques de parasitisme économique des maîtres de l’économie (békés, bourgeoisie de couleur et sociétés coloniales françaises).

Les éléments du fameux Pacte de l’Exclusif colonial et de l’économie de comptoir sont toujours présents mais sous des formes modifiées(3).

Si l’on veut caractériser l’économie martiniquaise,  audelà des concepts d’économie de transfert ou d’économie de rente, utiles pour expliquer son fonctionnement, il faut bien admettre que son économie est dominée, dépendante et mal développée. Elle est de type néo-colonial.

Conclusion  : La « fin d’un cycle historique » ou l’échec du système colonial départemental

Les manifestants ont crié « Gwadloup sé tan nou, sé pa ta yo, Matnik sé tan nou, sé pa ta yo ». Ce qui veut dire : la Guadeloupe, la Martinique nous appartient, elle ne leur appartient pas. Ce slogan  veut dire, selon nous deux choses : ces pays appartiennent  à tous les citoyens et non aux seuls profiteurs,  aux possédants békés ou autres et aussi ils n’appartiennent pas aux colonialistes. Il y a un aspect de classe, social et indissociablement un aspect anticolonialiste.

Recevant en pleine crise les élus d’outre-mer à l’Élysée le 19 février 2009, le Président de la République Nicolas Sarkozy a déclaré : « Je crois que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle historique en outre-mer ». Il prétend avoir compris que ce qui se passe en Guadeloupe et en Martinique n’est pas seulement une crise sociale mais aussi« une crise identitaire et donc politique ». La suite prouvera si ce président qui trouvait que la colonisation  a des aspects positifs, l’auteur du funeste discours de Dakar méprisant l’Homme noir, a su se hisser à la dimension historique de l’histoire antillaise.

Il s’agit de la faillite d’un système qui produit et reproduit le mal développement. La faillite du système colonial départemental.

Pour engager un autre type de développement  – un développement endogène – il faut mobiliser les forces vives de ces pays et non plaquer de Paris un énième plan Sarkozy-Jego après les plans Girardin, Jospin-Paul, Perben et autres Pons, Dijoud, etc., qui tous ont conduit à l’échec.

Pour mettre en place d’autres logiques de développement, une véritable politique de développement, il est impératif de faire droit à l’aspiration  de ces peuples à l’accession à la responsabilité politique.

Cela passe par un changement statutaire, par l’érection de la Martinique en Collectivité unique nouvelle disposant de l’autonomie comme le permet l’article 74 de la Constitution actuelle et comme l’a demandé le Congrès des élus martiniquais à une large majorité le 18 décembre 2008.

L’engagement de la République française dans cet effort  pourrait se concrétiser  dans une loi-programme  de 15 ans élaborée contractuellement.

Telle pourrait être l’issue de cette crise

Taux de chômage (en % en 2007)

Guadeloupe

22,7 %

Martinique

21,2 %

Guyane française

20,6 %

Réunion

24,2 %

France

8,1 %

 

(1) Économiste, ex-Commissaire de la Concurrence et de la Consommation, Membre du bureau politique du Parti Communiste Martiniquais (PCM).

(2) Rapport relatif à l’amélioration de la transparence des règles applicables aux pensions de retraite et aux rémunérations outre-mer et présenté par M. Jean-Pierre Brard, Député (Assemblée nationale 13/03/2007).

 

PIB par habitant en euros en 2007

Guadeloupe

17 221

Martinique

19 111

Guyane française

12 965

Réunion

16 244

France

30 140

 

(3) Le principe de l’Exclusif ou Pacte colonial, consiste à interdire aux colonies toute relation commerciale avec l’étranger,