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Des propositions concrètes pour l’action immédiate face à la crise

Par Yves Dimicoli, le 30 September 2008

Des propositions concrètes pour l’action immédiate face à la crise

Je me félicite de cette séance d’auditions. Elle révèle de gros potentiels de convergence. Elle signale aussi des différences sur lesquelles nous devons travailler ensemble pour nous rapprocher. Plus que jamais il y a besoin de confrontation coopérative de tous les hétérodoxes, en liaison avec l’action. Nous pouvons avancer ensemble, dans une saine émulation, non pour chercher à se mettre d’accord sur un «plus petit commun dénominateur», mais pour aider au développement d’un mouvement populaire large et efficace prenant en main de grands axes de transformation sociale et sociétale radicale.

Ne pourrait-on pas déboucher en conclusion sur des décisions de principe ? Un groupe de travail «ad hoc» pourrait alors être constitué dés aujourd’hui qui serait chargé d’élaborer, à partir de ces décisions de principe, des propositions précises d’initiative avec un calendrier qui seraient présentés.

 

Trois remarques liminaires

Première remarque, la crise financière s’impose à tous. Elle apporte un cinglant démenti à ceux qui postulaient que la bataille idéologique était définitivement gagnée par Sarkozy. Elle place les communistes et toute la gauche devant des opportunités nouvelles et d’immenses responsabilités. En effet, en France, en Europe et dans le monde, les droites, les défenseurs du capitalisme «en crise systémique» cherchent une «union sacrée» autour de mesures d’État, engageant des fonds considérables de façon concertée, prises au nom de l’urgence et de la nécessité de conjurer la catastrophe.

En réalité, la gauche est face à un défi formidable car, dans un même mouvement, ces mesures dites d’urgence s’inscrivent dans une fuite en avant fondamentale au service de la domination des marchés financiers.

On voit l’énorme malaise du PS avec ce défi. N’exprime-t-il pas à quel point l’heure n’est plus à la recherche de «solutions de moindre mal», ce qui a été, ces trente dernières années, le fond de commerce et la base de crédibilité de ce parti ?

La crise financière s’invite avec fracas à tous les congrès, obligeant à rebattre les cartes, à celui du PS comme au notre. De même, elle va peser lourd dans le débat des élections européennes.

Plus que jamais elle nous place devant la nécessité de relier le projet politique aux luttes immédiates et à une visée transformatrice d’ensemble qui devrait être celle d’un dépassement graduel mais effectif du capitalisme.

Deuxième remarque, dans cette situation, il me semble que nous devons être attentifs à ne pas laisser découpler la question des mesures d’urgence de l’enjeu politique de réformes structurelles et institutionnelles très profondes. C’est au nom de la rupture avec les «dogmes périmés» et de la nécessité d’être «révolutionnaires» (sic), pour reprendre les mots de Gordon Brown, que les États interviennent massivement, jusqu’à prendre des mesures ponctuelles et transitoires de nationalisation visant à socialiser les pertes. Mais, dans l’urgence et au nom de l’urgence, ce sont des mesures de fond qui sont prises.

La nécessité d’une intervention concertée des États était devenue incontournable. Elle était attendue de partout, même si l’ampleur des fonds qu’elle mobilise a pu entraîner de la sidération quand, dans le même temps, on ne cesse d’entendre qu’il n’y a pas d’argent pour les salaires, les services publics, les retraites, l’emploi et la formation, le logement social…

Le problème n’est pas tant le principe d’une intervention publique et d’État que celui de ses buts, de ses contenus, de sa sélectivité, de sa maîtrise sociale.

Le rejet justifié du plan Sarkozy, le refus de l’union sacrée et de l’hyper délégation à Sarkozy, placent alors devant la nécessité de travailler à des ripostes rassemblées pour une alternative inscrivant l’exigence d’autres mesures d’urgence dans l’avancée de réformes structurelles et institutionnelles profondes, alternatives à celles de Sarkozy.

La remontée de l’intervention publique et d’État jusqu’à des nationalisations peut ouvrir un boulevard à la gauche et, singulièrement, au PCF s’ils s’en saisissent bien.

Bien au-delà de nos rangs grandit l’idée que c’est le capitalisme lui-même qui est en cause et que c’est donc sa logique qu’il faut oser affronter, comme l’a indiqué le récent sondage de l’Humanité Dimanche.

Il y a du scepticisme autour de l’idée que la crise ne serait que financière, qu’elle ne serait que la crise de la «finance dérégulée» anglo-saxonne. Et, à ce propos, on peut légitimement critiquer les termes du communiqué commun PCF-PS-Verts-MRG annonçant le forum public de la gauche du 21/10 en se contentant de mettre en cause «le système de la finance dérégulée».

En réalité, à la lumière des efforts actuels d’union sacrée, on peut mesurer combien ces idées sont erronées et s’inscrivent, en fait, dans toute une tentative visant à ravauder le système capitaliste si ébranlé, à le maintenir lui et ses maux aggravés et grandissants.

Le changement de climat idéologique est favorable à la promotion dans l’action de propositions de transformations précises pour maîtriser dans l’action le marché et, ainsi, commencer à s’émanciper du capitalisme devenu fou.

Troisième remarque, il faut aider la gauche à ne pas se laisser paralyser sur le couplage État/marché.

La mobilité des dirigeants capitalistes et des droites dans la crise financière, la hardiesse apparente de leurs initiatives concertées en Europe pour mobiliser les États et les moyens publics face au risque de collapsus des marchés et des économies rendent encore moins crédible la prétention à gauche de faire du neuf dans le réglage du couplage entre l’État et le marché

La soi-disant alternative du «plus d’État» face au marché, du «plus d’État» pour corriger le partage de la valeur ajoutée, le partage des richesses, pour compenser les dégâts sociaux et sociétaux du marché, prend un sacré coup de vieux.

Il y a une opportunité pour arracher la gauche à cette visée qui, des années durant, a permis de créditer la seule droite du souci de l’efficacité économique, et le seul PS de la capacité à peser pour la justice sociale.

La période se prête à ce que nous jouions à fond notre novation :

Du côté de l’État, nous ne saurions nous contenter de saluer son retour. Et d’ailleurs, nous contestons le contenu qu’y donne la droite. N’est-ce pas le moment de faire très fort sur l’exigence de pouvoirs de contrôle et d’intervention des travailleurs et des populations depuis les entreprises et les services, au-delà des délégations traditionnelles, et pour ressourcer le travail des élus ? Nous parlons de la nécessité, en pratique, d’avancer dans la conquête d’une démocratie participative et d’intervention.

Simultanément, il s’agit de chercher à maîtriser tous les marchés, en prenant appui sur de grandes exigences sociales et sociétales, par l’avancée de règles, de critères, d’institutions nouvelles, de services publics novateurs. Cela concerne le marché du travail en sécurisant l’emploi, la formation, le revenu au lieu de la «fléxicurité». Cela concerne le marché des produits avec la bataille, non pas pour limiter les exigences de rentabilité financière comme le propose Frédéric Lordon avec le «SLAM»(1), mais pour faire avancer de nouveaux critères de gestion d’efficacité sociale contre les rejets sociaux du chômage, de la non-qualification et des pollutions, avec de nouvelles entreprises publiques... Enfin, cela concerne le marché de la monnaie et de la finance avec la modernité, confirmée par la crise, du combat pour que la monnaie, le crédit soient traités comme des biens communs de l’humanité.

Deux ensembles à articuler

Précisément, c’est la nécessité de maîtriser ce marché que fait saillir la crise financière. Elle invite à articuler deux ensembles en liaison étroite avec les exigences sociales et sociétales de transformation.

1er ensemble, un nouveau crédit bancaire mis en œuvre par un pôle financier public. Il faut absolument changer le crédit et son utilisation. Il doit devenir le carburant d’un nouveau type de croissance économisant sur les gâchis de capital matériel et financier et développant toujours plus toutes les capacités humaines.

Cela exige de se battre pour de nouvelles règles, un nouveau mécanisme du crédit. Nous avançons précisément le principe d’un crédit sélectif et à long terme pour les investissements matériels et de recherche des entreprises, avec des taux d’intérêt pouvant être très abaissés, jusqu’à devenir nuls, voire négatifs (diminution des remboursements pour l’emprunteur), en fonction des emplois de qualité bien rémunérés et des formations programmés.

Il ne s’agit pas seulement de moduler les taux d’intérêt du crédit, mais de le faire pour promouvoir de nouveaux critères du crédit. Une telle sélectivité inciterait les entreprises à de nouvelles pratiques de gestion, en liaison avec les luttes des salariés et des citoyens.

Et, particulièrement, elle les pousserait à diminuer d’autres coûts que les seuls «coûts salariaux», les coûts en capital matériels et financiers, tout en encourageant à développer la qualification et le revenu des salariés.

Pour mettre en œuvre ce nouveau crédit, nous proposons la constitution d’un pôle financier public (PFP) qui, ainsi, serait appelé à déployer une grande mission de service public du crédit pour sécuriser et promouvoir les capacités humaines sur tous les territoires.

2e ensemble : de nouvelles institutions. En effet, il est nécessaire d’inciter toutes les banques, au-delà du PFP, à participer à l’essor du nouveau crédit pour faire reculer l’emprise du marché financier. Et cela à tous les niveaux de la construction politique nouvelle que nous ambitionnons : le local et régional (Fonds publics régionaux), le national (Fonds public national et PFP), l’européen (réorientation de la BCE et suppression du pacte de stabilité) et le mondial (refonte du FMI et de la Banque mondiale, monnaie commune mondiale faisant reculer le rôle du dollar).

Je veux tout particulièrement insister sur la nécessité d’intervenir sans attendre au niveau local et régional. Nous avançons l’idée de Fonds publics régionaux qui prendraient en charge tout ou partie des intérêts des crédits des entreprises (les PME surtout) pour leurs investissements réels avec des taux d’intérêt d’autant plus abaissés qu’elles programmeraient de bons emplois, bien rémunérés, avec de bonnes formations.

Mener une telle bataille présenterait de nombreux avantages au plan politique.

Le premier c’est qu’on peut l’engager tout de suite, sans avoir au préalable à virer Sarkozy ou changer le traité européen.

Deuxième avantage : Il existe des majorités possibles sur cette proposition dans les nombreuses régions dirigées par la gauche.

Plein de PME, d’artisans et leurs salariés vont s’inquiéter du rationnement du crédit par les banques. Chaque salarié, chaque retraité a un compte courant bancaire ou un compte d’épargne et peut comprendre, si on le lui fait découvrir, combien cette ressource stable, peu coûteuse est la base de la sécurité pour les banques, alors que le marché financier est si volatil.

Donc, tout ce qui concourre à l’augmentation de l’emploi, des salaires, des qualifications sur le territoire concourre à sécuriser les banques, au lieu des sacrifices sociaux et salariaux pour soutenir le marché financier. Cela peut compter pour rassembler dans l’action pour que, tout de suite, les banques développent un nouveau crédit.

Et nous pouvons interpeller toute la gauche dans les régions qu’elle dirige : est-ce qu’elle va attendre que Sarkozy s’en aille pour engager la bataille sur les banques et le crédit ? Va-t-elle rester sans rien faire face à la tentative de Sarkozy de faire croire que seuls de nouveaux sacrifices sociaux et salariaux seraient capables de «sécuriser» les dépôts des épargnants dans les banques ?

Le troisième avantage politique n’est pas le moindre. L’action et les débats que nous pourrions engager sur cette proposition pourraient remplir un véritable rôle d’éducation populaire au sens le plus noble du terme.

Les gens ont envie de comprendre et d’apprendre. Ils sont torturés entre, d’un côté, la nécessité dans laquelle ils se trouvent, par défaut, de déléguer au sommet les décisions pour conjurer la catastrophe, et, de l’autre, leur profond scepticisme dans la capacité des décideurs, des politiques à le faire en répondant à leurs attentes.

En réalité, ils ont besoin d’accéder à des pouvoirs décisionnels. Mais les pouvoirs sans culture, ça ne sert à rien. Les gens savent que ce n’est pas avec des lance-pierre que l’on pourra renverser la domination de la finance. Ils ont donc besoin d’apprendre dans des luttes politiques concrètes.

Trois propositions d’initiatives politiques

Elles concernent les niveaux local, national et européen.

Premièrement, on pourrait commencer à organiser dans chaque région une grande campagne sur les Fonds publics régionaux face aux risques énormes qui se profilent pour l’emploi, les faillites d’entreprises, le financement des collectivités territoriales dans chaque territoire.

Il s’agirait, à cette occasion, de pleinement déployer la force de tous nos élus (locaux, régionaux, nationaux et européens), de nous adresser systématiquement aux syndicats, notamment la CGT qui elle aussi est sur l’idée de «Fonds régionaux», au mouvement associatif dans sa diversité.

On pourrait s’adresser très largement aux PME, aux artisans et aux commerçants qui vont être confrontés à un bras de fer sans précédent et inégal avec leurs banquiers. Une grande alliance nouvelle, contre la finance prédatrice et pour que le crédit et les banques soient responsabilisés socialement et territorialement, pourrait être recherchée dès le terrain.

Et nous pourrions appeler à une mobilisation de la gauche en plaçant toutes ses composantes et ses représentants devant leurs responsabilités, en les appelant à ne pas se laisser emporter par la recherche d’union sacrée et en nous appuyant sur la gauche socialiste contre les sociaux libéraux.

On pourrait mener cette campagne politique décentralisée en articulation étroite avec les luttes et les angoisses sur le terrain dans chaque entreprise, chaque localité.

Et on peut s’appuyer sur ce qui a déjà été engagé dans le sens de l’intervention sur l’utilisation de l’argent public dans les régions.

Bien sûr, on sait que ces premières tentatives, conduites pour l’essentiel par des élus, ont abouti à des dispositifs insatisfaisants. Dans certains cas, ils dorment : c’est les commissions de contrôle des fonds publics. Dans d’autres cas (Fonds régionaux), l’idée a été instrumentalisée par le PS et des technocrates au service, en réalité, du soutien à la rentabilité financière et aux opérations du marché financier.

Il ne faut pas baisser les bras. De nouvelles conditions existent pour repartir à la bataille, de façon systématique, et en nous formant nous-mêmes.

La période est propice à ce que nous comprenions mieux ce qu’il faut faire et que nous soyons mieux compris aussi, côté syndical notamment.

Les Fonds régionaux c’est une base pour riposter sans attendre à la tentative d’union sacrée pour la Finance par la construction, dès le terrain, d’une Union populaire agissante cherchant à maîtriser le crédit et les banques.

Deuxièmement, il s’agirait d’organiser une grande rencontre nationale pour la création d’un Pôle financier public. Cela s’adresserait aux partis politiques de gauche, aux syndicats de salariés, au mouvement associatif, aux élus territoriaux, nationaux et européens, mais aussi aux responsables de grands comités d’entreprise.

Mesurons combien une telle initiative pourrait rencontrer l’intérêt des élus territoriaux alors que vont grandir les difficultés du financement pour nombre de communes et de départements. Mesurons aussi l’importance d’une telle initiative pour conforter et aider à politiser le mouvement en cours contre la privatisation de la Poste.

Et il s’agirait de ne pas circonscrire l’ambition de la délibération citoyenne sur ce PFP aux seules banques en difficulté comme Dexia, mais de l’élargir à des banques stratégiques comme la BNP-Paribas, le Crédit agricole, la Société générale.

Troisième proposition, une grande campagne européenne.

Il s’agirait de contribuer à ce que s’exprime, jusque dans des exigences alternatives, le ras-le-bol contre la BCE, son «indépendance», et les dogmatismes de Trichet et de «l’euro fort», le rejet du pacte de stabilité européen avec, en vue, l’appel à la promotion coopérative de grands pôles et services publics novateurs en Europe. Une telle campagne pourrait être articulée aux initiatives nationales et locales.

Elle permettrait de contribuer à ce que se lève, en Europe, une union pour la promotion d’un nouveau «modèle social européen» au lieu du modèle anglo-saxon, un nouveau type de développement, contre le dollar et le marché financier, pour une transformation profonde des institutions internationales.

Une union populaire qui chercherait à se conjuguer avec les voix et les luttes des peuples des pays émergents et en développement pour construire un nouvel ordre mondial solidaire, coopératif, pacifique et non aligné.

 

(1) Shareholder Limited Authorized Margin ou marge actionnariale limite autorisée, une proposition visant à imposer un plafond sur la rénumération des actions.

Institutions : La dérive bonapartiste

Par Le Pors Anicet , le 01 August 2008

Institutions : La dérive bonapartiste

Je voudrais d’entrée lever un malentendu possible. Il est parfois considéré que la question constitutionnelle  n’est pas une question prioritaire  et qu’elle doit s’effacer devant la question sociale. Deux attitudes sont alors possibles pour ceux qui défendent  ce point de vue : ou bien on n’en parle pas et on renvoie à plus tard la réflexion sur le sujet, ou bien on l’esquive en parlant d’autre chose, ainsi pour ne pas prendre position sur les institutions on parlera du droit des travailleurs  dans l’entreprise,  ce qui évitera toute discussion sur une position de classe aussi incontestable.

Dans la campagne des élections présidentielles de 2007, l’actuel  Président de la République n’a pas hésité à opposer son « pacte républicain » au « pacte présidentiel  » de sa rivale. On sait mieux aujourd’hui ce qu’il fallait en penser. Car c’est aussi à son sujet que l’on parle de monarchie  élective, de césarisme, et pour ce qui me concerne, de « dérive bonapartiste » (1). De différentes façons, la question institutionnelle est revenue à l’ordre du jour. Sur ce terrain  éminemment politique,  il faut être évidem-ent présent, mais sans se payer de mots comme par l’évocation trop facile d’une VIème République, afin de masquer en réalité une absence de réflexion au fond.

Je commencerai par m’interroger sur la pratique actuelle du pouvoir : peut-on, comme je l’ai fait, parler de « dérive bonapartiste » ? Je dirai ensuite pourquoi je ne reprends pas à mon compte l’idée d’une VIème République, avant de m’interroger sur le fond d’une réforme institutionnelle démocratique susceptible de nous sortir du carcan actuel.

1. Sommes-nous menacés d’une «dérive  bonapartiste»  ?

L’histoire  ne se répète pas, il faut se garder de tout excès dans la recherche d’analogie. Néanmoins, nous ne devons pas écarter ses leçons. La France a connu deux « bonapartismes » si le concept  a été formé surtout par le second.

Qu’est-ce que  le bonapartisme ?

Une démarche autocratique
Je veux simplement rappeler l’ascension de Napoléon 1er  : son intervention militaire au Conseil des Cinq Cents et le coup d’État du 18 Brumaire an VIII ; son institution comme Premier Consul. Il instaure  le concordat avec l’église catholique de Pie VII en 1801. L’autocratisme se développe sous le Consulat, avant que Bonaparte devienne Consul à vie puis Empereur. Louis-Napoléon Bonaparte est tout d’abord élu Président de la République en 1848. Il renvoie ses ministres, fin octobre 1949, et les remplace par des personnalités prises à l’extérieur  de l’Assemblée. Puis c’est le coup d’État du 2 décembre 1851 et l’instauration de la constitution césarienne élaborée dans la précipitation et signée par le seul Président le 21 décembre 1852. Le second Empire est également marqué par un réveil catholique (Bernadette Soubirous et ses apparitions en 1858).

Une sollicitation démagogique
 
L’auréole des victoires révolutionnaires et la campagne d’Égypte favorisent la montée en puissance de Bonaparte. Il est important de relever qu’il  rétablit le suffrage universel pour aussitôt le stériliser en ne l’appliquant  qu’à l’élection  de notabilités.  Puis c’est le recours répété au plébiscite-référendaire (Olivier Duhamel : « Le référendum peut être liberticide, les Bonaparte en ont apporté la preuve »). Louis-Napoléon Bonaparte, lui, est passé par le suffrage universel (élu successivement député puis Président e la République). La constitution de la IIème  République (art. 52) lui permet de présenter chaque année, par un message à l’Assemblée nationale, « l’exposé de l’état général des affaires de la République ». Il s’en servira. Il procède par plébiscite : celui du 21 novembre 1852 sur le sénatus-consulte qui le fait Empereur et sénatus-consulte du 20 avril 1870 qui parlementarise l’Empire à quelques mois de son effondrement.

Une logique aventurière
Les deux Bonaparte ont fait la démonstration que la concentration du pouvoir  exécutif ne garantit pas la stabilité : le premier finit à Waterloo puis Ste Hélène, le second à Sedan avant la Commune de Paris.

La  qualification « bonapartiste » est-elle pertinente dans le contexte actuel ?

Sur l’autocratisme
Le thème de la « rupture  » semble répondre à une loi de nécessité après des années d’immobilisme de Jacques Chirac. Chacun a pu relever, les exemples maintenant  innombrables  de la désinvolture  avec laquelle Sarkozy use des institutions : Cecilia en Libye et son refus de comparaître  devant la commission d’enquête condamnée par tous les constitutionnalistes (sauf Pierre Mazeaud) ; le rôle du Secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant ; son action permanente en contradiction avec l’article 20 de la constitution  : «Le gouvernement détermine  et conduit  la politique de la nation» ; les ministres  commis, le Premier ministre simple «collaborateur» ; l’occupation de tous les postes : Assemblée nationale et Sénat, Conseil constitutionnel, CSA, etc. ; le compte-rendu du sommet de Lisbonne fait par lui devant l’UMP ; l’autodéfinition de la «rupture», etc.

Plus récemment on peut relever : ses initiatives sur la suppression de la publicité  dans le service public de la radiotélévision ; son initiative en direction des élèves de CM2 sur la mémoire de la Shoah, puis sur l’esclavage ; la demande adressée à la Cour de Cassation de contourner la décision du Conseil constitutionnel sur la rétroactivité des peines de la loi de Rachida Dati, fait sans précédent, la proposition d’un service minimum dans les entreprises et services publics en méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales (art. 72 de la constitution), etc. Plus fondamentalement, le Comité Balladur de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République a été institué pour préparer un véritable changement de régime constitutionnel dont le Président de la République entend être le seul maître. Les propositions du comité ont été largement prédéterminées par le discours d’Épinal du 12 juillet  2007 vers un régime présidentiel. Edouard Balladur a situé le moment actuel dans un processus en quatre étapes :

1/ 1962, avec l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel (la «forfaiture» selon Gaston Monnerville) ;

2/ L’instauration du quinquennat  avec inversion des élections présidentielles et législatives en septembre 2000 par Lionel Jospin et Jacques Chirac ;

3/ Le renforcement des droits du Parlement (thème-clé, « l’essentiel de nos réflexions », selon Edouard Balladur dans Le Monde du 25 septembre 2007) ;

4/ La suppression de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement.

Après le «parlementarisme rationalisé» (quelque peu dénaturé dès 1962), la «monarchie aléatoire», selon l’expression de Jean-Marie Denquin (2), initiée en 1986 (1ère cohabitation), la «dérive bonapartiste» (ou « tentation autoritaire ») ne constituerait-elle pas la 3ème phase de la Vème République (3) ?

Lors de la discussion récente au Parlement du projet de loi constitutionnelle, la difficulté de réunir la majorité des trois cinquième des voix du congrès, a conduit à renoncer à certaines dispositions,  comme celle qui prévoyait une différenciation entre la détermination et la conduite de la politique de la nation (art. 20 de la constitution). Restait un projet regroupant une vingtaine de propositions essentiellement techniques dont quelques-unes pouvaient  être regardées comme de bons ajustements (fixation à un mois le délai entre le dépôt d’un projet  de loi et son examen en séance, discussion  sur le texte amendé par la commission compétente,  assistance de la Cour des comptes, partage de l’ordre du jour entre le Gouvernement et le Parlement, etc) mais qui ne changeaient rien ou presque à l’équilibre des pouvoirs  et qui surtout étaient dominées par une proposition fortement symbolique : la possibilité donnée au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement. Cette initiative pouvait apparaître anodine, en réalité elle a une histoire. Le «discours du trône», dans les conditions de l’époque, avait été prévu dans la constitution de 1791 ; il a été pratiqué par Charles X le 2 mars 1830 sur le mode menaçant après la nomination d’un ministère impopulaire (le cabinet Polignac) ; la comparaison n’est pas déplacée. Dans ces conditions,  l’octroi de droits nouveaux aux citoyens (exception  d’illégalité  devant le Conseil constitutionnel) n’est que trompe l’œil.

L’essentiel me semble être de replacer le débat actuel dans le processus de long terme formulé par Édouard Balladur : la symbolique  du présidentialisme  est renforcée en attendant une déconnection de la responsabilité de l’exécutif devant le législatif.

Sur le populisme
C’est le recours permanent au compassionnel. On pourrait multiplier les exemples ciblés : les infirmières bulgares, Ingrid Betancourt, le pédophile, les récidivistes, les aliénés, les chiens dangereux, les faits divers. Cela s’accompagne de l’annonce de textes conséquents dans l’impréparation et le mépris du Parlement. Cette hyperactivité empêche la réplique, le débat contradictoire, l’expression de l’opposition, la préparation sérieuse de réformes véritablement nécessaires.

La communication sur des thèmes appropriés  est instaurée comme méthode de gouvernement. On connaît ses thèmes de prédilection : « travailler plus pour gagner plus », la sécurité, les immigrés. Le recours aux sondages d’opinion  s’il n’est pas nouveau est devenu un véritable instrument de régulation de l’activité  politique.  L’accaparement sans précédent des médias est une autre caractéristique essentielle, prolongée par une réforme définie par lui  seul (suppression  des recettes publicitaires de Radio France). On n’insistera pas sur la vulgarité de certains propos, indignes de la fonction présidentielle.

Sur l’aventurisme
Son atout est sa faiblesse : il a du talent. Sa singularité par rapport à ses prédécesseurs ? de Gaulle avait une stature, Pompidou une solidité, Giscard d’Estaing de l’intelligence, Mitterrand une culture politique, Chirac un enracinement, Sarkozy a du talent, mais il n’a que du talent, qualité précaire s’il en est. Le talent médiatique est particulièrement évanescent et les retournements de l’opinion et de ceux qui la font peuvent être brutaux.

On relève également une absence de culture  historique. Je pense l’avoir montré s’agissant de la fonction publique. Il en ignore à l’évidence les trois principes d’égalité, d’indépendance, de responsabilité; tout comme l’existence d’une école française du «service public». La concurrence, le marché, le contrat contre

la loi, l’argent sont ses choix. J’ai dénoncé sa «forfaiture» comme exemple d’autodéfinition de la réforme par blanc-seing de l’élection présidentielle  (4).

C’est également vrai en ce qui concerne un autre exemple : le droit d’asile : la création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration,  de l’Identité nationale et du Codéveloppement comme le recours aux tests ADN de la loi Hortefeux contestent le droit du sol de l’Ancien Régime et de la Révolution française (5).

Nicolas Sarkozy n’a pas la culture du pacte républicain (mise en cause du service public, du modèle français d’intégration et d’asile, de la laïcité, etc.), ce qui nous fait courir  le risque de l’aventure,  débouchant  soit sur la désagrégation de l’État soit sur la dérive autoritaire du régime.

2. La nécessité de nouveaux choix institutionnels

La proposition d’une VIème  République n’est pas la bonne réponse

Dans la crise des institutions qui répercute la crise plus générale de la société, la revendication déclamée d’une VIème République est l’exemple même de la facilité qui le plus souvent dispense d’une réponse sérieuse au fond. Invoquée de droite  comme de gauche, on ose cependant penser qu’il ne s’agit pas de la même VIème République, mais on ne peut sérieusement le vérifier, car les projets présentés sont le plus souvent formulés de manière lacunaire, multipliant les slogans, abondant en propositions alternatives, sans aucune preuve de cohérence. L’exemple le plus frappant de cette vanité confuse est le projet de VIème République dont Alain Montebourg avait fait un fonds de commerce et qui, à l’examen, de contours  en concession, se révèle au bout du compte n’être rien d’autre qu’une Vème  République-bis aux dispositions parfois même aggravées par rapport à la constitution en vigueur (transferts de souveraineté accrus, création de nouvelles autorités administratives indépendantes, reprise de la réforme Raffarin en matière d’organisation décentralisée de la République et du caractère expérimental  de certaines lois et de réglements, assujettissement accru au droit européen, choix d’une fonction publique des  « dépouilles », etc) (6).

La VIème République est une revendication illusoire car aucune des cinq républiques qui ont marqué notre histoire récente n’est née d’une gestation spéculative. La Convention déclare le 21 septembre 1792 : « La royauté est abolie en France » et un décret du 25 septembre proclame : « La République est une et indivisible » ; ainsi est née la première République parachevant la Révolution française. La deuxième est issue des émeutes de février 1848 aboutissant à l’abdication de Louis-Philippe et à la constitution républicaine du 4 novembre 1848 ; elle sera, on le sait et l’on doit s’en souvenir, balayée par le coup d’État du 2 décembre

1852 et le référendum-plébiscite de Louis-Napoléon Bonaparte des 21 et 22 décembre. La troisième émerge à une voix de majorité de la confrontation des monarchistes et des républicains moins de quatre ans après l’écrasement de la Commune de Paris. La quatrième est issue de la seconde guerre mondiale, de l’écrasement du nazisme et de la résistance, après un premier référendum négatif le 5 mai 1946, elle est promulguée le 27 octobre  1946. La cinquième voit  le jour par le référendum du 28 septembre 1958, portée par le putsch d’Alger dans un contexte de guerre coloniale. S’il y a bien crise sociale aujourd’hui, qui oserait soutenir qu’elle s’exprime du niveau des évènements qui viennent d’être évoqués ? Jamais en France on a changé de république sans événement dramatique.  Dans une société en décomposition sociale profonde, il manque encore l’Évènement.

Cela ne veut pas dire qu’il ne surviendra pas, mais on doit au moins inviter  à la prudence et au refus de la démagogie qui masque la vacuité des projets de VIème République. La question des institutions est une question sérieuse qui doit  être traitée  avec rigueur. Loi suprême, loi des lois, la constitution n’est pas pour autant un texte sacré. Cela est si vrai que la France a connu quinze textes constitutionnels depuis la Révolution française, soit une moyenne d’âge de quatorze ans par constitution. On est donc en droit  de se demander si dans une société qui change rapidement, dans une Union européenne qui impose de plus en plus ses normes juridiques  en droit  interne,  dans un contexte de mondialisation à la fois financière et culturelle, la constitution de la Vème  République, qui aura bientôt  cinquante ans, est bien adaptée aux besoins actuels de la nation française.

Les institutions de la Vème Républiques ont fait leur temps La constitution de la Vème République peut être regardée comme le produit hybride de deux lignes de forces qui ont marqué l’histoire institutionnelle de la France. L’une, césarienne, peut prendre comme référence la constitution du 14 janvier  1852 de Louis-Napoléon Bonaparte. L’autre, démocratique, retiendra la constitution  montagnarde du 24 juin 1793, qui n’a malheureusement pas pu s’appliquer en raison de la guerre. L’actuelle constitution a été présentée à l’origine comme un essai de parlementarisme rationalisé ; on a dénoncé ensuite son caractère présidentiel en raison de la personnalité  de son initiateur, le général de Gaulle, et de l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962. L’inadéquation de cette constitution à la réalité sociale est effectivement attestée par la constatation  qu’elle aura fait l’objet de quatorze modifications, engagées ou abouties, depuis 1992. Dans le débat récurrent sur le sujet, jusqu’à l’émergence récente du discours éclectique sur une VIème République, la discussion principale a lieu entre ceux qui se contenteraient  d’une modification mineure de la constitution existante et ceux qui souhaiteraient une évolution vers un présidentialisme moins ambigu sur le modèle américain (le Président est détenteur de l’exécutif ; il n’est pas responsable devant le Parlement ; il ne peut le dissoudre). Mais le véritable débat n’est pas entre deux formes de présidentialisme  ne différant  que par le degré de prééminence de l’exécutif, mais entre les deux modèles fondamentaux prolongeant à notre époque les lignes de forces précédemment  évoquées : régime présidentiel ou régime parlementaire.

Il est donc temps de remettre sur le chantier  une réflexion délaissée par intérêt ou négligence et reprise avec désinvolture (7). L’originalité d’un travail sur les institutions tient au fait qu’il n’est pas possible de le mener sérieusement sans replacer chaque proposition dans l’analyse d’ensemble du système institutionnel qui, en retour, confère à toute proposition constitutionnelle ainsi traitée, la force de la cohérence de l’ensemble. Car une constitution n’est rien d’autre qu’un modèle exprimant la conception de l’organisation des pouvoirs  existant dans une société déterminée. Son schématisme en fait la force et en relativise l’importance : l’Etat de droit ne résume pas toute la société ; les institutions ne résument pas tout l’Etat de droit.

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(1) A. Le Pors, « Dérive bonapartiste », L’Humanité, 27 août 2007.

(2) J-M. Denquin, La monarchie aléatoire, PUF, 2001.

(3) B. Le Gendre écrit dans Le Monde du 17 octobre 2007 : «Depuis Napoléon III, le régime présidentiel est synonyme de césarisme», et il ajoute : «Nicolas Sarkozy est surtout fort, tout bien pesé, de la faiblesse du Parlement».

(4) A. Le Pors, «La révolution de la fonction publique est une forfaiture», Le Monde, 26 septembre 2007.

(5) A. Le Pors, «L’asile, au nom du peuple français», L’Humanité, 19 septembre 2007.

(6) A. Montebourg et B. François, La constitution de la VIèmeRépublique, Éditions Odile Jacob, 2005.

(7) On rappellera toutefois que le Parti communiste français avait fait cet effort en rendant public en décembre 1989, sur mon rapport, une Déclaration des libertés placée en tête d’un Projet constitutionnel complet.

 

 

 

 

 



 

Le sarkozisme en voie de constitutionnalisation

Par Le Pors Anicet , le 01 August 2008

Le sarkozisme en voie de constitutionnalisation

Nicolas Sarkozy n’a pas de l’État de droit une conviction chevillée au corps. En témoigne le peu de cas qu’il a fait depuis son élection  du texte en vigueur  (art. 20 de la constitution  :
« Le Gouvernement  détermine  et conduit la politique  de la Nation ») et la désinvolture 
avec laquelle il a traité le Parlement  (39 projets de lois débattus dans des conditions détestables). Il se veut pragmatique  avant tout. Aussi ne faut-il pas s’attacher excessivement à l’exégèse du texte adopté par le Congrès, pour dégager plutôt la signification politique de la réforme.

Une opération de légitimation opportuniste

Cette réforme portant  sur la constitution elle-même doit  être replacée dans le champ plus large des réformes tendant  à restructurer la France pour  la mettre en compatibilité avec les lois du marché. C’est une réforme parmi  d’autres dont la spécificité  est d’accroître la légitimité du Président. Tous les moyens de l’État et du parti majoritaire, même les plus discutables et les plus indignes, ont été mobilisés pour assurer un succès dont l’étroitesse même souligne le risque soi-disant encouru et la figure de gagneur de son initiateur.

C’est aussi un «coup politique» car a été mis en avant l’objectif paradoxal de renforcement des droits  du Parlement alors que celui-ci est tenu pour  secondaire dans la logique des institutions de la Vème République en dépit de ses concepteurs qui y voyaient un «parlementarisme rationalisé», vite contredit par l’institution de l’élection du Président de la République au suffrage universel  en 1962, ultérieurement par la réforme du quinquennat en 2000 confortant la prééminence de l’élection  présidentielle.  Et c’est aujourd’hui l’omniprésent Président de la République, celui qui a le plus personnalisé le pouvoir exécutif, qui se pose  en promoteur de la représentation nationale ! La portée politique de la réforme tient  également aux dégâts qu’elle cause à gauche. Le Parti socialiste sort ébranlé de cette séquence après avoir fait la démonstration de son inconséquence pour avoir refusé des mesures qu’il préconisait sans remettre en cause les fondamentaux de la Vème  République. Les autres partis de gauche n’ont guère pu faire entendre leur voix, l’opération favorisant la bipolarisation et les mettant  par là hors-jeu. Notons encore qu’il  a été peu question de VIème République, la démonstration étant ainsi faite de l’inconsistance du slogan.

Le trompe l’oeil du renforcement  des droits du Parlement

D’éminents constitutionnalistes, notamment  ceux qui comme Jack Lang ou Guy Carcassonne participaient à la commission Balladur, se sont évertués à nous démontrer que le projet de loi constitutionnelle renforçait les droits du Parlement. Isolées du contexte et en choisissant  d’ignorer  leur usage prévisible, certaines dispositions du projet peuvent en effet être ainsi présentées. Mais c’est porter sur la réforme un regard de myope que de la considérer  sur le seul terrain du droit positif.

Certaines des mesures adoptées vont même dans le sens d’une restriction ou d’un usage plus malaisé des droits  du Parlement : ainsi le droit  d’amendement sera dorénavant strictement circonscrit. Mais, surtout, il est possible de contester point par point l’effectivité des prétendues avancées. Les limitations apportées à l’exercice de l’article 49-3 n’emportent pas de changement notable par rapport à l’usage qui en a été fait jusqu’à présent par les gouvernements ; la maîtrise de l’ordre du jour ne laissera en réalité qu’un jour  par mois à la disposition  de l’opposition, la nouvelle partition introduite entre le Gouvernement et sa majorité  parlementaire  ne changeant rien au fond puisqu’ils sont ensemble sous la tutelle du président ; le contrôle  renforcé de l’exécutif   est sans portée avec une majorité aux ordres, de même que les pseudo limitations apportées au pouvoir  de nomination  du président,  etc. S’agissant de nouveaux droits  qui seraient accordés aux citoyens, le référendum d’initiative populaire n’a rien à voir avec une réelle initiative populaire des lois. Pour le pouvoir, l’essentiel est dans l’apparence.

Une caractéristique peu soulignée de la révision est le renvoi de l’explicitation des dispositions constitutionnelles  à une dizaine de lois organiques ou aux règlements des assemblées sous un encadrement constitutionnel très faible. Cela veut dire qu’il  sera possible de revenir de manière restrictive, à la majorité simple des assemblées, sur nombre des dispositions adoptées.

L’important est dans la mise en perspective présidentialiste

Et d’abord  dans la pratique  des institutions ainsi réformées. On ne voit  pas pourquoi  l’actuel  Président de la République prendrait plus de soin a l’égard des institutions modifiées qu’il  n’en a témoigné jusqu’à présent vis-à-vis de celles en vigueur, qu’il s’agisse de sa conception du rôle de Premier ministre réduit à celui d’un simple collaborateur,  des attributions dévolues au secrétaire général de l’Élysée et à ses collaborateurs, de la tentative de contournement du Conseil constitutionnel à l’occasion de la rétroactivité  de la loi sur la justice, de la précipitation dans l’élaboration de multiples  textes législatifs ou réglementaire empêchant le débat contradictoire et la concertation, de sa présence quotidienne dans les médias, de l’utilisation du compassionnel et de sa vie privée dans les affaires publiques. On ne voit pas davantage pourquoi sa majorité parlementaire qui a accepté tout cela changerait de comportement dans un contexte modifié de manière aussi ambiguë, ce que certains commentateurs traduisent par une question faussement ingénue : le Parlement voudra-t-il se servir de ses nouveaux droits ?

Mais la remarque principale tient sans doute dans la réponse à la question suivante : la réforme qui a été approuvée de justesse par le Parlement ne serait-telle qu’une étape vers un modèle plus significatif d’un pouvoir plus franchement présidentiel ? On a noté que le Président de la République avait dû, pour faire passer la réforme dans une situation incertaine,

en rabattre sur certaines de ses propositions tenant en particulier au rôle du Premier ministre. Édouard Balladur, dont la commission qu’il présidait a inspiré l’actuelle  réforme, n’a pas caché qu’il  ne s’agissait pour lui que d’une étape vers un vrai régime présidentiel. Pour y parvenir il faudrait à la fois supprimer la responsabilité du pouvoir exécutif devant le Parlement et le droit de dissolution  de l’Assemblée nationale du Président de la République. Nous y sommes presque. Sur le premier  point,  l’affaiblissement  du Premier ministre  met dès maintenant face à face le Président de la République et le Parlement devant lequel il n’est pas lui-même responsable ; la condition est donc pratiquement réalisée. Sur le second, rien ne presse le Président de se priver du droit de dissolution.

La voie est ainsi ouverte à un pragmatisme qui s’affranchirait aisément d’un encadrement institutionnel aussi ambivalent. Robert Badinter a parlé de «monocratie», j’ai pour ma part évoqué la « dérive bonapartiste » qui caractérisait  l’action  de Nicolas Sarkozy dans les mois suivant son élection. L’expérience permettra pour l’avenir de choisir la qualification  la plus pertinente. L’important est aujourd’hui  de prendre acte d’une évolution de la pratique du pouvoir qui tourne le dos à l’exercice par les citoyens et leurs représentants de la souveraineté nationale et populaire. Les défenseurs de la réforme qui vient d’être adoptée minorent l’importance  de la disposition sur laquelle le Président de la République n’est pas revenu et à laquelle il attache, lui, la plus grande importance : la possibilité  qui lui est désormais ouverte de s’exprimer quand il le voudra devant le Parlement réuni en Congrès ; réforme hautement symbolique et par là fortement politique. L’un d’eux, Guy Carcassonne, a dû cependant reconnaître  et avertir  : avant Nicolas Sarkozy, trois chefs de l’exécutif  se sont exprimés devant des assemblées parlementaires, Louis XVI devant les États généraux, Thiers et Mac-Mahon sous la IIIème  République. Et à chaque fois ça s’est mal terminé …

Institutions : l’enjeu démocratique

Par Nicole Borvo Cohen-Seat, le 31 juillet 2008

Institutions : l’enjeu démocratique

La réforme constitutionnelle votée à une voix près le 21 juillet au Congrès du Parlement n’apporte aucune réponse au divorce qui s’est instauré entre les citoyens et leurs institutions

Ce divorce a des causes profondes  :

Après un quart de siècle de déceptions  et de reniements, les inégalités explosent, l’exclusion d’une partie importante de la population  et la marchandisation des services publics  font apparaître une capacité d’intervention réduite de la puissance publique : autant d’orientations qui mettent directement  en cause les principes d’égalité et de fraternité.

La financiarisation de l’économie à l’échelle mondiale éloigne les centres de décision et paraît vider la politique de son contenu.

La construction européenne actuelle est tout  un symbole, puisqu’elle  se fait sans les peuples, pour la bonne raison qu’elle tourne le dos à leurs aspirations. Quand les citoyens l’expriment – en France, aux Pays-Bas en 2005, en Irlande en 2008, leurs choix sont ignorés. Quant au Parlement national, il n’est absolument pas représentatif  de la population  : moyenne d’âge de 60 ans ; 18% de femmes, 1% d’ouvriers ; des professions libérales et des hauts fonctionnaires  surreprésentés  ; la diversité d’origine absente.

Comment alors s’étonner que la distance entre les citoyens et ceux censés les représenter ne cesse de se creuser ? En avril dernier, moins d’un an après l’élection présidentielle, 71% des personnes interrogées estimaient que les politiques  ne se préoccupaient  pas de leur opinion.

Dans ces conditions,  le rejet de la politique et de ses acteurs dominants – auxquels sont de plus en plus associés, hélas, l’ensemble des politiques  – traduit  avant tout le refus d’un système qui ignore la revendication profonde d’une participation des citoyens à toutes les décisions. Faute de pouvoir s’investir, beaucoup se réfugient dans l’abstention, comme ils l’ont fait aux dernières élections municipales et cantonales, voire dans la colère. Il y a crise de la représentation politique – et des pouvoirs – parce que ceux qui détiennent le pouvoir – les décideurs  économiques et politiques  – ne répondent pas aux attentes populaires.

Cette crise de la représentation politique,  ce divorce entre les aspirations  populaires  et la classe politique sont, à mon avis, lourds de danger pour la démocratie. Nul d’ailleurs ne l’ignore et, la bourgeoisie travaille activement des « pare-feux » avec des relais politiques actifs. On y trouve par exemple la substitution de la démocratie « d’opinion  » à la démocratie politique,  légitimée en quelque sorte par la reconnaissance d’un fonctionnement lobbyiste ou communautariste  de la vie publique, la substitution du contrat à la loi, bref, toutes les formes de vie sociale qui organisent la domination des plus forts.

La réforme Sarkozy ne répond en rien à ces problèmes, bien au contraire.

Elle aggrave les défauts de la Constitution de 1958 que les communistes ont combattue à l’époque et dont l’évolution institutionnelle – élection du Président de la République au suffrage universel, quinquennat et inversion du calendrier électoral – n’a eu d’autre but que de contenir la volonté populaire.

Elle confirme une nouvelle architecture institutionnelle avec un Président tout puissant en contact permanent avec une majorité parlementaire renforcée qui lui serait naturellement  dévouée. Autrement  dit  : un Président de la République seul véritable chef de l’exécutif, doté d’une majorité parlementaire qui lui doit son élection, majorité dont il est aussi le chef, comme il est le chef du parti majoritaire, s’adressant directement au Parlement et disposant donc d’un pouvoir d’injonction à l’égard de la représentation nationale, mais toujours irresponsable devant elle et doté du domaine réservé, du droit  de dissolution,  de l’article  16, etc…

Ajoutons que, avec l’annonce par Nicolas Sarkozy qu’il entendait  nommer le Président de France-Télévision, on voit  ce qu’il  en est de la soi-disant limitation du pouvoir  de nomination  du Président de la République. Le Parlement en sortira affaibli. Les parlementaires voient leur droit d’amendement reculer, de même que le débat public dans l’hémicycle.  Les groupes politiques n’ont aucun pouvoir supplémentaire.

Les citoyens ne se voient accorder ni le droit à un véritable référendum d'initiative populaire, ni celui de participer à l’élaboration des lois. Quant au pouvoir  économique, il n’en est tout simplement pas question.

C’est à la fois la crise de la représentation politique et, les aspirations qui s’expriment à travers des expériences nouvelles, qui rendent à nos yeux indispensable une réforme institutionnelle en profondeur. Vouloir  changer la société, s’en donner  les moyens, c’est redonner au peuple sa souveraineté dans tous les domaines. L’exigence démocratique traverse toutes les autres questions.

Nous avons défendu à l’occasion du débat parlementaire sur la réforme Sarkozy un certain nombre de propositions, travaillées  depuis des années par les communistes :

Un Président aux compétences limitées, garant des institutions et qui pourrait être élu au suffrage indirect.

Un Parlement qui retrouve sa légitimité face à l’exécutif, un Parlement auquel il revient de définir  la politique économique et sociale du pays, de décider de la politique budgétaire, comme du mandat à donner aux représentants du gouvernement dans les négociations  européennes et de tout engagement des forces armées. Nous proposons une juste représentativité de la diversité politique et de la diversité de la population à toutes les élections, avec la proportionnelle, l’obligation de parité, l’abaissement à 18 ans de l’âge de l’éligibilité au Parlement, la limitation du renouvellement et du cumul des mandats, un statut de l’élu et, bien entendu, le droit de vote et d’éligibilité des étrangers sous condition  de résidence.

Nous proposons  un Sénat dont l’élection  soit profondément modifiée et dont l’utilité serait refondée sur sa contribution à l’initiative des citoyens et des collectivités locales et au contrôle de l’exécutif.

En matière européenne nos propositions ont deux objectifs :

Le premier  est de respecter le droit  des nations en renforçant les pouvoirs du Parlement sur les choix européens (mandat donné à l’exécutif) et ceux des citoyens (référendum sur les décisions structurantes).

Le deuxième est de démocratiser  les institutions européennes elles-mêmes (renforcement  du rôle du Parlement européen sur la Commission, statut de la Banque centrale européenne…) et de développer les droits d’intervention  des acteurs sociaux et des citoyens (notamment droit européen de pétition, droit des salariés et de leurs représentants dans les entreprises à statut européen).

Nous voulons – parce ce que là est l’enjeu – permettre au plus grand nombre possible de personnes de participer à la prise des décisions.

Les citoyens, les salariés doivent devenir enfin maîtres de leur destin. Cela suppose de sortir du cadre de la République actuelle et de procéder à une rupture dans le système lui-même en introduisant en tout lieu et à tout niveau la démocratie participative.

Nous proposons que celle-ci soit inscrite dans la Constitution, à charge pour chaque territoire de l’organiser. Le peuple doit disposer d’un droit d’initiative législative et référendaire par voie de pétition. Les collectivités territoriales  doivent  être le lieu de l’initiative citoyenne. Depuis trente ans au moins, la citoyenneté  à l’entreprise n’a connu aucune avancée, confirmant  la coupure historique instaurée entre l’entreprise  et la société. On a au contraire  assisté à une criminalisation de l’action syndicale et au mépris grandissant des décideurs politiques à l’égard des mouvements sociaux et des organisations syndicales.

Nous proposons que la citoyenneté à l’entreprise soit elle aussi inscrite dans la Constitution. Il faut développer les droits individuels  et collectifs des salariés, leur droit à l’information, à la transparence et à la participation aux décisions. Les institutions représentatives du personnel doivent avoir un droit d’intervention sur les choix de l’entreprise et pouvoir contribuer au respect du principe de sa responsabilité sociale. Les comités d’entreprise doivent disposer d’un pouvoir suspensif en matière de licenciement collectif.

Evidemment, de telles propositions ne sont pas étrangères à la question du statut de l’entreprise, sa propriété, la définition de ses finalités, la démocratisation de la vie économique dans son ensemble.

C’est dans toutes ses composantes que la société doit s’approprier les pouvoirs. Nous ne sous-estimons pas la puissance des ver r ous institutionnels et des pratiques qui contraignent la souveraineté populaire aujourd’hui qui viennent d’être accrues avec le vote de la réforme Sarkozy et donc l’ampleur du chantier des transformations nécessaires. C’est pourquoi les propositions que nous formulons ont pour objectif de fonder une nouvelle République.

La direction du PCF a décidé, en mars 2008, de lancer une campagne pour une telle réforme profonde des institutions, avec l’objectif non seulement de débattre avec les citoyens, mais de leur donner l’occasion d’intervenir sur ce sujet qui concerne leur vie quotidienne et leur avenir. Des initiatives  ont eu lieu à l’initiative de plusieurs Comités régionaux du PCF : elles vont se poursuivre dans les prochains mois et déboucheront sur des Assises pour une

Nous voulons – parce ce que là est l’enjeu – permettre au plus grand nombre possible de personnes de participer à la prise des décisions.

Les citoyens, les salariés doivent devenir enfin maîtres de leur destin. Cela suppose de sortir du cadre de la République actuelle et de procéder à une rupture dans le système lui-même en introduisant en tout lieu et à tout niveau la démocratie participative.

Nous proposons que celle-ci soit inscrite dans la Constitution, à charge pour chaque territoire de l’organiser. Le peuple doit disposer d’un droit d’initiative législative et référendaire par voie de pétition. Les collectivités territoriales  doivent  être le lieu de l’initiative citoyenne. Depuis trente ans au moins, la citoyenneté  à l’entreprise n’a connu aucune avancée, confirmant  la coupure historique instaurée entre l’entreprise  et la société. On a au contraire  assisté à une criminalisation de l’action syndicale et au mépris grandissant des décideurs politiques à l’égard des mouvements sociaux et des organisations syndicales.

Nous proposons que la citoyenneté à l’entreprise soit elle aussi inscrite dans la Constitution. Il faut développer les droits individuels  et collectifs des salariés, leur droit à l’information, à la transparence et à la participation aux décisions. Les institutions représentatives du personnel doivent avoir un droit d’intervention sur les choix de l’entreprise et pouvoir contribuer au respect du principe de sa responsabilité sociale. Les comités d’entreprise doivent disposer d’un pouvoir suspensif en matière de licenciement collectif.

Evidemment, de telles propositions ne sont pas étrangères à la question du statut de l’entreprise, sa propriété, la définition de ses finalités, la démocratisation de la vie économique dans son ensemble.

C’est dans toutes ses composantes que la société doit s’approprier les pouvoirs. Nous ne sous-estimons pas la puissance des ver r ous institutionnels et des pratiques qui contraignent la souveraineté populaire aujourd’hui qui viennent d’être accrues avec le vote de la réforme Sarkozy et donc l’ampleur du chantier des transformations nécessaires. C’est pourquoi les propositions que nous formulons ont pour objectif de fonder une nouvelle République.

La direction du PCF a décidé, en mars 2008, de lancer une campagne pour une telle réforme profonde des institutions, avec l’objectif non seulement de débattre avec les citoyens, mais de leur donner l’occasion d’intervenir sur ce sujet qui concerne leur vie quotidienne et leur avenir. Des initiatives  ont eu lieu à l’initiative de plusieurs Comités régionaux du PCF : elles vont se poursuivre dans les prochains mois et déboucheront sur des Assises pour une République sociale et participative.

Nicole Borvo-Cohen-Seat

Présidente du groupe communiste républicain citoyen au Sénat Membre du Comité exécutif national du PCF.

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Note : les analyses et propositions formulées ici et que les parlementaires communistes ont défendues dans le débat constitutionnel sont, pour l’essentiel, contenues dans deux documents de référence élaborés par des groupes de travail du PCF : « Pour une démocratisation permanente de  la République » (2001)  et   « Pour une  République démocratique et solidaire  » (2005).

 

 

 

Vers des assises pour une République sociale et participative

le 05 June 2008

Vers des assises pour une République sociale et participative

IMAGINONS...

IMAGINONS UNE SOCIÉTÉ

qui répondrait au désir de chacun de maîtriser et de partager les pouvoirs, les richesses, les savoirs, les informations et les cultures ; une société où l'économie serait au service de la vie, et non l'inverse ; une société où la laïcité serait conçue comme un levier pour construire du commun et non pour diviser.

IMAGINONS UN PARLEMENT

qui vous représente vraiment, qui soit à l'image de la société et des courants de pensées qui la traversent ; un Parlement où votre voix compte et est entendue, où elle n'est pas enfermée dans le moule du bipartisme. Imaginons un Parlement qui ne soit pas là pour enregistrer les choix du gouvernement mais qui ait de réels pouvoirs pour proposer, décider.

IMAGINONS UNE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE

qui se décline, du local au mondial, dans nos villes comme au niveau européen et qui permette aux citoyen-nes de co-élaborer avec les élus, à tous les niveaux, les projets qui les concernent, de participer à l'élaboration des lois.

IMAGINONS DES ENTREPRISES

où les salariés ne seraient pas considérés comme une simple force de travail à exploiter. Des entreprises où les dirigeants devraient rendre des comptes sur leur stratégie ; où les salariés pourraient participer aux choix de gestion et non les subir, où ils pourraient donner sens à leur travail.

IMAGINONS UNE RÉPUBLIQUE

accueillante, qui donne des droits aux sans-papiers au lieu de les pourchasser ; qui associe toutes celles et tous ceux qui participent à la vie économique et sociale, leur donne les moyens de s'y épanouir et d'en être des citoyen-nes à part entière.

IMAGINONS DES PARTIS POLITIQUES

qui cessent d'être des écuries de course à la présidentielle, des usines à « petites phrases » et qui soient enfi n des lieux d'exercice de la citoyenneté, pour penser l'avenir, pour changer le monde, et où toute la société ait sa place.

IMAGINONS UNE EUROPE

qui permette aux citoyen-nes d'évaluer ses politiques, en amont et en aval, et qui les associe régulièrement sur les grands choix, notamment par référendum : une Europe des peuples et non des marchés. IMAGINONS UN MONDE qui ne serait pas guidé par l'hégémonie militaire, économique et culturelle de grandes puissances mais par la solidarité, la coopération ; un monde où l'ONU serait démocratisée et disposerait des moyens de faire respecter partout les droits de l'homme.

IMAGINONS DES MÉDIAS

qui ne soient plus la propriété d'une poignée de magnats, de faiseurs d'opinion. Des médias où les sans voix pourraient se faire entendre autant que les puissants, où l'information serait présentée de façon contradictoire.

Conception française de l’intérêt général et du service public

Par Le Pors Anicet , le 31 March 2008

Conception française  de l’intérêt général et du service public

Si la Fonction publique est au cœur de la notion de service public, celui-ci est le vecteur de l’intérêt général dont la prise en compte très ancienne dans notre histoire : sous l’Ancien Régime, c’était le « bien commun » que le roi avait la charge de défendre pour son peuple. C’est l’« utilité commune » évoqué dès l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune », tandis que l’article 17 évoque une notion voisine, celle de «nécessité publique». C’est l’intérêt général qui permet de fonder en droit les relations de l’État et de la société. Sous cette inspiration historique, s’est créée, en France, à la fin du XIXe siècle une école du service public. Lun de ses fondateurs, Léon Duguit écrivait : « L’État est une coopération de services publics, organisés et contrôlés par des gouvernements». C’est dans ce cadre général qu’il convient de situer préalablement la défense de la Fonction publique et de ses statuts.

  • La conception française de l’intérêt général Les économistes se sont intéressés à l’intérêt général. Ainsi, dans la théorie économique néoclassique, si les agents économiques agissent rationnellement, la poursuite de leurs intérêts particuliers aboutit à la réalisation d’un «optimum social», mais celui-ci n’est que la «préférence révélée des consommateurs», or le citoyen est irréductible au consommateur. Le juge administratif et le juge constitutionnel font un usage fréquent de la notion d’intérêt général, sans cependant lui donner un contenu propre. Il y a à cela deux raisons. La première est que l’intérêt général est finalement une notion essentiellement politique, qui peut varier d’une époque à l’autre et qu’il ne faut donc pas figer, mais dont l’appréciation incombe d’abord au pouvoir politique, notamment au législateur. La seconde est que le juge ne fait généralement référence à l’intérêt général que de manière subsidiaire par rapport au principe d’égalité. Si le principe d’égalité peut conduire à des solutions différentes dans des situations différentes, l’intérêt général peut le justifier également pour des situations semblables ou peu différentes.

Pour autant, le juge administratif ne s’est jamais désintéressé du contenu de l’intérêt général. La jurisprudence comme la doctrine ont tôt considéré que l’intérêt général était l’objet même de l’action de l’État et que l’administration ne devait agir que pour des motifs d’intérêt général. L’intérêt général est alors assimilé aux grands objectifs, voire aux valeurs de la nation : la défense nationale, le soutien de certaines activités économiques, la continuité du service public. Toutefois, le juge administratif veille à ce que l’invocation de l’intérêt général ne recouvre pas un acte arbitraire, un détournement de pouvoir, et que la dérogation au principe d’égalité justifiée par une raison d’intérêt général soit bien en rapport avec l’objet poursuivi.

C’est ainsi que l’intérêt général est présent dans la décision d’expropriation pour cause d’utilité publique, mais celle-ci ne peut être légalement déclarée que « si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente» (CE Ass. 28 mai 1971, Ville Nouvelle Est). L’intérêt général siège aussi dans l’exercice du pouvoir de police des autorités administratives, qui peuvent s’opposer à l’exercice de certaines libertés individuelles pour des motifs d’ordre public. Ainsi, le respect de la liberté du travail, du commerce et de l’industrie n’a pas fait obstacle à ce qu’un maire puisse interdire l’attraction dite du «lancer de nain» (Conseil d’État, Assemblée du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge). L’intérêt général n’est pas, au demeurant, l’exclusivité des personnes publiques, et il peut prendre en compte des intérêts privés ; lorsqu’elle invoque l’intérêt général, l’autorité administrative doit veiller à ce qu’il ne leur soit pas porté une atteinte excessive (CE Assemblée du 5 mai 1976, SAFER d’Auvergne c. Bernette). Enfin, il peut y avoir divergence entre l’intérêt général, identifié à l’intérêt national, et l’interprétation que font les juridictions internationales de certaines dispositions de conventions internationales, par exemple en ce qui concerne le droit à une vie familiale normale posé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En outre, à la limite, l’intérêt général pourrait confiner à la raison d’État.

Si le juge constitutionnel – comme le juge administratif – a fait preuve d’une certaine prudence dans la définition de l’intérêt général, considérant qu’il n’a pas un pouvoir général d’appréciation comparable à celui du Parlement, une partie importante de ses décisions y fait référence. C’est ainsi qu’au fil du temps, il a retenu une succession d’intérêts que l’on peut regarder comme autant de démembrements de l’intérêt général : le caractère culturel de certains organismes, une bonne administration de la justice, des limitations au droit de grève dans les services de la radio et de la télévision, le logement des personnes défavorisées, une meilleure participation du corps électoral, les nationalisations et la validation rétroactive de règles illégales.

  • La conception française du service public Dans la conception française, l’intérêt général ne saurait donc se réduire à la somme des intérêts particuliers ; il est

d’une autre qualité, associé à la constitution ancienne de l’État-nation, à la forme centralisée que celui-ci a rapidement pris, et aux figures historiques qui l’ont incarné tels Richelieu, Colbert, Robespierre, Napoléon ou de Gaulle. Il s’ensuit, traditionnellement, une distinction franche public-privé que l’on fait remonter habituellement au Conseil du roi de Philippe Le Bel à la fin du XIIIe siècle et que matérialise un service public important, fondé sur des principes spécifiques. Cette tradition a donné naissance fin XIXe début du XXe siècle à l’ "école française» du service public et du droit administratif illustrée par d’éminents juristes (Duguit, Laferrière, Hauriou, Romieu, etc.).

  • Une notion simple devenue complexe

Pendant longtemps, la notion de service public a été caractérisée par la réunion de trois conditions : une mission d’intérêt général, l’intervention d’une personne morale de droit public, un droit et un juge administratifs. Son objectif n’était donc pas la seule rentabilité, mais l’accomplissement de missions diverses ressortissant à l’idée que le pouvoir politique se faisait de l’intérêt général. Les sujétions de services public correspondantes devaient faire l’objet d’un financement par l’impôt et non par les prix, ce qui entraînait, en contrepartie, l’existence de prérogatives de service public telles que, par exemple, la responsabilité de l’État ne pouvait le plus souvent être recherchée que sur la base d’une faute d’une certaine gravité.

Cette conception de base, simple à l’origine, s’est complexifiée sous l’effet d’un double mouvement. D’une part, le champ du service public s’est étendu à de nouveaux besoins, à des activités jusque-là considérées comme relevant du privé (régies, services publics industriels et commerciaux). D’autre part, des missions de service public ont été confiées à des organismes privés (assurances sociales et sécurité sociale, compétence en matière disciplinaire d’ordres professionnels ou de fédérations sportives, concession et délégation de service public). En outre, l’extension du secteur public, base matérielle d’une partie importante du service public, a rendu l’un et l’autre plus hétérogènes. Le service public économique s’est plus franchement distingué du service public administratif. De nombreuses associations ont proliféré à la périphérie des personnes publiques, notamment des collectivités locales. Le champ ouvert à la contractualisation a affaibli l’autorité du règlement.

  • Service public et construction européenne

Cependant, c’est le conflit entre la conception française de l’intérêt général et du service public, d’une part, et les principaux objectifs de la construction européenne, d’autre part, qui alimentent aujourd’hui ce que l’on peut appeler une crise du service public ou du service d’intérêt économique général (SIEG), selon la terminologie communautaire courante. Alors que la conception française du service public s’est traditionnellement référée à trois principes, égalité, continuité et adaptabilité, une autre logique lui est opposée, de nature essentiellement économique et financière, l’option d’une «économie de marché ouverte où la concurrence est libre et non faussée» dont les critères sont essentiellement monétaires : taux d’inflation et fluctuations monétaires, déficit des finances publiques, taux d’intérêt à long terme.

La traduction juridique de cette démarche conduit à une marginalisation des mentions relatives à l’intérêt général ou au service public dans le traité instituant la Communauté européenne (aujourd’hui traité sur le fonctionnement de l’Union européene). De fait, le service public n’est expressément mentionné qu’à l’article 73, au sujet du remboursement de servitudes dans le domaine des transports. Les quelques articles qui font référence à la notion, sous des vocables divers, traduisent son caractère d’exception.

Ainsi, l’article 86, relatif aux entreprises chargées de la gestion de «services d’intérêt économique général», les assujettit aux règles de la concurrence en ne formulant qu’une réserve de portée limitée, «dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie». Il donne mandat à la Commission de veiller au respect des règles de concurrence, en adressant «les directives ou décisions appropriées aux États membres». L’objectif de «renforcement de la cohésion économique et sociale» figure, par ailleurs, à l’article 158. On peut toutefois noter, au cours des dernières années, une certaine prise de conscience favorable à la notion de service d’intérêt général, traduite notamment par trois arrêts de la Cour de justice des communautés européennes. L’arrêt Corbeau du 19 mai 1993 décide qu’un opérateur, distinct de l’opérateur du service d’intérêt général, peut offrir des services spécifiques dissociables du service d’intérêt général de distribution du courrier, mais seulement «dans la mesure où ces services ne mettent pas en cause l’équilibre économique du service d’intérêt général».

L’arrêt Commune d’Almélo du 27 avril 1994, prévoit qu’une entreprise régionale de distribution d’énergie électrique peut passer une clause d’achat exclusif «dans la mesure où cette restriction à la concurrence est nécessaire pour permettre à cette entreprise d’assurer sa mission d’intérêt général». Un arrêt intervenu sur une action en manquement, Commission des Communautés européennes c. République française, du 23 octobre 1997, a admis l’existence de droits exclusifs d’importation et d’exportation de EDF et de GDF, en considérant qu’ils n’étaient pas contraires aux échanges intracommunautaires d’électricité et de gaz.

Cela dit, c’est une conception restrictive du service d’intérêt général qui continue de prévaloir au sein de l’Union européenne, comme en témoigne la réforme structurelle des services de télécommunications, qui a fait éclater ce service public en trois catégories : le service universel (le téléphone de poste fixe à poste fixe, la publication de l’annuaire), les missions d’intérêt général (relatives aux fonctions de sécurité de l’État, armée, gendarmerie) et les services obligatoires imposant l’existence d’une offre de nouveaux services sur l’ensemble du territoire, mais sous la contrainte de l’équilibre financier, ce qui ôte toute garantie que le principe d’égalité soit effectivement respecté.

Suite à la ratification du traité d’Amsterdam, l’article 16 du traité instituant la Communauté européenne associe valeurs communes et services d’intérêt économique général : «Sans préjudice des articles 73, 86 et 87, et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l’Union, la Communauté et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions.» Cette conception restrictive de la notion de service public par l’Union européenne a joué un grand rôle dans le rejet par la France, par référendum du 29 mai 2005, du traité constitutionnel européen. En dernier lieu, la Commission européenne vient de refuser d’établir une directive cadre sur les services publics au moment où la Confédération européenne des syndicats lui a remis une pétition de plus de cinq cent mille signatures en faveur d’une telle directive.

  • Quelle refondation du service public ?

Que le service public doive s’adapter ne fait pas de doute, c’est même la condition d’application du principe de continuité. Mais la refondation du service public économique, appelée notamment par le progrès technique et la mondialisation, est inséparable de celle de sa base matérielle essentielle, le secteur public. Les grandes entreprises publiques ont été constituées au lendemain de la seconde guerre mondiale, sur la base d’un principe de spécialisation leur conférant un monopole de production. Ensuite, ces entreprises ont acquis un savoir-faire dans un grand nombre de domaines connexes dont l’exercice est indispensable à leur équilibre financier. Cette évolution a conduit à définir de nouveaux concepts et à prévoir qu’une «certaine marge de diversification» était admissible, autorisant, par exemple, EDF à développer des activités d’ingénierie, mais non de télésurveillance.

La complexification du service public se manifeste aussi de multiples façons : difficulté grandissante à rendre compatibles les différents schémas d’aménagement du territoire, opacité des documents soumis aux enquêtes en vue des déclarations d’utilité publique (ce qui oblige à rédiger des résumés non techniques des études d’impact), multiplication des lois «transversales» (eau, montagne, littoral, air) parfois mal articulées aux lois déjà existantes.

Les justifications du service public reposent sur l’idée que c’est en son sein que l’on rencontre les tâches les plus nobles, car finalisées par l’intérêt général, et les plus difficiles, en raison de l’ampleur des processus de socialisation qui s’y développent. Le service public aurait ainsi une vocation spécifique à servir de référence en matière de modernité (poids des dépenses de recherche, progrès de la science économique, de l’informatique, Concorde, Airbus, TGV, etc.), de rationalité (choix multicritères, gestion prévisionnelle des effectifs, rationalisation des choix budgétaires, évaluation des politiques publiques) et d’équité (relations administrationusagers, accès aux documents administratifs, motivation des actes administratifs).

La demande de service public n’a cessé de croître au cours des dernières décennies, en relation avec la crise de l’Étatprovidence, les atteintes à la cohésion sociale, le développement de l’exclusion, notamment dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la solidarité sociale et de la diffusion du savoir. Seul le service public peut développer sur le long terme les politiques publiques nécessaires en ces domaines. La réponse libérale a consisté en une assez large dérégulation. Un transfert de pouvoir réglementaire a été opéré en faveur d’autorités administratives indépendantes (Commission des opérations de bourse, Commission nationale de l’informatique et des libertés, Conseil supérieur de l’audiovisuel, Autorité de régulation des télécommunications) sans que l’activité réglementaire globale diminue pour autant. Des services administratifs ont été transformés en établissements publics administratifs, en établissements publics industriels et commerciaux et, souvent, en sociétés commerciales à capitaux d’État, mixtes ou privés. De nouvelles catégories d’établissements publics ont vu le jour (La Poste et France Télécom). Dans le même temps, la faible croissance a mis en difficulté les budgets sociaux et a conduit, malgré la pénurie des moyens, à multiplier les organismes de transferts sociaux et de solidarité.

Cette évolution générale a amené les pouvoirs publics à engager une réflexion sur la refondation et les perspectives du service public. Cette réflexion s’est développée dans plusieurs rapports officiels visant, soit à compléter les principes traditionnels (égalité, continuité et adaptabilité) par de nouveaux principes (neutralité, laïcité, transparence, participation et déontologie), soit à séparer la doctrine du service public jugée toujours fondée, du mode d’organisation susceptible de prendre des formes et des statuts variés, soit à concevoir une large réorganisation des structures administratives et gouvernementales.

Enfin, sous couvert de modernisation, le récent Conseil de modernisation des politiques publiques qui s’est tenu le 14 décembre dernier a, parmi les 96 mesures de réforme de l’État qu’il a retenues, prévu : la suppression du Haut conseil du secteur public, du Comité d’enquête sur les coûts et les rendements des services publics, du Conseil national de l’évaluation, du Haut Conseil à la coopération internationale, de huit des neuf centres interministériels de renseignements administratifs (CIRA). Ces suppressions venant après l’intégration de la direction de la Prévision dans la Direction générale du Trésor et de la politique économique et surtout l’emblématique disparition du Commissariat général du Plan créé au lendemain de la Libération, montre la volonté du pouvoir de supprimer tout instrument de pensée économique rationnelle et son abandon aux lois du marché.

  • L’importance fondamentale de l’appropriation sociale

Le service public ne recouvre pas exactement le secteur public, c’est-à-dire le champ couvert par la propriété publique. D’autre part, le service public dépasse le champ de la fonction publique qui regroupe les principales fonctions de l’État et des collectivités publiques.

Il n’y a pas identité du service public et du secteur public, propriété de l’État ou d’une autre collectivité publique. On a reconnu très tôt aux personnes publiques la possibilité de se livrer à des actes de gestion privée et de contracter (CE 6 février 1903, Terrier). Réciproquement, des organismes privés peuvent être chargés de missions de service public, par la voie de la concession, par exemple (CE 10 janvier 1902, Compagnie nouvelle du gaz de Deville-les-Rouen), mais même en dehors de tout système contractuel (CE Assemblée du 13 mai 1938, Caisse primaire «Aide et protection»).

Pourtant, si, au niveau micro-économique, il est possible, en certains cas, d’opérer une nette dissociation entre service public et secteur public, cette séparation n’est guère soutenable au niveau macro-économique, car c’est dans le cadre de la société tout entière que se définit l’intérêt général et que le service public comme le secteur public trouvent leurs justifications principales.

La propriété privée est un attribut de la citoyenneté, mais elle peut connaître des limitations qui elles-mêmes font partie de la citoyenneté. Ainsi, après l’article premier qui évoque l’«utilité commune», l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que «a propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité», tandis que l’article 545 du Code civil indique également que «nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique».

L’ «utilité publique» ou «commune», la «nécessité publique», transcendent donc le droit individuel   de propriété, parce qu’elles participent de l’intérêt général justifiant parfois l’existence d’une  propriété publique par expropriation pour cause d’utilité publique. Le concept de propriété change alors de nature : d’un droit (usus, fructus, abusus), il devient une fonction sociale.

Cette fonction a vu ses justifications s’élargir. Le préambule de la Constitution de 1946 prévoit   ainsi que : «Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert le caractère d’un service public ou d’un monopole de fait doit devenir propriété de la collectivité.»

Plus tard, en 1972, le Programme commun de gouvernement du parti communiste, du parti  socialiste et du mouvement des radicaux de gauche précisera les critères de nationalisation dans le secteur industriel. C’est par application de ces critères qu’ont été nationalisées, totalement ou partiellement, plusieurs dizaines de sociétés en 1982.

Depuis, un mouvement constant de privatisations s’est développé.

Toutefois, l’existence d’un secteur public, qui reste très vaste et joue un rôle stratégique dans la  vie économique et sociale, conserve à la question de la propriété publique, et plus généralement au concept d’appropriation sociale, une importance certaine, à la fois économique et politique.

Elle demeure un sujet de réflexion et d’étude pouvant prendre diversement appui sur des notions comme celles de «patrimoine commun de l’humanité » ou de « destination universelle des biens». D’ailleurs, le traité instituant la Communauté

européenne n’y fait pas obstacle puisque son article 295 dispose que «le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres»

Mais que fait donc la Commission européenne ?

Par Le Pollotec Yann , le 31 March 2008

Mais que fait donc la Commission européenne ?

Transport ferroviaire : mais que fait donc la Commission européenne ?

En septembre dernier, on inaugurait en grand pompe, l’Autoroute ferroviaire Bettembourg-Perpignan (AFBP). Réalisation «exemplaire» (Sic), l’AFBP était censée préfigurer le futur réseau continental d’autoroutes ferroviaires d’une Union européenne des transports, soucieuse du respect de l’environnement et rompant avec le tout camion.

Malheureusement sept mois après sa mise en service, l’AFBP ne fonctionne qu’entre 30 et 40 % de sa capacité en raison du non-respect des directives européennes 96/53/CCE et 97/27/CCE qui limitent la hauteur maximale des camions à 4 mètres (+/1 %). Or la majorité des semi-remorques européens dépassent les 4 mètres de plus de 30 % et ne peuvent être donc transportés sur des wagons en raison des gabarits des caténaires, des tunnels et autres ouvrages d’art. Tout cela compromet donc fortement le développement et l’existence même des autoroutes ferroviaires en Europe.

On ne peut que s’interroger sur le manque d’empressement, pour le moins inhabituel, de la Commission européenne à faire respecter ses propres directives en la matière. Des esprits chagrins pourraient y voir l’effet du pouvoir d’influence du lobby du patronat routier européen sur la Commission européenne. Impossible voyons, tous les traités européens ne rappellent-ils pas que la Commission est gardienne de l’intérêt général.

Quelques épines de la transposition en droit français de la «Directive service» (ex-Bolkestein) !

Contrairement à l’affirmation du PS et de la droite, les «services sociaux d’intérêt général» (SSIG, en français service public) sont concernés par la «directive service» ex-Bolkestein. En effet ceux-ci ne sont exclus de la directive nommément que pour certains d’entre eux (le logement social, les services à la petite enfance et à la famille,...).

Toutefois, cette exclusion théorique du cadre de la «directive service», de certains services publics, n’empêche ni l’application de la jurisprudence de la cour européenne, ni l’interprétation que fait la Commission de celle-ci. En particulier, l’exclusion de ces services de l’application des règles du marché intérieur n’est possible que dans la mesure où ils font l’objet d’un mandatement de l’autorité publique. C’est-à-dire une autorisation et une obligation de fournir une prestation. Pour la mise en œuvre de ces règles, l’année 2008 va être décisive. En effet, le calendrier de transposition de la «directive service» va justement coïncider avec l’obligation des États membres de l’Union européenne de recenser et de justifier la conformité aux textes européens de toutes les aides publiques des collectivités locales et des administrations centrales, cela avant le 19 décembre 2008.

Or, c’est justement le mandatement qui justifie les aides et financements publics et fonde l’exclusion théorique de certains services publics du cadre de la «directive service»(1). La remise en cause des aides publiques, est bien l’un des enjeux centraux de la «directive service» : il en a déjà été question pour le logement social, dans le litige qui a opposé les Pays-Bas à la Commission européenne et qui est à l’origine  d’un protocole annexé au Traité de Lisbonne. Elle va se poser dans d’autres domaines de l’action sociale, allant jusqu’à l’aide à l’enfance, l’aide aux personnes âgées...

De même, la transposition de la «directive service» en droit français risque de toucher la garantie décennale en matière de construction(2) qui est une institution très importante et propre à la France. Or elle est de fait remise en question par la «directive service» car les entreprises de construction qui viendront opérer en France ne seront plus obligées de s’y conformer. Dans tous les domaines la «directive service» est décidément porteuse de graves régressions.

Dissuadons le projet Mandelson de casse totale des instruments de défense commerciale de l’Union européenne

En ce premier semestre de 2008, l’ultra libéral Commissaire européen au Commerce international, l’Anglais Peter Mandelson(3) a décidé de reporter «sine die» son projet de «réforme des instruments de défense commerciale de l’Union européenne» invoquant «un contexte politique pas facile».

Cette réforme, dont l'idée avait été lancée en 2006, devait être initialement présentée fin 2007. Elle constituait un véritable encouragement à la délocalisation, avec un désarmement commercial complet de l’Europe et une quasi-disparition des mesures anti-dumping. La «réforme» devait porter surtout sur les mesures antidumping, les plus utilisées, qui permettent d'imposer des taxes aux entreprises exportant vers l'Europe des produits à des prix inférieurs à leurs coûts de production. Le commissaire Mandelson voulait, notamment permettre aux entreprises européennes qui délocalisent une partie de leur production dans des pays émergents à bas coût de main d’œuvre, à faible réglementation sanitaire, sociale et écologique, d'en être exemptées au moins partiellement.

Il souhaitait par ailleurs que les intérêts des importateurs et distributeurs (défendus en particulier par des pays dominants dans les services financiers comme le Royaume-Uni) soient favorisés au détriment des intérêts de l’industrie et des services non financiers. Alors que l’intérêt de tous les salariés du monde, serait à niveau équivalent, de taxer le dumping salarial, fiscal, social, sanitaire et écologique, il s’agissait de mettre encore plus en concurrence les peuples tout en favorisant les intérêts des multinationales européennes.

Alors que le Parlement européen doit adopter un rapport sur les instruments de défense commerciale de l’Union européenne, présenté par le député suédois ultra libéral Fjellner, tout doit être fait pour l’amender de sorte que Peter Mandelson soit dissuadé de remettre sur le tapis son projet mortel pour l’emploi industriel et de service en Europe et dans le reste du monde.

  • Arrêt Corbeau de la Cour de justice européenne de 1993 qui «déclare que les États peuvent conférer des droits exclusifs à des entreprises lorsque cela se révèle nécessaire pour l’accomplissement de missions d’intérêt général ».
  • En France, pendant 10 ans, le constructeur est censé garantir la bonne qualité de la construction. Il doit prouver qu’il n’a pas fait de fautes.
  • Figure du blairisme en Grande-Bretagne.

La conception française de la Fonction publique.Défense de la Fonction publique et de ses statuts

Par Le Pors Anicet , le 31 March 2008

Il y a un appauvrissement idéologique de la réflexion sur le service public et la fonction publique ; il est particulièrement sensible dans le mouvement syndical (faible commémoration du 60e anniversaire de la loi du 19 octobre 1946).

Le statut général des fonctionnaires n’a cessé d’évoluer de se transformer (1946, 1959, 19831986) ; d’environ 1 million à 5,2 millions ; de 145 articles en 1946, 57 en 1959, plus de 500 aujourd’hui pour la fonction publique « à trois versants » respectant l’extrême diversité des fonctions et des activités.

Il est encore utile de rappeler les trois principes que j’évoquais alors pour fonder cette unité.

1 . Mise enperspective de l’élaboration statutaire

D’abord, le principe d’égalité, par référence à l’article 6 de la Déclaration des doits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que l’on accède aux emplois publics sur la base de l’appréciation des «vertus» et des «talents» c’est-à-dire de la capacité des candidats ; nous en avons tiré la règle que c’est par la voie du concours que l’on entre dans la fonction publique. Ensuite, le principe d’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique comme de l’arbitraire administratif que permet le système dit de la «carrière» où le grade, propriété du fonctionnaire, est séparé de l’emploi qui est, lui, à la disposition de l’administration ; principe ancien que l’on retrouve déjà formulé dans la loi sur les officiers de 1834.

Enfin, le principe de responsabilité qui confère au fonctionnaire la plénitude des droits des citoyens et reconnaît la source de sa responsabilité dans l’article 15 de la Déclaration des droits de 1789, lequel indique que chaque agent public doit rendre compte de son administration ; conception du fonctionnaire-citoyen opposée à celle du fonctionnaire-sujet  que Michel Debré définissait ainsi dans les années 1950 : «Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait». C’est sur cette base qu’a donc été construite cette fonction publique «à trois versants», à la fois ensemble unifié et respectueux des différences comme l’indiquent ses quatre titres adoptés successivement de 1983 à 1986, l’un après l’autre car tout le monde ne marchait pas du même pas.

Des conceptions contradictoires existaient aussi au sein même du gouvernement, Gaston Deferre, ministre de l’Intérieur inclinant en faveur d’une fonction publique d’emploi pour les agents des collectivités territoriales alors que je défendais le système de la carrière. On peut discuter de l’équilibre ainsi retenu entre une unification intégrale (au demeurant impraticable sans modification constitutionnelle en raison du principe de libre administration de l’article 72) et une séparation complète des fonctions publiques qui aurait consacré une «balkanisation» conduisant inévitablement à leur hiérarchisation. Je pense pour ma part que la solution retenue était, dans l’ensemble, satisfaisante.

Outre cette extension et cette réorganisation d’ensemble de l’architecture statutaire, des apports spécifiques ont été réalisés par la réforme de 1983-1984-1986. Pour l’ensemble des fonctionnaires couverts par le Titre 1er : le remplacement de la bonne moralité comme condition d’accès à la fonction publique par les mentions au bulletin no 2 du casier judiciaire, la suppression des références à la tuberculose, au cancer et aux maladies mentales (art. 5 actuel) ; la liberté d’opinion (art. 6) ; le remplacement de la nature des fonctions par la notion de condition déterminante de l’exercice des fonctions dans les recrutements séparés hommes-femmes, ainsi que la publication tous les deux ans d’un rapport sur l’égalité (art. 6 bis et s.) ; le droit à la négociation sur les rémunérations, les conditions et l’organisation du travail reconnu aux organisations syndicales (art. 8) et dépôt d’un rapport tous les deux ans (art. 15) ; le droit de grève (art. 10) ; la mobilité entre et à l’intérieur des fonctions publiques comme garantie fondamentale (art. 14) ; le droit à la formation permanente (art. 22) ; l’obligation d’information (art. 27) ; etc. Pour les fonctionnaires de l’État qui disposaient déjà du statut général dans le Titre II : la 3e voie d’accès à l’ENA (art. 19) ; l’institution de la liste complémentaire (art. 20), de la mise à disposition (art. 41) ; la titularisation des contractuels (art. 73), etc. Par ailleurs, dans le domaine réglementaire ou des circulaires, par exemple : la circulaire du 7 août 1981 sur la pleine compétence des CTP ; la circulaire du 24 août 1981 sur l’utilisation des locaux administratifs pour des activités autres que de service ; les décrets du 28 mai 1982 (droit syndical dont l’heure mensuelle d’information syndicale, les CSFP, CAP, CTP, CHS) ; le décret du 28 novembre 1983 sur les relations entre l’administration et les usagers (abrogé à compter du 1er juillet 2007), etc.

Depuis, le système a résisté face aux multiples attaques dont il a été l’objet, mais pour autant son avenir n’est pas garanti. La première alternance politique entre 1986 et 1988 a permis au pouvoir politique, notamment avec la loi Galland du 13 juillet 1987, de s’attaquer au « maillon faible » du système : la fonction publique territoriale, de réintroduire des éléments de fonction publique d’emploi (listes d’aptitude, cadres d’emploi, recrutement de contractuels, etc.), de clientélisme, dans l’ensemble du statut général. La loi du 19 novembre 1982 sur les prélèvements en cas de grève a été abrogée par l’amendement Lamassoure, de même que la création de la 3e voie d’accès à l’ENA réservée aux détenteurs de mandats électifs, associatifs et syndicaux, etc. Je n’aurais garde d’oublier la mise hors fonction publique des PTT et de France Télécom en 1990. Les attaques ont repris de 1993 à 1997 avec la réforme Hoëffel, et une stratégie de «mise en extinction» du statut général par la déréglementation, les privatisations, la contractualisation, etc., jusqu’à l’attaque frontale du rapport du Conseil d’État en 2003 proposant une autre conception de la fonction publique, une fonction publique d’emploi, alignée sur le modèle européen dominant. C’est ce modèle que voudrait imposer l’actuel président de la République.

2.  Le statut général attaqué de front

À l’évidence, l’élection du nouveau président de la République marque une nouvelle étape significative. J’ai pu parler à son sujet de «forfaiture» ; je voudrais expliciter cette appréciation, donner un avis sur certaines des propositions avancées dans son discours à l’Institut régional d’administration de Nantes le 19 septembre 2007 et m’interroger ce qu’il faudrait faire pour contrecarrer l’entreprise présidentielle engagée.

Tout d’abord caractériser la notion de «forfaiture» que j’ai utilisée à ce propos.

Robert : «Crime dont un fonctionnaire public se rend coupable en commettant certaines graves infractions dans l'exercice de ses fonctions». L’expression est a fortiori extensible aux plus hautes autorités de l’État, c’est ainsi que le président du Sénat avait qualifié en 1962 la décision du président Pompidou de prendre l’initiative du recours au référendum sur la base de l’article 11 de la constitution (et non l’article 89) pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel.

Il y donc, forfaiture lorsqu’une autorité publique outrepasse ses compétences par une action délictuelle ou lorsqu’un mandat est détourné des engagements qui le constituent et qui ont été strictement consacrés par le suffrage universel. En l’espèce, l’engagement de Nicolas Sarkozy en matière de fonction publique a été exprimé pendant la campagne électorale dans son discours de Périgueux du 13 octobre 2006, il tient en six lignes :

«Au fonctionnaire qui se sent mal payé, je dis que ma volonté est qu’il y ait moins de fonctionnaires mais qu’ils soient mieux payés et mieux considérés. Au fonctionnaire qui se sent démotivé parce que ces efforts ne sont jamais récompensés, je dis que mon objectif est que le mérite soit reconnu et les gains de productivité partagés. Au fonctionnaire qui est prisonnier des règles de gestion des corps je dis que mon objectif est de supprimer la gestion par corps pour la remplacer par une gestion par métier qui ouvrira des perspectives de promotion professionnelle beaucoup plus grandes. Je ne veux pas que la seule voie de réussite soit celle des concours et des examens.» Si plusieurs des mesures annoncées à Nantes peuvent être devinées dans ces formulations générales on ne saurait en déduire le dispositif annoncé avec, ce qui a été rappelé : le rejet de la distinction public-privé, la gestion par corps réduite à l’exception, l’encouragement à quitter la Fonction publique au bénéfice d’un pécule, le choix à l’entrée entre «le statut et un contrat de droit privé négocié de gré à gré», l’extension à la Fonction publique du «travailler plus pour gagner plus» notamment par le moyen d’heures supplémentaires et le rachat des heures accumulées dans les comptes épargnetemps avec parallèlement réduction des effectifs, l’individualisation des carrières sur la base d’une réflexion sur la «culture du concours et sur la notation» afin d’échapper au «carcan des statuts». Le tout étant baptisé «révolution culturelle». Je considère donc que Nicolas Sarkozy n’a pas été mandaté pour engager ce qui est en réalité une «contre-révolution» dans la Fonction publique, et c’est pourquoi je parle de forfaiture. Je dois ajouter d’ailleurs que c’est de sa part une constante s’agissant de sa pratique des institutions, mais il s’agit d’un autre sujet que j’ai traité par ailleurs sous le titre de «Dérive bonapartiste».

Comment caractériser les réformes envisagées ?

J’ai rappelé les trois principes républicains fondant l’unité de la fonction publique «à trois versants» : égalité, indépendance, responsabilité. La réforme contrevient à ces trois principes : le contrat est opposé au statut, le métier à la fonction, la performance individuelle à la recherche de l’efficacité sociale.

Le contrat opposé au statut

Je veux tout d’abord souligner et rappeler que les réformes proposées s’inscrivent dans un contexte de déréglementation et de privatisation dont on ne finirait pas d’exposer les cas multiples et les modalités (La Poste et France Télécom, Service des Poudres, SEITA, GIAT, IN, DCN) ; d’affaiblissement des organismes de programmation (CGP, intégration de la DP dans la DGTPE, disparition du CNE) ; d’extension du champ de la contractualisation au détriment de la loi, y compris dans la fonction publique régalienne.

Pourquoi le fonctionnaire a-t-il été placé par la loi vis-à-vis de l’administration dans une situation statutaire et réglementaire et non contractuelle (art. 4 Titre 1er ) ? Et pourquoi les emplois permanents des collectivités publiques doivent-ils être occupés par des fonctionnaires (art. 3 T I) ? Parce que le fonctionnaire est au service de l’intérêt général à l’inverse du salarié de l’entreprise privée lié à son employeur par un contrat qui fait la loi des parties (art. 1134 du Code Civil). Remettre en cause cette spécificité c’est déconnecter le fonctionnaire de l’intérêt général pour le renvoyer vers des intérêts particuliers, le sien ou celui de clients ou d’usagers. Et c’est aussi parce que la loi est l’expression de la volonté générale qu’aux termes de l’article 6 de la DDHC (art. 6) «La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.»

Le choix à l’entrée (avant ou après le concours ?) entre le statut et un contrat de droit privé conclu de gré à gré tourne ainsi le dos au principe d’égalité. En réalité on voit clairement ce qui découle de l’alternative ainsi proposée : la mise en extinction du statut général par recrutement parallèle et de manière croissante de personnels contractuels, le cas échéant bénéficiant de conditions avantageuses ce qui conduira à élever leur proportion comme le mouvement en est d’ailleurs amorcé, jusqu’à ce qu’ils deviennent plus nombreux que les fonctionnaires eux-mêmes. Il y a des précédents : le pdg de La Poste Jean-Paul Bailly ne vient-il pas d’annoncer (Le Figaro, 25 octobre 2007) qu’en 2012 il y aurait autant de salariés de droit privé que de fonctionnaires à La Poste ? Or on sait que le statut général qui n’écarte pas, par dérogation au principe, le recrutement de contractuels en circonscrit strictement les motifs (art.4 TII).

La réforme proposée est donc franchement contraire principe d’égalité.

Le métier opposé à la fonction

La façon dont on appréhende la notion de Fonction publique dépend du niveau où l’on souhaite situer les activités qu’elle regroupe. Pour ma part je déclarais le 15 décembre 1983 :

«Dans le système dit de la carrière, propre à la conception française, on ne sert pas l’État comme on sert une société privée. C’est une fonction sociale qui s’apparente aussi bien à la magistrature, au sens donné à ce mot dans l’ancienne Rome, qu’au service public moderne dans toute la gamme des technicités requises pour la mise en œuvre des fonctions collectives d’une société développée comme la société française». On retiendra de cette quasi-définition la référence de la fonction publique à une magistrature et sa conception globale : le système de la carrière considère des travailleurs collectifs dont l’activité est nécessairement gérée sur l’ensemble d’une vie professionnelle.

Aujourd’hui on nous propose le métier comme concept de référence. C’est celui du secteur privé et assez largement celui de la fonction publique territoriale avant la réforme de 1983-84. Je ne considère pas la notion de métier comme péjorative dans la fonction publique ; elle peut avoir une utilité pour analyser les fonctions, et synthétiser un ensemble d’activités élémentaires, mais son usage n’est pas neutre selon qu’il s’agit d’activités régies par le marché ou relevant d’une fonction publique. Dans le premier cas c’est la donnée de base des activités participant à la production de biens ou de services. Dans le second cas c’est l’éclatement des fonctions en composantes parcellaires qui ne peuvent prendre sens que par rapport aux fonctions publiques intégrées, elles-mêmes ordonnées par rapport à l’intérêt général.

Ainsi la substitution du concept de métier à celui de fonction vise à rien moins que de substituer la logique du marché à celle du service public, une fonction publique d’emploi à une fonction publique de carrière. Elle est accordée à la substitution du contrat à la loi, du contrat au statut.

Elle touche donc au cœur la conception française de Fonction publique en remettant en cause le principe d’indépendance.

L’individualisation de la performance opposée à la recherche de l’efficacité sociale

Le mérite est mis en avant pour mettre en accusation les pratiques actuelles. Personne n’a jamais contesté que le mérite doive être considéré pour rémunérer les fonctionnaires. On ne trouvera aucune déclaration de ma part prônant un égalitarisme généralisé, j’ai toujours affirmé le contraire, c’est-à-dire que le fonctionnaire qui travaille mal ne doit pas être rémunéré comme celui qui travaille bien. Le statut le permet, ce qui manque c’est le courage. En réalité, l’évocation du mérite et le thème de l’individualisation des rémunérations recouvre une remise en cause de l’ensemble des caractéristiques de la conception française de la fonction publique. D’abord la notion de corps, c’est-à-dire de ces ensembles fonctionnels, regroupant le cas échéant plusieurs métiers dans une structure hiérarchique, organisés pour assumer certaines fonctions publiques spécifiques participant de fonctions publiques plus globales. On en critique le nombre en avançant des chiffres fantaisistes. Selon la DGAFP il y a aujourd’hui 300 à 500 corps et non pas 1 500 et il ne faut jamais perdre de vue que 2 % des corps regroupent 70 % des fonctionnaires. Si la pratique n’est pas satisfaisante, les possibilités statutaires de mobilité existent par la voie du détachement, de la mise à disposition et ce n’est pas ceux qui, par la loi Galland du 13 juillet 1987 ont supprimé la comparabilité entre FPE et FPT de se plaindre du défaut de mobilité, pas davantage ceux qui ont pratiqué d’année en année le gel indiciaire pour critiquer ensuite la rigidité des carrières. Ensuite, les modalités de rémunérations.

J’ai connu le temps où des négociations salariales actives bien que conflictuelles avaient lieu chaque année. Elles ont disparu et le système a été profondément dénaturé par la confusion sciemment entretenue entre les différentes composantes de la rémunération : rémunération indiciaire, GVT, primes, bonifications, etc. À l’évidence le gouvernement actuel veut pousser plus loi la confusion par l’individualisation, vraisemblablement sur le modèle que suggérait le rapport 2003 du Conseil d’État (p. 360) : une rémunération en trois parties dépendant respectivement : de l’indice, de la fonction, de la performance. La part discrétionnaire pourrait dans ces conditions croître considérablement, en dehors de tout contrôle. Enfin, cette atomisation salariale, s’ajoutant l’atomisation fonctionnelle et contractuelle, m’apparaît dangereuse en tant qu’elle isole le fonctionnaire des travailleurs collectifs auxquels il appartient dans l’organisation statutaire.

Elle le rend par là plus vulnérable dans un contexte qui tendra à devenir plus clientéliste, plus sensible aux pressions administratives, politiques ou économiques. C’est au bout du compte l’intégrité de la fonction publique qui risque d’être mise en cause et la responsabilité que conférait à l’agent public l’article 15 de la DDHC : «La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.» C’est donc aussi le principe de responsabilité qui est mis en cause et, au-delà, la pleine citoyenneté du fonctionnaire.

3. Sur  la démarche  à développer  en  réponse à la «contre-révolution culturelle»

Écartons les faux débats : la question n’est pas de savoir s’il faut évoluer ou pas. À cet égard il est peu de texte de l’importance du statut général qui aient autant évolué sur une si longue période. Il n’y a pas de texte sacré et un tel système qui ne s’adapterait pas aux besoins et aux techniques dépérirait. Ce n’est pas, pour autant, une raison pour remettre en cause les principes qui participent du pacte républicain. Fermeté sur les principes, souplesse dans la mise en œuvre. La «contre-révolution culturelle» introduit en réalité un nouveau modèle, une autre conception de la Fonction publique, une fonction publique d’emploi dominante au sein de l’Union européenne. C’est la FPT («maillon faible» de la Fonction publique «à plusieurs versants») qui devient progressivement la référence et non plus jusqu’à présent la FPE. Il s’agit d’une stratégie cohérente que le rapport annuel du Conseil d’État de 2003 « Perspectives pour la Fonction publique » avait déjà théorisée.

À cette cohérence, il faut répondre par une autre cohérence. Celle-ci passe toujours à mon avis par la réaffirmation des principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité. Cet aspect idéologique a malheureusement été négligé au cours des dernières décennies, par le mouvement syndical, les fonctionnaires et l’opinion publique. Pire, lorsque des gouvernements de droite ont porté des atteintes au statut général, comme en 1987 (loi Galland, amendement Lamassoure, 3e voie de l’ENA), les gouvernements de gauche les ont consacrées lorsqu’ils sont revenus au pouvoir.

Ce débat droit prendre place dans le cadre du «Pacte service public 2012» annoncé par le président de la République et, à court terme, dans de multiples conférences jusqu’en mars 2008. C’est alors que doit être rendu public un rapport qui vise à rien moins que de refonder le statut général des fonctionnaires sur les bases que j’ai précédemment indiquées, élaboré par un conseiller d’État, Jean-Ludovic Silicani.

Pour autant cela ne doit pas empêcher la formulation de propositions de réformes statutaires ou non-statutaires. De mon point de vue, elle pourraient concerner, par exemple : la mise en œuvre de la double carrière (sur la base, par exemple, du rapport de Serge Vallemont) ce qui nécessiterait une politique de formation sans commune mesure avec ce qui existe ; les conditions d’affectation, de détachement et plus généralement de mobilité ; une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétence (en lieu et place de cet aveugle non remplacement de la moitié des départs en retraite) ; l’amélioration de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique ; la remise en ordre des classements indiciaires et statutaires ; la résorption de la précarité et la titularisation des contractuels indûment recrutés sur des emplois permanents ; l’instauration de modalités sérieuses de négociation et de dialogue social ; le développement de l’évaluation des politiques publiques, etc. Il y a nécessité d’une mise en mouvement syndical sur ces questions en même temps que sur celles portant sur le pouvoir d’achat et les effectifs qui ne doivent pas occulter la question statutaire. Au-delà, il lui revient également de participer à la formation de l’opinion à une meilleure connaissance de la conception française de la Fonction publique, du service public et de l’intérêt général.

S’il est légitime que les fonctionnaires se mobilisent pour défendre leurs intérêts propres, leur action va bien au-delà et joue un rôle éminent dans la défense et la promotion des droits des autres salariés et de l’ensemble des citoyennes et des citoyens. Et ce pour des raisons à la fois sociales, économiques et politiques.

Sociales, car étant dans une position statutaire et réglementaire et non contractuelle, ils échappent aux rapports de forces souvent inégaux qui président aux différentes formes de contractualisation. Ils peuvent ainsi constituer une référence forte pour la progression de la notion de statut du travail salarié ou de sécurisation des parcours professionnels. Économiques, car la Fonction publique exige encore largement, même si les dérogations tendent à se multiplier, une base matérielle publique, une propriété publique étendue qui tend à faire échapper les activités regroupées dans la fonction publique à la marchandisation des rapports sociaux et à substituer la notion d’efficacité sociale à celle de rendement, de rentabilité financière ou de performance individuelle. Politiques, car les fonctionnaires sont avant tout au service de l’intérêt général. C’est-à-dire qu’ils sont au service des valeurs cardinales de la citoyenneté, non seulement la conception française de l’intérêt général, mais aussi l’affirmation du principe d’égalité pour que l’égalité sociale rejoigne l’égalité en droit, mais encore l’exigence de responsabilité que fonde le principe de laïcité.

C’est tout cela qui fonde la dignité du fonctionnaire dont parle Roger Vaillant dans ses Écrits intimes, «a dignité de ne pas avoir l’homme pour maître»

Sur le Rapport de la Commission Attali pour la "libération de la croissance"

Par Boccara Paul, Mills Catherine , Dimicoli Yves , Chicote Sylvian , le 01 February 2008

 Sur le Rapport de la Commission  Attali pour la

Dossier réalisé par :

Paul Boccara Catherine Mills Yves Dimicoli Régis Régnault Sylvian Chicote Deniz Öztorun Olivier  Gebuhrer.

On peut considérer, à partir d'une analyse critique, dans une première partie les axes du Rapport, puis, dans une deuxième partie, un certain nombre de ses propositions précises, leur démagogie face à des problèmes réels, ainsi que leurs contradictions et leurs effets pervers. Il s’agit aussi de commencer à mettre en relation ces axes et ces propositions avec le défi d’alternatives de transformation, pour un progrès radical effectif, au plan social comme au plan de l’économie réelle. Dans une troisième partie, nous reviendrons sur les défis d'alternative à ces mesures d'hyper-libéralisme dans le moment présent. Cela dépasse d'ailleurs le cadre du rapport, même si ce dernier contribue à poser la question de l'actualisation de nos propositions pour une alternative radicale et rassembleuse. Et cela, pas seulement pour une autre construction en France, mais pour son insertion dans une autre construction au niveau de l'Union européenne et au niveau mondial.

I Des axes ultra-libéraux, sous couvert de libération et de modernisation face à la montée des exigences nouvelles.

Exigence de la faiblesse de la croissance en France et fuite en avant dans le soutien à la rentabilité financière et à la mise en concurrence effrénée.

Le Rapport prétend vouloir libérer la croissance française.

Cette dernière est effectivement faible depuis de nombreuses années. Mais, on est loin de mettre en lumière les facteurs fondamentaux de faiblesse, c’està-dire, principalement, le poids de la croissance financière spéculative et la prédominance des exportations de capitaux, au détriment des investissements matériels et de recherche, les pressions de la rentabilité financière exacerbée des entreprises et des banques, dans le cadre de la mondialisation capitaliste, contre l’emploi, les salaires, la formation, la demande salariale et publique. Bien au contraire, on propose, au nom de la libération des rigidités et des blocages, de redoubler de pression sur les salaires et les dépenses publiques et sociales, ainsi que de mise en concurrence entre les salariés et entre les capitaux pour la rentabilité financière, afin de mieux se placer dans les rivalités au plan national comme au plan international. En réalité, c'est la population tout entière de la France qu'il faudrait libérer de la domination exacerbée des marchés et des politiques d'orientation libérale, comme d'ailleurs les populations de l'Union européenne et du monde entier. Et cela avec des coopérations à tous les niveaux, d’autres conditions de financement des entreprises et des  services  publics,  des  pouvoirs  de  démocratie participative et d’intervention, du local au national et jusqu’au plan européen.

  • Exigence de la maturation de la révolution informationnelle et fuite en avant dans l'élitisme.

Le Rapport déclare vouloir favoriser « l’économie du savoir » et l’innovation.

Nous sommes effectivement en présence des immenses défis de la révolution informationnelle et de sa maturation. Toutefois, dans le Rapport, on a affaire à des propositions essentiellement élitistes, pour de prétendus pôles d’excellence, au lieu du développement massif et audacieux des capacités de chacun, en liaison avec les potentiels des nouvelles technologies.

D’ailleurs, la révolution informationnelle ne concerne pas seulement le « savoir », mais bien plus largement l’accès possible de chacun aux données et à l’information permettant de participer à la créativité sociale. Elle concerne aussi la monopolisation des informations et des résultats des recherches par des sociétés privées multinationales. D’où le besoin de transformations très profondes en relation avec de nouvelles coopérations et des partages des informations, des pouvoirs, des moyens et des rôles entre entreprises, avec les services publics et dans une démocratie participative pour la créativité de chacun.

Exigence d'un très nouveau modèle économique et social et fuite en avant de la prédominance des efforts de démantèlement des conquêtes de l'ancien modèle.

Le Rapport proclame vouloir émanciper la France du «modèle hérité de l’après-guerre». Celui-ci entraînerait conservatisme, privilèges et rentes bridant la croissance. Certes, il ne s’agit pas de s’accrocher au modèle d’après-guerre face aux conditions très nouvelles, mais pas non plus de régresser par rapport à ses conquêtes sociales et d’aller au contraire bien au-delà.

Nous sommes, en effet, face à la maturation de la crise du «capitalisme monopoliste d’Etat social», avec l'exaspération de la mondialisation capitaliste, de la croissance financière, de la privatisation et de la domination des firmes multinationales, poussant le chômage et la précarisation du travail, les à-coups des crises financières se répercutant sur la croissance réelle, les limitations de l’expansion nécessaire des services publics aux personnes (écoles, santé, etc.). Cependant, le Rapport propose de réduire encore les dépenses publiques, la fiscalité sur les entreprises, les prélèvements sociaux et de renforcer la flexibilité sur le marché du travail. Au contraire, il s’agirait de développer de nouveaux types de financement public avec des critères d’efficacité sociale, s'opposant aux gâchis éventuels, et de faire reculer l'étatisme avec des pouvoirs de contrôle de démocratie participative et avec des coopérations nouvelles. Il s’agirait aussi d’opposer l’expansion des prélèvements publics et sociaux, avec de nouvelles bases et de nouveaux buts d’efficacité sociale, au cancer de la prolifération des prélèvements financiers privés.

Exigence d'une mobilité de promotion dans la sécurité de rotation emploi/formation et fuite en avant dans la flexibilité de rejet social.

Le Rapport affirme : «alors que les protections d’hier incitaient au statu quo, les sécurités de demain doivent aider au mouvement».

En réalité, sans qu’il y ait eu hier statu quo, il est vrai que les changements rapides des technologies et des activités entraînent des exigences de mouvements et de transformations accrues. Mais, cela devrait s’effectuer avec des sécurités nouvelles effectives, avec des partages et des coopérations et non des rejets sociaux et des exclusions, pour une mobilité non de régression, mais de progrès des capacités et de la vie de chacune et de chacun. Ce qui nous est proposé, se réfère au modèle de ce qu’on a appelé la «flexisécurité» pour l’emploi. Dans cette dernière, prônée à l’échelle européenne, domine de façon écrasante la flexibilité de précarisation des emplois, de l’intérim, des temps partiels, des licenciements facilités  

et des passages multiples par le chômage, avec quelques petits soutiens sociaux et publics au nom de la sécurité. On la retrouve, dans le rapport, avec une proposition reprise au MEDEF de rupture amiable du contrat de travail. Tout au contraire, ce sont les rigidités des pressions sur les salaires et les emplois, sur la dépense sociale pour les prélèvements financiers, pour la rentabilité financière favorisée par le système bancaire qu’il s’agirait de mettre en cause. Et cela pour des mobilités dans la sécurité permettant un progrès de chacun, en allant, par des avancées concrètes convergentes, vers une sécurité d’emploi ou de formation. Il s'agirait d'une véritable sécurisation des parcours professionnels et d'une promotion très nouvelle de la formation continue.

Exigence d'un rapprochement transformateur à gauche et fuite en avant dans la conjonction des libéralismes de droite et de gauche.

Enfin, le Rapport prétend être «ni partisan, ni bipartisan» mais «non-partisan».

Et, les mesures qu’il préconise devraient, à la fois, être engagées toutes très vite, et aussi être poursuivies

«pendant plusieurs mandats quelles que soient les majorités» politiques. En réalité, à l’opposé de cette neutralité impossible en définitive, il vise un ralliement démagogique à l’orientation hyper-libérale de la présidence en cours et un soutien des thématiques déjà impulsées par Sarkozy. Sous prétexte de sortir du conservatisme pour s’inscrire dans la modernité, il représente un effort pour associer le social-libéralisme dit de gauche avec le libéralisme populiste de droite. Tout au contraire, ce qui importe, c’est de parvenir à une alternative radicale de cohérence audacieuse à gauche. Et cela en France, mais aussi au niveau de l'Union européenne et pour une nouvelle construction mondiale. Au contraire, il y a le tabou d'une autre construction européenne et mondiale, ainsi que le non-dit de la soumission aux orientations hyper libérales de la Commission européenne et du Traité simplifié européen.

II. Contradictions antagonistes en chaîne des propositions de « novation » prétendue. Démagogie des annonces de mesures sous domination hyper-libérale à l'opposé d'un progrès social massif.

On ne peut considérer ici, les plus de trois cents décisions proposées par le Rapport, et d'ailleurs cet article s'insère dans un dossier avec des analyses complémentaires. Nous allons évoquer une série limitée d’entre elles, parmi les plus marquantes, en les regroupant en huit ensembles, pour évoquer leurs contradictions, leurs lacunes et l'alternative.

  • Premier ensemble : prétendre relever la croissance durablement, en rivalisant sur la rentabilité financière, et sans mettre en cause les placements financiers et le crédit.

Le Rapport déclare que le monde est emporté par la plus formidable vague de croissance économique de l’histoire, malgré ses injustices.

On propose que la France «participe» pleinement à cette croissance mondiale en devenant le champion de la nouvelle croissance.

Effectivement, la France a une croissance de seulement 1,9 % en 2007 contre 2,7 pour la zone euro et les prévisions pour 2008 sont d'environ 1,6 % à l'opposé des 2,25 % qui étaient initialement prévus. Mais, audelà des injustices, on cache les oppositions les plus fondamentales de la croissance actuelle. Cela concerne non seulement le nombre grandissant des chômeurs dans le monde entier et la prolifération de la précarisation du travail, mais aussi l’explosion des accumulations financières, des immenses fortunes et des désordres spéculatifs. Cela se rapporte aussi à l’opposition entre pays émergents à très forte croissance, avec la salarisation des masses paysannes et des bas salaires, aux prélèvements sur eux, à travers les apports technologiques et de capitaux, sans parler des prélèvements sur l'ensemble des pays en voie de développement, de la part des pays les plus développés. Cela renvoie encore à l’hégémonie mondiale des Etats-Unis au plan économique, culturel et militaire, allant de pair avec leur croissance interne d’une importance moyenne et avec une croissance plus forte en règle générale, sauf en ce moment, à l'opposé d’une croissance plus faible dans l'Union européenne en moyenne depuis plusieurs années.

Cette faiblesse relative de la croissance dans l’Union Européenne touche tout particulièrement la France. Elle se relie notamment aux exportations de capitaux contre la croissance et l’emploi, avec des exceptions comme celle de l’Irlande, et plus fortes encore d'ailleurs à partir de la France que de l'Allemagne. Ainsi pour la France, si l'on prend les années 2004–2007, les investissements directs et de portefeuilles à l'étranger l'emportent fortement sur les entrées. En 2006, les sorties nettes d'investissements directs (sorties brutes moins entrées brutes) sont de 27,1 milliards d'euros et les sorties nettes d'investissements de portefeuille sont de 59,5 milliards d'euros (Rapport sur les Comptes de la Nation 2006, l'Economie française. Insee, 2007, page 155).

En 2007, la somme des deux sorties nettes serait de 72,8 milliards d'euros. Le déficit est compensé par l'endettement à l'étranger des banques résidentes, avec des prêts interbancaires.

On souffre également des pressions sur la demande salariale et les dépenses sociales ou sur les investissement réels et non financiers, comme en France. Ainsi en France en 2005, les entreprises non financières auraient dépensé 224 milliards d'euros en prélèvements financiers (intérêts + dividendes), 173 milliards d'euros en investissements financiers et 170 milliards d'euros en investissements productifs. Au contraire, les pays émergents bénéficient de très importantes importations de capitaux des firmes multinationales. Et les Etats-Unis drainent d’immenses placements de capitaux en actions et en bons du trésor.

Face à ces défis, les mesures proposées veulent aggraver les pressions sur les salaires et les dépenses publiques. Elles ne mettent pas en cause les orientations du système bancaire et financier français et européen favorisant les placements financiers.

Au contraire, des transformations très profondes de ces orientations pour un nouveau crédit seraient nécessaires, de l'action de nouveaux Fonds régionaux à celle d'un Pôle financier public national, jusqu'à une réorientation de la Banque centrale européenne ou encore une refondation du FMI. Ces transformations permettraient une sélectivité du crédit des banques, favorisant les investissements réels, avec des taux d’intérêts très abaissés, d’autant plus que sont programmés de l’emploi et de la formation, avec des coopérations nouvelles, du plan régional et national au plan européen et jusqu’au plan mondial. Et cela se relierait à l’avancée de nouveaux pouvoirs d’interventions des travailleurs dans les entreprises et les services publics avec des critères de gestion d’efficacité  sociale.

Au contraire, le rapport prétend, par exemple, favoriser l’essor des PME en France sans agir pour une autre sélectivité du crédit, ni pour la construction de nouveaux rapports avec les banques qui font tellement pression sur leur croissance. Sous le titre de

«priorité» à la croissance des PME. et des TPE, toute une démagogie est développée. Mais on ne touche pas au type de crédit des banques, on n'instaure pas non plus de mutualisations et des soutiens publics de leur modernisation et notamment de la recherche-développement. Au lieu d'un crédit à taux abaissés, on propose des Fonds d'investissement pour les fonds propres des PME, ce qui relèverait encore l'exigence de rentabilité financière. Au lieu de transformer profondément les rapports entre sous-traitants et donneurs d'ordres dominateurs, le rapport se contente d'évoquer l'amplification des «efforts d'entraînement» des grandes entreprises.

Le comble de la démagogie est constitué par la reprise de l'intitulé de notre proposition de Fonds régionaux, dits «de sécurisation des parcours professionnels», mais sans le contenu novateur de notre proposition de prise en charge publique des taux d'intérêt en faveur des crédits aux investissements dans la mesure où ils programment de l'emploi et de la formation. Ils se contenteraient de regrouper des fonds publics existants, avec un pilotage, non à partir des propositions alternatives des salariés des entreprises et de Conférences régionales démocratiques pour l'emploi et la formation, mais par des «Conseils de la mobilité professionnelle» et «la demande de l'activité professionnelle» publique et privée.

  • Deuxième ensemble : prétendre développer l'économie de la connaissance avec des mesures élitistes et restrictives.

Le Rapport déclare vouloir préparer la France à «l’économie du savoir» et tout particulièrement la jeunesse.

Mais, il propose des mesures élitistes et concurrentielles qui pourraient laisser de côté une grande partie de la population et de la jeunesse. En fait, il refuse de considérer le besoin d'une formation massive et de qualité pour toute la jeunesse et toute la population. Il s'oppose aussi à l'ambition d'une démocratie effectivement participative, jusqu’à permettre la participation de chacun à la créativité, dans les services publics, les entreprises, les localités, à partir des potentiels de la révolution technologique informationnelle et des ordinateurs. Il s’agirait notamment d'un nouveau service public et d’autres pouvoirs des usagers, et de leurs associations contre la domination  des  groupes  monopolistes,  au  lieu  des bavardages démagogiques sur l'utilisation nouvelle d'Internet.

Ainsi il est demandé de constituer dix grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche d’excellence. On ajoute que cela doit aller de pair avec des financements privés de ces pôles universitaires (jusqu’à 80%) et avec le but d’innovation des entreprises pour leur compétitivité, et avec des prises de risque concurrentielles. Cela rejoint d’ailleurs les déclarations de Nicolas Sarkozy sur les financements supplémentaires de la recherche surtout par le privé et leur soutien par les fonds publics ainsi que sur la mise en compétition des laboratoires universitaires ou encore la loi Pécresse. Le Rapport demande d'ailleurs de «rapprocher le fonctionnement» des établissements publics de recherche des pratiques du secteur privé et de leur imposer d'apporter «la preuve» de leur innovation par la valorisation.

En outre, à l'opposé du besoin de formation massive de qualité, on souligne que le manque de compétitivité s’explique principalement par un coût du travail trop élevé et l’on exige de diminuer sensiblement les dépenses publiques.

Troisième ensemble : prétendre baisser les coûts des entreprises en faisant pression sur les salaires et les cotisations sociales.

Les «coûts du travail» sont déclarés trop élevés.

En réalité, ces dernières années, la France serait en position approximativement médiane dans l'Union européenne, hors nouveaux pays de l'Est adhérents, pour le coût moyen du travail dans l'industrie et les services. Et en ce qui concerne les coûts ouvriers, elle serait encore plus bas que cette position médiane. Et dans les deux cas elle serait en dessous de l'Allemagne. D'ailleurs, les baisses de cotisations sociales patronales ont favorisé les emplois à bas salaires sur lesquels elles ont porté plus particulièrement.

On prétend réduire les coûts du travail, tout particulièrement en transférant une partie des cotisations sociales sur la contribution sociale généralisée (CSG) et sur la TVA, en reprenant en fait la TVA sociale. Mais cette fiscalisation accrue de la protection sociale tend à faire peser davantage les prélèvements sociaux sur les salariés, les retraités, la masse de la population, en exonérant les entreprises au bénéfice des dividendes et de tous les prélèvements financiers et spéculatifs. S’il faut sans doute modifier l’assiette des prélèvements publics et sociaux afin de les rendre plus efficaces, c’est dans un tout autre sens. Cela peut viser, d’une part, des prélèvements sur les profits et produits financiers des entreprises. Cela peut concerner, d’autre part, une base «salaire/valeur ajoutée» des prélèvements sociaux sur les entreprises. On ferait payer davantage ceux qui ont un rapport «salaire/valeur ajoutée» relativement plus bas dans leur branche. Cela favoriserait l’emploi et l’élévation des taux de salaire, contribuant à renforcer la croissance réelle, à l’opposé de la croissance financière, et le développement de la base des prélèvements sociaux. Au contraire, on prétend favoriser l'institutionnalisation de Fonds de pension et l'épargne financière pour les retraites. En outre, on veut favoriser le travail le plus tard possible, en supprimant notamment toutes les interdictions de cumul emploiretraite.

Enfin on veut favoriser l'immigration de travailleurs étrangers, mais surtout pour certains secteurs et pour les travailleurs qualifiés.

  • Quatrième ensemble : une prétendue nouvelle croissance sans l'avancée de critères de gestion d'efficacité sociale, de nouveaux crédits et de nouveaux pouvoirs pour les entreprises.

A propos de la «nouvelle croissance», on évoque la conciliation de «l’éthique» et de la performance pour la rentabilité financière, ou encore du court terme et du long terme. Ce sont autant de vœux pieux démagogiques car on ne met pas en cause les critères de gestions pour une rentabilité financière très élevée des banques et des entreprises, à l’opposé de leurs responsabilités sociale, écologique, locale, nationale et européenne.

Tout au contraire, par le crédit, la fiscalité, les pouvoirs des salariés et des populations, la stimulation des services publics, on pourrait inciter à de nouveaux critères d’efficacité sociale des entreprises. Il s’agirait d’économiser les accumulations financières et matérielles par rapport à la valeur ajoutée produite, en développant les capacités des travailleurs et des populations, avec la réduction du temps de travail et la formation, en liaison avec une pleine utilisation des potentiels de la recherche ainsi qu’avec les interventions des travailleurs dans les gestions. D'ailleurs, la mise en cause de la domination des gestions par les critères de rentabilité financière est nécessaire non seulement pour les objectifs sociaux, mais aussi pour les objectifs écologiques d'une autre croissance efficace et durable.

La question d'une grande politique industrielle et des services associés, en liaison avec les recherches, n'est pas traitée, pas plus que celle des délocalisations directes et indirectes et de l'accélération des destructions d'emplois industriels. Si on prétend favoriser les «révolutions à ne pas manquer» dans les secteurs dits «porteurs», cela n'est pas accompagné de l'impulsion publique d'un autre financement et d'une autre gestion pour tout le tissu industriel et de services. En ce qui concerne les secteurs «porteurs» on parle seulement de certaines «gammes de produits», et on évoque aussi bien le numérique que la finance, la santé que les services privés à la personne.

Sous le titre «moderniser le dialogue social», le Rapport veut faire reculer la loi relativement à l'accord contractuel. Il cherche à intégrer davantage les syndicats aux politiques étatiques, notamment par des participations contractuelles et rémunérées à des missions de service public et leurs contrôles étatiques.

  • Cinquième ensemble : prétendre sécuriser l'emploi et la formation tout en favorisant les licenciements et sans toucher au financement.

Une mesure de grande démagogie, d’ailleurs approuvée par Nicolas Sarkozy comme par Ségolène Royal, propose de considérer la formation des chômeurs comme une activité nécessitant rémunération sous forme d’un contrat dit «d’évolution». Ainsi, d’un côté, on prétend reprendre, d’une certaine façon, notre proposition d’avancer vers une sécurité d’emploi ou de formation, avec une continuité de revenus et une mobilité de promotion dans la sécurité, en parlant «d'acteurs mobiles et sécurisés».

Cependant, d’un autre côté, on ne voit pas quels financements et quels pouvoirs instituer pour cela. On ne parle pas de contrôle de la quantité et de la qualité des formations, alors que la recherche d'emploi ferait partie de l'activité exigée du contrat d'évolution. Et surtout, on ajoute la facilitation des licenciements avec la proposition de «rupture amiable» des contrats de travail, en conformité avec la demande du MEDEF et avec la pression du Président de la République sur les négociations sur le contrat de travail sous prétexte de favoriser l'embauche. Face à cette facilitation effective des licenciements tendant à renforcer le chômage et la précarité, on aurait des miettes pour la formation, trop souvent inégale, trop courte, voire «bidon», culpabilisante, adaptatrice de façon étroite ou même déqualifiante pour des emplois au-dessous des capacités acquises. Quant à l'objectif du plein emploi, qui est réaffirmé, il est bien précisé que cela concerne 5 % de chômeurs dans la population active, c'est-à-dire plus d'un million de chômeurs.

  • Sixième ensemble : réduire les dépenses publiques et les évaluer de façon technocratique, au lieu de les développer avec des critères d'efficience sociétale et de nouveaux pouvoirs d'intervention des populations.

Une mesure transversale, tout à fait fondamentale, demande de réduire fortement les dépenses publiques.

Il s’agit de diminuer, dès 2008, la part des dépenses publiques dans le PIB. Cette réduction devrait atteindre 1% du PIB à partir de 2009, soit vingt milliards d’euros de réduction par rapport à la tendance, par an et pendant cinq ans. Cette réduction, qui veut se soumettre aux orientations actuelles de l'Union européenne, du Pacte de stabilité et aux pressions de la Commission, et qui se relient aux réductions d'impôts pour les riches et pour les entreprises, s’oppose à une expansion qui serait au contraire nécessaire, en liaison avec des transformations qualitatives profondes pour l’efficience sociétale des dépenses. D’ailleurs, un rapport du Conseil d’Analyse Economique sur «les leviers de la croissance française» de 2007 qui, comme le Rapport Attali vise à gagner un point de croissance, admet la nécessité de dépenses publiques supérieures. Il reconnaît que même un endettement accru serait récupéré par la nouvelle croissance qu’il pourrait par la suite impulser.

Bien plus, cette réduction des dépenses publiques va de pair avec la proposition de création d’«agences» pour les principaux services publics et la proposition d’évaluation et d'audit par des organes «indépendants», c’est-à-dire, en fait, indépendants des contrôles politiques et démocratiques, mais technocratiques. Et cela pour tous les services publics : école, université, hôpital, administration. On tend à favoriser notamment l’entrée des entreprises privées dans les services publics avec des missions qui pourraient leur être confiées par  des agences. Cela pourrait entraîner, avec des considérations de rentabilité financière, des pressions contre la qualité des services, d‘éventuels coûts à la charge des usagers, de graves différenciations de traitement entre les usagersclients. Sont concernées, tout particulièrement, les pressions contre les dépenses de santé.

Enfin, le Rapport veut compenser la création de tout nouvel organisme public par des réductions d'effectifs proportionnels et il décide le principe d'un non remplacement de deux fonctionnaires sur trois partant à la retraite.

Au contraire il faudrait non seulement augmenter la dépense publique sociale et les moyens des services publics, ne pas les ouvrir au privé, mais les socialiser bien davantage contre les insuffisances et les gâchis de l’étatisme bureaucratique. Cela pourrait concerner des pouvoirs nouveaux des usagers en coopération avec tous les personnels, ainsi que des critères d'efficience sociétale élaborés démocratiquement.

  • Septième ensemble : un élitisme technocratique des aménagements du territoire et des politiques locales, à l'opposé du développement de toute la population et d'une démocratie participative et d'intervention.

Le rapport, au lieu de démocratiser la décentralisation et les concertations du local au national avec l’avancée d’une véritable démocratie participative et d'intervention, demande de supprimer le département en prétendant s’émanciper des «gâchis» de cet échelon politique et administratif.

Il est proposé, toujours dans le cadre d’une orientation élitiste et technocratique, et dans l'esprit des pôles de compétitivité, de mettre en chantier dix «Ecopolis» urbaines, villes ou quartiers, avec une intensification des technologies de communication et des technologies vertes. Dix pour toute la France, mais quoi pour le reste ? D’ailleurs, à côté d’affirmations sur le besoin de qualité du logement social, il est proposé de faire des économies sur l’Aide personnelle au logement pour financer les Ecopolis. Aussi, l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) aurait dû protester contre l’idée d’utiliser des fonds propres des organismes HLM afin de financer les dix Ecopolis d’excellence. Quant à Paris, la grande question serait de développer son rôle de place financière internationale, au lieu de mettre en avant son rôle de place culturelle et de recherche en liaison avec de nouvelles productions. Bien sûr, il n'est pas question de Conférences régionales démocratiques pour l'emploi et la formation, à partir des atouts des différentes régions, pour des objectifs chiffrés et contraignants de développement, que nous avons, pour notre part, proposées.

  • Huitième ensemble : une démagogie populiste hyper concurrentielle tout azimut.

Enfin, l’orientation hyperconcurrentielle et démagogique du Rapport s’exprime encore quand il s’en prend, pêle-mêle et de façon contradictoire, dans une série de mesures, non seulement à la grande distribution, pour laquelle des mesures effectivement efficaces seraient souhaitables, mais à tous les commerçants, non seulement aux notaires mais aux avoués, aux taxis, aux coiffeurs,aux pharmaciens (avec la vente de médicaments hors des pharmacies géres par des diplômés avec leurs capacités de service),  etc.

 

III . Pour des alternatives au Rapport : une cohérence audacieuse de contre-propositions à gauche avec une actualisation de nos propositions transformatrices.

  • Le défi de la conjonction des libéralismes de droite et de gauche pour une audace rigoureuse et rassembleuse à gauche.

Nicolas Sarkozy a affirmé son accord de principe sur presque tout, avec quelques exceptions comme la suppression  des  départements,  tandis  que  des craintes s'expriment du côté de l'UMP et qu'il a dû reculer par exemple sur les taxis. Ségolène Royal, également sollicitée par Attali sur le Rapport commandé par le Président de la République, s’est dite très intéressée.

Nicolas Sarkozy veut récupérer les forces du sociallibéralisme pour justifier les mesures de sa politique, en s’appuyant non seulement sur les ministres débauchés, mais sur différents rapports qu’il commande, comme le Rapport Attali. Cela concerne encore la commande récente aux prix Nobel d’économie Sen et Stiglitz, hommes dits de gauche mais pour qui le marché est indépassable et doit seulement être accompagné de corrections sociales. Mais aussi la question est posée d'une alternance fallacieuse sociale-libérale, avec notamment le rapprochement avec Bayrou.

Cependant, à l'opposé de Ségolène Royal, d’autres prises de position du côté du PS se déclarent critiques. Mais le PS reste encore largement sur des options sociales-libérales, comme la baisse des cotisations sociales, pour faire baisser le coût salarial, voire la fiscalisation des cotisations sociales (pesant donc sur les salariés et exonérant les entreprises). Une critique comme celle de la dite «contre-expertis» réalisée par «la Forge», groupe de réflexion se déclarant de gauche, en se démarquant de Ségolène Royal, pose la question de rapprochements possibles à gauche. Toutefois, cette critique ne traite pas des différentes propositions précises de façon systématique, mais essentiellement des orientations générales. Elle déclare que le mal français peut se résumer dans un problème de répartition des revenus (comme entre profits et salaires) sans considérer la relation fondamentale de la répartition avec les conditions de la production. Ainsi, elle ne traite pas la question du crédit, des banques et de la Banque Centrale Européenne, ni celle des critères de gestion dans l’entreprise et des pouvoirs dans les gestions, ou encore une autre orientation des services publics.

Au-delà des critiques plus ou moins limitées du Rapport, il importe d’opposer une véritable cohérence audacieuse, fédérant une série de contre-propositions sur les différents points, en concernant les objectifs sociaux, les moyens financiers et leurs critères, les pouvoirs. Il s’agit de rompre, mais de façon constructive par des propositions précises, partant des conditions nouvelles de la révolution informationnelle et de la mondialisation capitaliste, non seulement avec les propositions de l’ultra-libéralisme populiste mais aussi avec le social-libéralisme qui le conforte.

A l’opposé des divisions à gauche et dans le monde salarial, poussées par des efforts d’intégrations populistes à l’ultra-libéralisme et à ses valeurs, l’entreprise d’enveloppement du Président de la République pourrait être retournée contre lui, en impliquant de s’écarter du social-libéralisme pour s’opposer à sa politique de révolution conservatrice et en favorisant ainsi de nouveaux rassemblements à gauche. Mais cela suppose que l’on privilégie les contrepropositions hardies au lieu de tendre à se réduire aux critiques.

Cela exigerait que l’on ouvre le débat sur de grands chantiers novateurs, sans céder aux pressions des idées diffusées par les médias, en liaison avec les luttes dans les différents domaines. Il s'agit de ne pas reculer sur l'audace et la cohérence de propositions pour des ruptures effectives de progrès, soit sous prétexte de rassemblements et de limitations

«au possible», soit sous prétexte d'anticapitalisme avec une démagogie ne traitant pas les problèmes d'une construction concrète précise. L'audace et la rigueur des propositions peuvent être inspirées tout particulièrement par les nouvelles théorisations marxistes dans le PCF, à partir de la révolution informationnelle : comme sur la sécurisation de l’emploi et de la formation, de nouvelles bases de la sécurité sociale, de la santé aux retraites, le crédit et les banques, les services publics, l’Union européenne, les avancées vers le dépassement des marchés et des délégations représentatives, pour aller vers une autre civilisation en France, dans l’Union européenne et dans le monde.

Les menaces grandissantes de la croissante financière spéculative, depuis la crise des crédits immobiliers, en raison de l’exacerbation de la rentabilité financière des banques et des entreprises multinationales commencent à peser sur les perspectives de la croissance en France comme dans le monde. Aussi, elles pourraient rendre plus crédibles des propositions alternatives audacieuses de nos jours.

  • Questions sur la maturation actuelle de la crise systémique et de ses défis.

Il y aurait une maturation actuelle de la crise systémique. Ce qui ne veut pas dire que le nouvel éclatement de la suraccumulation financière et réelle, sans doute vers 2010-2012, va nécessairement entraîner le changement profond. Mais la crise conjoncturelle sera probablement plus ample et surtout qualitativement différente, en commençant à ouvrir les possibilités d'un changement systémique.

Il faudrait évoquer notamment la maturation de la révolution informationnelle et les antagonismes du freinage de son épanouissement. C'est, dans les pays développés, la conjonction de l'explosion des services financiers avec des recherches-développements et des formations élitistes. Cette conjonction vise à prendre la tête de chaînes de valeurs, à partir de groupes financiers et industriels multinationaux, avec leur irresponsabilité sociale, nationale, et aussi par rapport au développement mondial des populations. Alors que l'insuffisance de population bien qualifiée s'exacerbe dans le monde, on recourt à la mise en concurrence internationale contre les hausses de salaires, au lieu d'une énorme expansion de la formation devenue urgente partout.

Il faudrait évoquer aussi les pressions sur les coûts et les prix des matières premières, énergétiques et alimentaires, du fait, sans doute de la révolution technologique insuffisante dans ces domaines par rapport aux autres avancées. Cela fait partie d'antagonismes très nouveaux avec l'inflation, les défis démographiques ou écologiques et le besoin de l'épanouissement de la révolution technologique, comme on le voit pour les automobiles par exemple, en s'émancipant de la domination de la rentabilité financière. Il y a aussi la maturation de la révolution monétaire. Cela exacerbe la croissance financière avec l'hyper-rentabilité financière et avec la montée des oppositions entre prélèvements financiers et prélèvements publics et sociaux qui sont exaspérées. La révolution monétaire, de décrochage de la monnaie par rapport à l'or, s'exprime notamment dans le fait que, malgré le progrès formidable de la productivité, les prix ne baissent pas. Ce qui veut dire que les facteurs de production vont recevoir moins, avec leur économie par la productivité, relativement à la production gonflée en prix, avec une amplification formidable du surplus en monnaie au-delà des coûts des facteurs. Ce surplus est l'objet de tensions entre disponibilités et prélèvements financiers ou disponibilités et prélèvements publics et sociaux qui sont devenus extrêmement importants, quoique réprimés. Ainsi la dépense publique en France dépasse la moitié du PIB.

Il faudrait articuler tout cela à la montée des antagonismes géo-économiques, débouchant sur la question du rapprochement possible entre une Union européenne transformée et les pays émergents, contre l'hégémonisme des États-Unis et de l'hyper libéralisme, avec la possibilité d'initiatives françaises.

Il faudrait également voir les oppositions France Allemagne qui pèsent sur l'orientation de l'Union européenne. Cela concerne la question du déficit commercial français à l'opposé de l'excédent allemand qui renvoie à une série d’éléments explicatifs comme, pour l'Allemagne, la supériorité du maillage industriel et des PME notamment pour les équipements, du rapport des banques aux PME, de la formation professionnelle, etc.

Mais, même en Allemagne, la question se pose maintenant du freinage de la croissance et des exigences sociales  nouvelles.

Ces exigences se manifestent aussi dans les autres pays européens comme en Italie, où la représentante de la «gauche démocratique» Titi di Salvo critique «le modèle moins de taxes, moins de droits, plus de croissance».

Les risques de l'inflation des dollars sont plus grands que jamais. L'énormité de l'endettement américain ainsi que du stock de dollars et de bons du trésor des États-Unis, notamment dans les banques centrales asiatiques, contribue au début du reflux des dollars des réserves officielles et à la montée de Fonds souverains utilisant les réserves en dollars pour racheter des parts d'entreprises multinationales. Cependant montent également les risques de contre-offensive des États-Unis (militaire, idéologique, économique,...). Et Nicolas Sarkozy comme Jacques Attali poussent précisément à la récupération idéologique en faveur du modèle de croissance des  États-Unis.

Mais aussi,  pour  la  Chine et les pays émergents, monte l'ambivalence des défis : vont-ils continuer et accélérer dans le même sens d'intégration à la mondialisation non seulement productive mais financière ? Ou vont-ils, avec les exigences sociales et nationales, commencer à changer d'orientation par rapport à la domination des capitaux financiers ?

  • La question de l'actualisation de nos propositions alternatives, rigoureuses et rassembleuses : Je veux insister sur un nouveau coeur de nos propositions.  Cela  concerne  la  socialisation  démocratique radicale des services publics et leur expansion, leurs coopérations, du maillage local au national, au niveau européen et au mondial.

Il s'agirait d'une autre étape de progression de nos propositions, comme nous avons avancé avec l'étape des critères de gestion des entreprises, puis face à leur insuffisance, sur la sécurité d'emploi ou de formation, qui les développe et les tire par les buts sociaux. Il ne s'agit pas du tout de faire moins sur la sécurité d'emploi ou de formation, mais de faire mieux et en relation avec tous les buts de la vie sociale.

Déjà, pour la sécurité d'emploi ou de formation, nous avions le triangle : objectifs sociaux, financement, pouvoirs. Nous avions l'articulation avec la sécurisation de tous les moments de la vie sociale jusqu'à la retraite.

Il y avait également l'articulation avec le besoin d'une nouvelle politique industrielle, de services et de recherche. Et il y avait surtout l'idée d'un nouveau service public participatif de sécurisation de l'emploi et de la formation. Le problème, c'est maintenant de développer la question de la transformation démocratique et de l'extension des services publics, traversant toute la société.

On peut considérer cinq points :

  • la montée de principes alternatifs à la conjonction des libéralismes de droite et de gauche : coopération et non concurrence, progression des dépenses publiques et non réduction, suivi de chacune et chacun et non élitisme, recul de la rentabilité financière et critères alternatifs, pouvoirs de participation.
  • la coopération créatrice des usagers avec tous les personnels, en liaison avec leur formation, leurs associations. Ce serait une vraie révolution. Par exemple, le malade, au lieu d'être un objet, pourrait participer autant à son traitement que les médecins, et tous les personnels seraient valorisés;l'extension du périmètre : l’école, la santé, mais aussi l'eau ou la petite enfance, les personnes âgées, la sécurisation de l'emploi et de la formation, le logement  social,  les  exigences  écologiques,  voire  un service public d'impulsion des PME et de leurs mutualisations, sans oublier la création monétaire et le crédit ;
  • l'insertion dans des réseaux de coopération : entre les différents services publics, avec la démocratie participative locale, avec les entreprises, les associations, la vie des populations hors des services publics ;
  • les niveaux du local au mondial : du maillage local en France à l'expansion nationale et européenne, avec notamment le problème de la contradiction entre l'article 86 du Traité simplifié sur la concurrence pour les services économiques d'intérêt général et l'article 14 (sur la responsabilité des Etats), ou encore la question du protocole numéro 9 du Traité et d'une éventuelle loi-cadre pour protéger les «services d'intérêt général». Cela va jusqu'aux services et biens communs de toute l'humanité, énorme question pour une autre construction mondiale. Cela renvoie à la responsabilité de la France par rapport à une autre construction de l'Union européenne et de cette dernière par rapport à une autre construction mondiale. Cela se rapporte à un renversement idéologique fondamental sur la transformation révolutionnaire, à partir des fins sociales et non pas avec un fétichisme des moyens et de la production.
  •  Cela s'articule à de nouveaux pouvoirs de participation et d'intervention de tous, ainsi qu'à un nouvel humanisme de partage des rôles, de coopérations pour la créativité et la créativité de chacun, à l'opposé de la concurrence et de l'élitisme, pour une autre civilisation de toute l'humanité.

 

1) D’après l’introduction de Paul Boccara à la Commission économique du PCF

du 21 février 2008 sur le Rapport Attali remis le 23 janvier 2008 au Président de la République.

De la Constitution Giscard auTraité Sarkozy

Par Moussaoui Rosa , le 01 December 2007

De la Constitution Giscard auTraité Sarkozy

«Les outils sont exactement les mêmes, seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils». Valéry Giscard d’Estaing, père du projet de Constitution  européenne,  ne s'y est pas trompé, qui s'est réjoui à maintes reprises de la gémellité entre le texte rejeté en 2005 et le Traité de Lisbonne qui le recycle. Présenté comme le fruit d'un «compromis», d'une «renégociation», voire,  selon Nicolas Sarkozy, d'une «prise en compte du non», ce nouveau texte fondamental n'est pas sorti du chapeau du président français.

Il signe en réalité l'aboutissement d'une opération de résurrection discrète et méthodique,  enclenchée par les institutions européennes, les gouvernements et les promoteurs  du projet de Constitution dès que furent  connus les verdicts  des urnes françaises, puis néerlandaises. Avec un objectif  clair  : sauver la charpente  ultralibérale, dérégulatrice  et atlantiste  d'une Union européenne dévouée à la Finance, en évitant à tout prix le retour devant des peuples exaspérés par les conséquences désastreuses de ces choix pour l'emploi, la croissance, les droits sociaux, les services publics. Mais aussi aller toujours plus loin dans les transferts de souveraineté sur les choix fondamentaux, en affermissant la primauté du droit  de l'Union, dont la définition  est hypercentralisée, concentrée entre les mains de la Commission et de la Cour de Justice, sur celui des Etats membres. Seule différence : le traité constitutionnel européen (TCE) refondait en un seul les textes européens fondamentaux, qui prenaient  valeur de Constitution,  le Traité de Lisbonne se présente sous la forme, délibérément obscure pour  les citoyens,  d'un puzzle d'amendements au Traité  sur l'Union (TUE) européenne et au Traité établissant la communauté européenne, qui devient le Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE).

Toujours les pleins pouvoirs à la Banque centrale européenne

Sitôt la page de l'élection  présidentielle  française tournée, les assauts de Nicolas Sarkozy contre l'euro fort et l'indépendance  de la Banque centrale européenne se sont faits... plus discrets. Son porte parole rappelait  opportunément, en juillet  dernier,  que le président français «a fait partie de la toute petite poignée de parlementaires RPR qui, en 1991, ont voté pour la ratification  du traité de Maastricht, qui prévoyait l’indépendance de la Banque  centrale européenne». «La France n’a jamais demandé d’en finir  avec l’indépendance de la Banque centrale européenne», ajoutaitil. Une demande qu'elle n'a d'ailleurs jamais exprimée dans la négociation qui a donné corps au traité modificatif. Celui-ci laisse intacts les pleins pouvoirs monétaires dont  jouit l'institution de Francfort.  Pièce maîtresse de l'Europe libérale, elle reste gardienne de

la seule «stabilité des prix». Une mission désormais inscrite dans les objectifs de l'Union, qui justifie les appels répétés de la BCE à la « modération salariale ». Ni la croissance, ni l'emploi ne figurent, en revanche, parmi  les missions d'une institution dont l'objectif unique reste la lutte  contre  l’inflation, le maintien d'un euro fort et l'appui des marchés financiers. La BCE conserve intacte son indépendance vis à vis des Etats, des organes et organismes de l'Union et le protocole relatif à ses statuts et à ses règles de fonctionnement,  annexé au projet  de Constitution,  est intégralement repris dans le traité de Lisbonne. «Les changements introduits par la CIG dans les traités existants seront limités et contiendront toutes les innovations prévues en 2004 (dans  le projet de constitution, NDLR)», s'est réjoui Jean-Claude Trichet dans un avis rendu le 5 juillet dernier.

L'alternative : Remettre l'argent au service de l'emploi, de la formation, de la recherche

Les missions de la BCE doivent être réorientées, ses statuts redéfinis, avec un contrôle effectif des parlements européen et nationaux. L'emploi,  la formation, la recherche, le développement  doivent  être inscrits dans les missions fondamentales de la BCE. A l'inverse de l'injection massive de liquidités pour soutenir  les marchés financiers,  elle devrait,  de concert avec des fonds régionaux et nationaux pour l'emploi, la formation  et le développement, créer la monnaie pour soutenir les crédits bancaires nécessaires à la réalisation d’objectifs chiffrés d’emplois et de formations efficaces dans chaque région, chaque pays, comme à l’échelle de toute l’Union européenne. Il s'agirait, par ce nouveau crédit, permettre  le refinancement des crédits bancaires à long terme pour les entreprises,  avec des taux d’intérêts  d’autant plus abaissés que les investissements concernés seraient créateurs d'emplois et de formations. Cette réorientation serait une contribution majeure à la mise en place d'un système de «Sécurité d’emploi ou de formation». Elle pourrait également se traduire par un soutien, au moyen d'une création  monétaire nouvelle, à la relance concertée des dépenses publiques  de développement  dans chaque pays

La loi de la concurrence toujours au fondement de l'Union

Le 23 juin 2007, au sortir du Conseil européen de Bruxelles, N. Sarkozy se vantait  d’avoir  obtenu de haute lutte l’abandon, dans le projet de traité de la référence au «marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée» (article 3 du TCE). Un argument repris en boucle, depuis, par les défenseurs du traité de Lisbonne, à droite comme à gauche. En réalité, ce dogme reste une pierre  angulaire de l'Union européenne. La référence à la concurrence  libre  et non faussée n'a pas été retirée. Elle a simplement  fait l'objet  d'un «copier-coller» qui la fait réapparaître dans un «protocole» interprétant l’article  3 du traité sur l'Union européenne et précisant que l’UE, le cas échéant, doit  tout  mettre  en oeuvre pour  faire respecter ce dogme. L’établissement  des règles de concurrence reste le domaine réservé de la Commission européenne, qui dispose toujours, avec la Cour de Justice, d'un pouvoir  de sanction. Quant à l'harmonisation fiscale, elle est rendue impossible par le maintien, dans ce domaine, de la règle de l’unanimité.

Les services publics toujours en ligne de mire

Selon la nouvelle rédaction de l'article 14 du Traité sur le fonctionnement de l'UE, il incombe aux Etats de créer les conditions  économiques et financières permettant aux services d'intérêt économique général d’assurer leur mission, alors que «le Parlement  européen  et  le  Conseil  (…) établissent ces  principes  et fixent ces conditions».  Une disposition  contredite  par l'article  86 qui soumet les SIEG à la concurrence, sous la houlette de la Commission européenne. Les aides d’État à des entreprises de service public sont considérées comme incompatibles  avec le marché intérieur. Les différends continueront d'être tranchés par la Cour de justice, dont la jurisprudence assimile quasi-systématiquement  de telles aides à des entraves à la «libre concurrence» et au «bon» fonctionnement du marché intérieur. Concernant les transports, les interconnexions des réseaux sont explicitement  conditionnées,  comme dans le TCE, à l’ouverture à la concurrence. Comme dans le TCE, les interdits imposés aux Etats membres en la matière poussent donc, de fait, à la libéralisation des services marchands. Quand aux services non marchands, (SIG), la confusion  entretenue sur la définition  de leur périmètre  ne les met pas à l'abri de ce mouvement de libéralisation. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, a récemment jugé que l'idée d'une loi-cadre clarifiant le champ des SIG était «unanimement considérée comme erronée».  Un aveu qui réduit à néant la portée du protocole  n°9, présenté comme la matrice d'une future loi-cadre pour protéger les services publics.

L'alternative : le choix des biens communs et de la coopération

L’idée de service public  devrait  cesser d'être une simple «exception au marché», pour être incarnée par des institutions modernes, coopérantes offrant, au contraire, des points d'appui pour dépasser sa domination.  Adossés à des institutions publiques  et sociales, les services non marchands (hôpitaux, écoles..) doivent être soustraits aux pressions de la marchandisation,  débarrassés des inégalités effectives, pour  fonctionner dans un but d’efficacité sociale. Cela implique  la pleine participation des salariés et des usagers à la définition,  la réalisation et l’évaluation  de leurs missions. Les ser vices marchands (électricité, gaz, transports...)  seraient adossés à des entreprises publiques, assumant une mission nouvelle d’intérêt général, de sécurisation et de promotion de l’emploi  et de la formation.  Leur gestion, démocratisée, les conduirait à coopérer pour assurer une responsabilité sociale, territoriale et environnementale  avec de nouveaux critères de décision et l’intervention des salariés et des usagers jusque dans leurs choix stratégiques. Un nouveau type de financement  leur permettrait de s’émanciper du marché financier grâce à l’accès à un crédit bancaire privilégié et sélectif épaulant leur mission de sécurisation de l’emploi.

Le pacte de stabilité et la rigueur budgétaire pour règle

Comme le projet de constitution, le projet de traité sur le fonctionnement de l’Union reprend intégralement le carcan budgétaire du pacte de stabilité, ôtant ainsi aux États, avec le consentement de leurs représentants, toute marge de manoeuvre pour conduire des politiques de croissance et d’investissements publics. Conséquence d’un tel carcan : la compression continue des dépenses publiques et sociales et, par là, la dégradation des services publics, des systèmes de santé et d’éducation, les suppressions de postes dans la fonction  publique,  etc. Adopté au sommet de Dublin en décembre 1996, entré en vigueur en 1997, ce pacte de stabilité impose aux États de ne pas dépasser la limite de 3 % du PIB de déficit budgétaire, avec un objectif  final d’équilibre de leurs finances publiques. La batterie de sanctions prévues à l’endroit de ceux qui ne respecteraient pas cette discipline est intégralement reprise, de même que les sévères critères de convergence en matière budgétaire, d’inflation, de fluctuation des taux de changes auxquels sont soumis les candidats  à l’entrée  dans la zone euro. Qualifiée de «stupide» en 2002 par le président de la Commission européenne, Romano Prodi, critiquée par de nombreuses voix, l’orthodoxie de ce pacte reste, ici, intacte. De nombreuses voix s’élèvent, pourtant,  depuis plusieurs années, pour demander que soit desserré cet étau, notamment par la soustraction  des dépenses indispensables au développement comme la formation,  la santé, l’éducation,  la recherche, du calcul des déficits.

L'alternative : exclure les dépenses de développement du calcul des déficits

Le carcan budgétaire du Pacte de stabilité doit être mis en cause, avec l'exclusion des dépenses d’infrastructures, de développement, de recherche, d’éducation, de santé et de culture,  ainsi que celles qui concernent  l’emploi,  de l’évaluation  des déficits publics à maîtriser. Quant aux fonds publics versés aux entreprises, ils doivent faire l'objet d'un contrôle, de remboursements si leur efficacité  sur l'emploi n'est pas avérée et d’une réorientation

Liberté totale de circulation pour les capitaux

«Toutes  les restrictions  aux  mouvements de capitaux sont interdites.» C'est ce que stipule, on ne peut plus clairement,  l’article 56 du traité  sur le fonctionnement de l’UE, reprenant mot pour mot ce principe qui figurait dans le TCE. En la matière, toute mesure de sauvegarde prise par un État membre est assimilée à une dérogation étroitement  contrôlée. Toute limitation, (qualifiée de «recul») des mouvements de capitaux, devra être soumise à l'unanimité  du Conseil.

Objectif  : empêcher toute atteinte  au flux de capitaux sous forme de taxe ou sous forme de mesures visant à empêcher le dumping social. Ce principe, qui s'applique  aux échanges entre Etats membres comme à ceux qui impliquent des pays tiers, rend illusoire la promesse de Nicolas Sarkozy de mettre un frein aux «fonds  spéculatifs  qui  dépècent les  entreprises» (12 janvier 2008). Enfin, comme dans le TCE, la liberté  d’établissement  et l’interdiction de toute restriction à la libre prestation  de services sur l’ensemble du territoire de l’Union ouvre la voie à une mise en concurrence accrue entre les salariés, illustrée par la directive services dite «Bolkestein».

L’UE, chantre du libre-échange et moteur de la mondialisation libérale

Inscrit désormais dès le préambule du projet de traité sur le fonctionnement de l’UE, l’horizon indépassable du libre-échange et de la levée, à l’échelle mondiale, de toutes les barrières  au commerce libre  restent aux fondements de l’actuelle construction européenne et fixent la ligne de conduite de l’UE à l’OMC et dans les négociations  commerciales  bilatérales.  Cet objectif, précisé à l’article 188 B du traité sur le fonctionnement de l'UE, est repris mot à mot de l’article III-314 du projet  de traité  constitutionnel : «l'Union contribue,  dans  l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers  directs, ainsi  qu'à la réduction  des barrières douanières et autres.» L’expression  «et autres» suggère que les barrières tarifaires ne sont pas les seules en cause. Peuvent être visées, elles aussi, par cette formulation, les restrictions  aux échanges motivées par le respect des normes environnementales,  sanitaires, sociales ou de protection des consommateurs.  La politique commerciale commune reste, comme dans le projet de constitution, un domaine de compétence exclusive de l’Union. Autant de dispositions qui rendent parfaitement illusoires  les promesses de Nicolas Sarkozy d'imposer une «protection communautaire» ou encore d'instaurer un «code de conduite» pour encadrer les fonds spéculatifs

L'alternative : Une transformation radicale de l'OMC et des institutions financières internationales.

L’Union européenne peut être active pour la promotion d’une mondialisation de co-développement. Une telle perspective implique une transformation radicale de l’OMC et, surtout,  du FMI et de la Banque mondiale, en vue de créer une monnaie commune mondiale  de coopération.  Conçue à partir d’une réforme très profonde des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI, cette monnaie nouvelle permettrait de faire reculer le rôle hégémonique du dollar  et de partager, à l’échelle du monde entier, le pouvoir  de création monétaire pour des crédits  contribuant à sécuriser l’emploi  et la formation  de chaque être humain. La santé, la culture,  l’eau, l’énergie, l'environnement, etc. deviendraient des biens communs à toute l’humanité, gérés en coopération.

Un parti pris atlantiste.

Comme le TCE, le traité  sur l’Union  européenne modifié stipule que la politique européenne de sécurité  et de défense «respecte les obligations» et est «compatible» avec le cadre de l’OTAN, qui demeure le «fondement» et «l’instance» de la défense des États qui en sont membres (protocole nº 4 rattaché à l’article 27). Les dispositions  invitant  les Etats membres à accroître  leurs capacités militaires  (article  27) et élargissant le champ 'intervention militaire de l'UE à «la prévention des conflits» et au «le renforcement de la sécurité  internationale»  sous couvert de missions de «désarmement», «de conseil et d’assistance militaire», de «stabilisation» ou de «lutte contre le terrorisme» (article  28 du TUE) sont, elles aussi, intégralement reprises. Des orientations qui font de la politique européenne de sécurité  et de défense non pas un outil d'indépendance, contrepoids à l'hégémonie étatsunienne, mais bien un instrument intégré à l’OTAN supervisée par Washington.

L'alternative : Une puissance pacifique.

L’Europe peut devenir un point  d'appui important pour la construction d’un monde de co-développement. Puissance pacifique et non alignée, elle contribuerait à sécuriser la planète en promouvant l’essor de toutes ses capacités humaines en coopération, en œuvrant en faveur du désarmement et du déploiement d’une culture de paix. Son action permettrait de réformer l’ONU tout en confortant et élargissant les missions de cette institution internationale.  Cette Europe ne serait plus inféodée aux Etats-Unis, mais, au contraire,  se rapprocherait des pays émergents pour une construction multipolaire du monde.

La charte des droits fondamentaux ne figure plus dans le traité

Pleinement intégrée dans le TCE, dont elle formait la partie II, la charte des droits fondamentaux ne figure plus, en tant que telle, dans le traité de Lisbonne, qui la mentionne à son article 6 en lui conférant la «même valeur juridique que les traités». Une précision qui ne comble pourtant  pas les multiples  restrictions à sa portée juridique,  déjà critiquées  en 2005, en même temps que la formulation ambiguë de certains droits. Comme dans le projet de constitution européenne, il est précisé à plusieurs  reprises, dans le projet  de traité modificatif, que cette charte «confirme les droits, les libertés et les principes  reconnus  par l’Union et les rend  plus  visibles,  sans  toutefois  créer  de  nouveaux droits ou principes». Le Royaume-Uni et la Pologne sont purement et simplement dispensés de la respecter. Enfin, la batterie d’«explications» annexées au projet de constitution, dont certaines affirmaient le contraire des droits  et principes  énoncés dans la charte, est intégralement  reprise. L’une d’entre  elles indique ainsi ce qu’il  faut entendre par «régime de limitations» : «Selon  une  jurisprudence bien  établie,  des restrictions peuvent être apportées à l’exercice des droits fondamentaux, notamment dans le cadre d’une organisation commune de marché…».

L'alternative : De nouveaux droits pour les salariés.

Mettre l'argent au service de l'emploi, de la formation, du développement,  mettre  en cause les pleins pouvoirs des actionnaires et le profit comme unique critère  de gestion des entreprises  et de la société implique  la conquête de nouveaux droits  pour les salariés et les citoyens. Ces pouvoirs accrus concerneraient tout  particulièrement le rôle des comités d’entreprises ou d’établissements, ainsi que des comités de groupes européens, avec des pouvoirs étendus jusqu’aux décisions sur l’emploi, la gestion et les financements.

La Commission seule souveraine

Principal  argument des promoteurs  du traité  de Lisbonne, et présentée comme «consensuelle», l'architecture institutionnelle entérinée par le traité de Lisbonne est l'exacte réplique de celle dessinée par le TCE. Au centre de ce schéma : toujours la Constitution

européenne, qui  voit  ses pouvoirs  exorbitants confirmés.  Son monopole  est réaffirmé en matière d'initiative législative (article 9D du Traité sur l'Union européenne). Elle reste totalement indépendante de tout autre autorité politique, et continue de «surveiller l’application du droit de l’Union», sous «le contrôle» de la Cour de justice  (article  9D), dépositaire  du pouvoir d’«interprétation» et d’«application» des traités (article 9F). Son président («élu» par le Parlement après désignation  par le Conseil européen, article 9D) voit ses attributions renforcées. Le Parlement, lui, devra continuer  à se contenter  de fonctions de «contrôle» et «consultatives» (article 9A). La liste des domaines de codécision avec le Conseil des ministres  de l’Union est élargie, mais de nombreux domaines lui restent interdits (politique étrangère, monétaire, fiscale, agricole, commerciale, etc.). De même, un tiers des Parlements nationaux des États de l’Union peuvent s’élever contre l’adoption d’un acte législatif, mais seulement sur la forme, si le principe de «subsidiarité» n’est pas respecté.

Présentée comme facilitant  la prise de décision dans l'Union élargie, l’extension du domaine de la majorité qualifiée est en fait limitée,  et son mode de calcul appelé à évoluer pour tenir  compte de l'élargissement (article 9C du nouveau traité sur l’Union européenne, article  205 du nouveau traité  sur le fonctionnement  de l’Union  européenne, et protocole nº 10). La voie d'une harmonisation  des politiques sociales et fiscales, domaines toujours  soumis à la règle de l'unanimité, reste, dans un tel schéma, impraticable. Autre «innovation», la création d’un poste de président(e)  du Conseil européen avec un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois. Déjà en lice pour cette fonction  : l'ancien premier  ministre britannique Tony Blair. Le «responsable des Affaires étrangères et de la politique de sécurité  de l’UE», prévu dans le TCE, troque son titre de ministre contre celui de «Haut représentant». Les citoyens, grands absents de ce mécano institutionnel qui  laisse inchangés les grands équilibres qui prévalent aujourd'hui, devront  se contenter  d'un «droit de pétition» (déjà formellement  existant).  S'ils rassemblent  un million de signatures, ils pourront «inviter» la Commission à examiner une proposition. Si celle ci, bien sûr, reste dans les clous de «l’application  des traités» (article 8B).

L'alternative : une démocratie participative et d'intervention

A contrario de la profonde  fracture  qui la sépare aujourd'hui  des citoyens, des peuples, l'Europe peut devenir le lieu d’une véritable  démocratie  participative et d’intervention, avec des consultations déterminant les décisions communes, une profonde démocratisation des parlements nationaux  et du parlement européen, et un nouveau rôle imparti à ces institutions. La Commission et le Conseil, dans cette perspective, seraient remplacés par un exécutif issu du Parlement européen. Ainsi, pourrait prendre forme un nouveau type de construction confédérale conjuguant liberté  d’initiative nationale et responsabilités partagées au niveau européen.